La double casquette du Dalaï Lama
On apprenait la semaine dernière que le Dalaï Lama met fin à son mandat politique de chef du gouvernement tibétain en exil. Cela vient nous rappeler que Tenzin Gyatso, chef spirituel du courant ou école bouddhique Guélougpa, les bonnets jaunes, est engagé depuis des décennies dans une action politique et est également identifié par ses coreligionnaires comme le chef temporel du Tibet.

Le système politique tibétain tel qu’il existait avant la prise en main du territoire par les autorités chinoises, était une forme de théocratie sur base de féodalité. La population était globalement divisée en deux castes : la caste des dirigeants (aristocrates, clergé) et la caste des serfs. Les dirigeants possédaient les terres et les serfs.
Le bouddhisme a été introduit aux environs du 8e siècle, quand le Tibet était un empire et avait conquis une large portion de ce qui est aujourd’hui la Chine. Les Dalaï Lama qui se sont succédés depuis des siècles ont été les chefs exécutifs de la politique tibétaine, bien que non élus. Le pouvoir était la propriété principalement du clergé. Clergé qui a maintenu pendant des siècles la structure féodale et l’exploitation de la caste des serfs.
Le gouvernement théocratique tibétain a été chassé du Tibet par la Chine communiste. Il s’est établi en Inde avec des dizaines de milliers de réfugiés. Cet établissement a été pensé comme temporaire puisque le gouvernement en exil a continué à prendre des décisions sur l’organisation politique future du pays. Ainsi une Constitution fut établie, fondée sur la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Toutefois cette Constitution se termine par une déclaration d’allégeance à la foi bouddhique et à la personne du Dalaï Lama, proclamé ainsi chef spirituel et temporel du Tibet :
« Tous les Tibétains, dans le Tibet et en exil, sont et restent profondément reconnaissants à Sa Sainteté le Dalaï Lama, et s’engagent à nouveau à établir notre foi et notre allégeance à la direction de Sa Sainteté le Dalaï Lama, et à prier avec ferveur pour qu’il puisse rester avec nous à jamais comme notre chef suprême spirituel et temporel ».
La déclaration d’intention du Dalaï Lama de quitter ses fonctions politiques est une reconnaissance de fait de la dimension politique et temporelle de sa personnalité. Dans la mesure où le spirituel et le temporel sont liés, il ne peut se prévaloir de la seule casquette spirituelle quand il se rend dans n’importe quel pays autre que l’Inde. Il est un chef politique et quand il parle, n’importe où, il doit être perçu comme tel. Même sa propagation de sa foi bouddhique est un acte politique puisque les deux sont considérés comme inséparables.
On comprend mieux l’irritation des dirigeants chinois quand il voient Tenzin Gyatso être reçu par des chefs d’Etats occidentaux avec le titre de « Sainteté » alors qu’il est également « Chef du gouvernement en exil », c’est-à-dire d’une instance dont l’existence même implique une volonté de rétablir la théocratie. Et l'on comprend qu'entre le Dalaï Lama et les dirigeants chinois se joue une partition plus complexe qu'il n'y paraît.
Le Dalaï Lama, excellent communicateur toujours souriant, a su se donner une aura d’homme de paix et de représentant d’une religion mythifiée en occident. Il n’en reste pas moins ce politicien que l’on ne voit plus derrière la couleur pourpre de sa robe de moine. Il faut aussi savoir que le bouddhisme incarné par Tenzin Gyatso ne représente qu’une petite proportion des bouddhistes. D’autres écoles existent au Tibet, et d’autres formes de bouddhismes existent ailleurs, au Shri Lanka, en Chine, au Japon entre autres. Des formes plus directes comme le Chan ou le Zen.
Les occidentaux qui embrassent la foi du Dala¨Lama savent-ils qu’ils entrent dans une école particulière du bouddhisme, et qu’il en existent d’autres ? Savent-ils qu’en sa personne ils louent un homme politique autant qu’un dirigeant spirituel ? Un homme politique représentant d’un système que certains critiquent, malgré le concert de louanges qui l’entoure.
La décision du Dalaï Lama d’abandonner ses fonctions politiques vient nous le rappeler.
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