La crise énergétique n’a rien d’un choc transitoire
Dès le mois de mai 2021, l'IEA (International Energy Agency) appelait à ne plus investir dans les énergies fossiles, au moment où apparaissaient des tensions sur leurs prix. Les conditions visant à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 sont drastiques dès lors que la transition énergétique n'a commencé qu'en Europe, malgré une totale absence de concertation des stratégies nationales des pays de l'UE. Mais l'Europe est au bord d'une crise énergétique majeure avec un embargo sur le pétrole Russe dès ce mois de décembre, sur fond de l'attaque récente des deux gazoducs Nord Stream 1 et 2, signal préoccupant pour l'ensemble du secteur.
Réajustements géopolitiques faisant suite à la guerre en Ukraine
Dans ce contexte de risques accrus on assiste à une montée en puissance du contrôle des pays producteurs sur les marchés pétroliers alors que le prix du baril de Brent Mer du Nord se rapproche des 100 Dollars/ b alors que la tendance de la demande reste haussière à court terme. L'OPEP+ a décidé au cours de sa réunion du 5 Octobre de réduire ses quotas de production à partir du mois de novembre et de les stabiliser jusqu'en décembre 2023. Au niveau mondial, ces prix élevés alimentent une inflation qui menace de devenir structurelle d'ici la fin de l'année 2023, nous prévient Kristalina Georgevia directrice générale du FMI. Cette situation se répercute sur certains pays émergents dont le Nigéria, l'Angola qui subissent une baisse de la demande pour leurs exportations. A la suite de la pandémie de Covid 19, plus d'un quart des pays émergents ont soit fait défaut (Argentine, Ukraine) soit émis des obligations à des prix décotés. De plus ces pays sont endettés en dollars sur les marchés.
D'autre part la décision de l'OPEP+ apparaît comme un camouflet diplomatique pour Joe Biden et a suscité une vague d'indignation parmi les parlementaires du part démocrate aux Etats Unis. Enfin les tractations politiques entre la Russie et les pays qui ont la main sur les cours de l'or noir, alimentent la flambée des prix. Les Pays du moyen Orient (Arabie Saoudite, Iran, Irak, Qatar) concentrent 48 % des réserves « dites prouvées » de pétrole.
Va-t-on vers un choc pétrolier rampant semblable à celui qui s'est produit entre 2001 et 2008, le prix du Brent s'élevant à 147 dollars /b en Juillet 2008, peu avant la crise des subprimes ? Aujourd'hui on constate une hausse inédite du prix du gaz multiplié par 13 depuis 2019 et atteignant 203 euros / MWh au cours de ce trimestre en France. En Europe, l'opérateur possédant les plus grandes réserves de gaz est le géant russe Gazprom, détenu majoritairement par l'Etat et principal acteur financier du pays.
Les investissements des majors européennes et leurs accords sur le partage de la rente
Les raisons structurelles de l'envolée des prix sont aussi liées au recul des investissements dans le secteur. Les trois sociétés pétrolières privées « majors » européennes nées de très importantes fusions dans le secteur à la fin des années 1990 sont par ordre de chiffre d'affaires : Royal Dutch Shell, BP et Total Energies. Leurs investissements dans l'amont (exploration et production) ont été divisés par deux dès l'année 2014 en raison de la croissance des productions de champs de pétrole de schistes américains. Depuis la crise sanitaire elles ont encore réduit leurs investissements sur fond de prix très bas, en privilégiant les cycles courts et les projets à faible cout de production, ont cédé des actifs non rentables, et ce pendant que la demande mondiale continuait de croitre. Seuls les investissements norvégiens et britanniques au travers des forages en Mer du Nord se sont maintenus à un niveau élevé. Les couts de production des activités de forage ont diminué au cours de la dernière décennie essentiellement grâce au progrès technique et à la baisse des tarifs des sociétés sous-traitantes (CGC, Vallourec, Technip). Les profits de ces compagnies suivent tout simplement l'évolution des prix du pétrole et du gaz, d'où la notion de « superdividendes ». Et les prix des énergies fossiles correspondent à des accords sur le partage de la rente captée à tous les niveaux des chaines de valeur. La rente des pays de l'UE au travers du prix des carburants dont les taxes représentent environ les deux tiers en France constituent des recettes fiscales très importantes pour les Etats. La rente des opérateurs qui produisent du pétrole du gaz naturel et de l'électricité et de leurs intermédiaires financiers (marchés spots et marchés à terme). Compagnies qui au niveau de leurs résultats consolidés recherchent au travers de pavillons de complaisance et de filiales domiciliées dans des paradis fiscaux une minimisation de leurs impôts. C'est ainsi que l'écart entre les couts de production et les prix de vente sont les composantes des rentes captées par les compagnies pétrolières et les Etats au travers des taxes prélevées en aval sur les carburants et les tarifs de l'électricité, et ce sans lisibilité aucune pour les consommateurs.
Au moment où l'on assiste à une montée en puissance du contrôle des prix de vente par les pays de l'OPEP+, dont les Emirats Arabes Unis, l'Arabie Saoudite et la Russie, il conviendrait de réguler ces marchés au niveau européen. A ce propos le président du Conseil Européen Charles Michel a appelé le Etats membres de l'UE à agir de manière plus collective. Les objectifs étant de réduire la consommation d'énergie, d'assurer la sécurité des approvisionnements et la diversification des sources d'énergie, la production d'électricité représentant le vecteur de la transition dans le nouveau contexte géopolitique.
Face à l'immense défi visant à atteindre la neutralité carbone à l'horizon de l'année 2050, la production d'électricité dont il convient de limiter le prix devrait plus que doubler au travers notamment des filières éoliennes et solaires. Dans un tel scénario les énergies fossiles qui représentent en 2021 82% de la consommation d'énergie primaire devraient en représenter seulement 33% en 2050. Nous avons observé que la hausse considérable des prix de l'énergie contribue à alimenter l'inflation, les mesures urgentes devant être adoptées par l'UE étant le plafonnement du prix de l'électricité voire de lui appliquer des prix administrés permettant de réduire la pression sur les entreprises européennes en difficulté. Il est grand temps que les pays européens soient solidaires en relevant ces défis et évitant ainsi de faire perdurer leur dépendance géopolitique vis à vis des pays producteurs.
Les sources des chiffres citées viennent de :
https://www.connaissancedesenergies.org/
https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/
Eliane JACQUOT
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