La France : deux pieds en Afghanistan et chiffres truqués
Suite aux déclarations de N. Sarkozy, la réalité des chiffres sur l’Afghanistan.
Pour beaucoup, l’Afghanistan est associé à un pays lointain, peuplé de
barbus extrémistes avec en arrière-fond des femmes voilées de la tête
aux pieds avec leurs pesantes burqas.
Mais, outre ces caricatures grotesques, nous voyons bien que les Français en savent peu ou, plutôt, ne désirent pas savoir.
Tout débute le 11-Septembre 2001 : les tours s’effondrent, les États-Unis pleurent et leur président, G. W. Bush, demande deux jours plus tard l’extradition du principal inculpé du massacre, Oussama Ben Laden, soi-disant protégé par les autorités talibanes alors au pouvoir.
Les talibans n’acceptant pas la menace, voilà alors que la première
« guerre contre le terrorisme » est lancée, menée par le gouvernement
américain et son vassal britannique.
Jouant de tout leur possible
sur la corde sensible depuis les terribles attentats, les deux alliés
arrivent à embrigader avec eux une coalition de pays assez
impressionnante, tous pris de court et ne sachant pas trop comment
réagir face à cette nouvelle menace, cet axe du mal.
La France, suivant son voisin allemand ainsi que le Canada ou
l’Australie, s’engouffre dans une guerre sans trop savoir pourquoi, et
se retrouve avec de grandes difficultés à faire passer cette attaque
comme logique ou seulement juste envers les masses. La
raison officielle est la capture d’Oussama Ben Laden, mais aussi la
destitution de ce bourbier terroriste qu’est le pays depuis l’arrivée
des talibans.
Les journaux préféreront de leur côté exploiter à
outrance la condition des femmes [1]... Il faut l’avouer, la chose
était facile : le rabâchage médiatique continuel des tours
s’effondrant, les images et autres documentaires sur la montée de
l’islamisme radical ont bien aidé. Le peuple était alors prêt à
accepter une guerre sans broncher et, malgré un pacifisme certain de la
plupart de la population, les contestations furent quasiment
inexistantes.
La présence américaine, elle, ne date pas seulement de 2001. On sait bien que la CIA se plaisait durant l’occupation soviétique à fournir en armes les insurgés talibans, fidèles alliés anti-communistes. Mais depuis que l’attaque fut lancée, l’Afghanistan a peu fait parler de lui : peu de Français tués sur place (13 au 2 décembre 2007), peu de remise en question du principe même de contingent en territoire afghan, etc.
Dernièrement, durant la campagne présidentielle, le candidat Nicolas Sarkozy avait clairement déclaré : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. [...] D’ailleurs [Jacques Chirac] a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales et un certain nombre d’éléments, c’est une politique que je poursuivrai. » [2]
Pourtant, les choses furent tout autres...
Le 22 mars, le Times
expliquait que le président français allait annoncer à Gordon Brown
(successeur de T. Blair) l’envoi d’un millier d’hommes supplémentaires
dans le pays.
Divers chiffres se mirent alors à circuler, à tort
et à travers. Le gouvernement réussi quand même à vendre à l’opinion
publique, très réticente à l’idée d’envoi de nouvelles troupes (plus
par peur au vu du bourbier irakien que par un sursaut d’humanisme) [3],
que 700 hommes iraient sur place.
Le
gros problème c’est que ce chiffre, sans être faux, ne nous dit pas
tout. Ainsi, aux 700 hommes annoncés, on doit ajouter 300 hommes
supplémentaires car, dès le mois d’août, la France prendra la
responsabilité de la RCC (Regional Command Capital) [4]. De plus, pour soutenir l’armée nationale afghane, la France désire envoyer environ 80 hommes dans la province d’Oruzgan, soit une cinquième équipe d’OMLT (Operationnal Mentoring Liaison Team) [5].
Le chiffre initial de 700 se transforme donc en près de 1 100 personnes
envoyées au front. Le président et son équipe, ayant bien compris que
la barre symbolique des 1 000 ne devait être franchise, ont tout
simplement décidé de contourner cette notion, tronquant les faits et
les modelant à leur guise.
Niveau
justification, la chose fut plus que légère, l’équipe gouvernementale
comprenant bien que moins on en parlait, mieux c’était. Nicolas Sarkozy
déclara quand même que des troupes seraient envoyées pour que "l’Afghanistan ne devienne pas un Etat qui tombe aux mains des terroristes comme nous l’avons vu avec les talibans" ; car "Il
se joue ici une guerre, une guerre contre le terrorisme, contre le
fanatisme, que nous ne pouvons, que nous ne devons pas perdre".
Certains y verront là un atlantisme limpide, une manière de faire
comprendre à Bush qu’on le soutient clairement, sans pourtant aller se
risquer dans l’autre Vietnam qui est le sien.
Et alors que le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a déclaré il y a peu que la prochaine conférence des donateurs pour l’Afghanistan, prévue le 12 ou le 17 juin, se tiendrait à Paris, avec l’accord du président Hamid Karzaï [6], le Canada a, de son côté, fait savoir que le pays quitterait le sud de l’Afghanistan dès 2011 [7].
Au vu de l’Histoire, au vu de ce qui s’est passé avec les Soviétiques à partir de 1979, au vu aussi de ce qui se passe en Irak et dans tout le Moyen-Orient actuellement, on peut quand même se demander ce que nos troupes font en Afghanistan, pourquoi sommes-nous là-bas et, surtout, quel est l’intérêt que trouve le président et son équipe à envoyer plus de troupes, allant à l’encontre même de la volonté de l’opinion publique.
Se targuant de créer un Afghanistan des Lumières, le gouvernement français et la nouvelle politique extérieure ne font qu’accroître l’effondrement du pays, l’enfonçant un peu plus dans le gouffre. Même les grands sourires hypocrites et les promesses (rarement tenues) ne font pas oublier que, sous couvert d’exportation de la démocratie occidentale, se cache un ethnocentrisme affiché (comme le pensent les observateurs et analystes les plus critiques) ou, encore, une forme de néo-impérialisme basé sur une vision atlantiste.
—
Notes et sources :
[1] : « Une guerre pour les femmes ? » de Christine Delphy in Le Monde diplomatique de mars 2002
[2] : Vidéo disponible sur Dailymotion
[3] : Un sondage BVA daté du 31 mars 2008 nous exprimait que 68 % des personnes interrogées désapprouvaient l’envoi de renforts en Afghanistan tandis que 15 % l’approuvaient. Un sondage Ifop du 5 avril 2008 exprimait que 55 % des Français se déclaraient opposés à l’envoi contre 45 % d’avis favorables.
[4] : « En août, la France doit prendre, pour la deuxième fois, la responsabilité de la RCC (Regional Command Capital), c’est-à-dire la région de Kaboul. C’est un commandement tournant entre trois pays : France, Italie et Turquie. Pour assumer cette responsabilité, un état-major ainsi que des moyens de soutien et de protection seront envoyés à Kaboul, en plus du bataillon français présent dans la capitale. Soit 300 hommes supplémentaires. Cette mission durera environ un an. » Alain Gresh : « Nicolas Sarkozy, l’Afghanistan et l’universalisme européen » in Nouvelles d’orient ; citant Jean-Dominique Merchet.
[5] : « Dans le cadre de son effort de soutien à l’armée nationale afghane, la France avait prévu d’envoyer une cinquième équipe d’OMLT (Operationnal Mentoring Liaison Team) dans la province d’Oruzgan, un secteur confié aux Hollandais. L’effectif de cette OMLT sera d’environ 80 hommes, issus pour l’essentiel du 2e Régiment étranger d’infanterie (REI). » Jean-Dominique Merchet : « Les vrais chiffres : la France enverra plus d’un millier d’hommes en Afghanistan »in Secret Défense
[6] : France Diplomatie
[7] : CNN : « Canada says troops to leave Afghanistan in 2011 »
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