La guerre des générations qui vient. Quand les dangers et les malaises du présent l’emportent sur ceux, plus grands, à venir
NDTR : Cet article de Bruce Thornton, pour le David Horowitz Freedom Center publié le 8 avril 2020 sur Fontpagemag.com, traduit de l’américain par Thierry Martin, est destiné à tous ceux qui s'intéressent à la vie politique, économique et sociale américaine aux prises avec la pandémie virale, et à tous ceux qui en parle sans la connaitre. La vision de Thornton est à contre-courant de ce qui se dit dans les media français mainstream. Elle a de quoi surprendre le lecteur. Elle remet en question de nombreuses idées fortement établies. A ce titre, elle est enrichissante... Bruce S. Thornton (né en 1953) est un universitaire américain, professeur de lettres classiques et d’humanités à l’Université de l’Etat de Californie à Fresno et chercheur à Stanford University’s Hoover Institution. [i]
[i] NDTR : Thornton se définit par son opposition à la tradition historique dominante des Lumières. Il souscrit à la thèse 'Athènes contre Jérusalem' de Leo Strauss, dans lequel l’interaction entre les idéologies grecques classiques de la rationalité et les philosophies spirituelles judéo-chrétiennes ont abouti à la création de la civilisation occidentale.
Thornton croit que la croyance décroissante dans les idéaux interpersonnels tels que la fierté nationale et dans les idéaux religieux tels que le christianisme a conduit les Occidentaux non-américains à soit y substituer des "religions politiques" comme le communisme ou le fascisme, soit abandonner tout idéal moral. Cela, à son avis, les affaiblit contre la pression de menaces comme l’augmentation de l’immigration en Europe par les musulmans qui ont des taux de natalité plus élevés que les Européens autochtones.
Thornton était un grand critique de l’administration Obama. Il a écrit le 10 février 2009 :
Jusqu’à présent, rien de l’équipe Obama ne suggère qu’ils auront plus de succès que les administrations précédentes à contrecarrer les plans de nos ennemis. Au lieu de cela, toujours plus de discours, toujours plus de sommets, encore plus d’accords qui, à la fin, nous laisseront plus faibles et nos ennemis plus forts.
En Juin 2015 Thornton a publié un article déplorant la prise de contrôle de l’université américaine par les adeptes d’Edward Saïd fondateur des études postcoloniales au sein du discours postmoderne qu’on appelle « French Theory » aux États-Unis.
La pensée à court terme a été le fléau des démocraties depuis Athènes dans l’antiquité. Des élections régulières et des nombres de mandats limités font qu’il est politiquement opportun, voire obligatoire, pour les politiciens de satisfaire les désirs du peuple ou d’apaiser leurs craintes actuelles, même si l’action ou la politique menée crée plus de risques pour plus tard. Comme l’a écrit Tocqueville, « une perception claire de l’avenir fondée sur le jugement et l’expérience » est « souvent déficiente dans les démocraties. » Les dangers et les malaises du présent l’emportent sur ceux bien plus grands à venir.
La crise pandémique actuelle illustre cette faille perpétuelle, qui n’a pas été atténuée par notre meilleure connaissance des maladies et des remèdes qui y sont associés. Dans le cas du virus de Wuhan [NDTR : coronavirus], nous n’avons pas les données nécessaires pour établir son taux de léthalité parmi les personnes infectées, ni même le nombre de personnes infectées. Les différents modèles qui projettent un taux de léthalité ont exagéré le nombre : À ce stade, le nombre de morts est quelques centaines de plus que les 7400 d’Américains qui meurent chaque jour, et beaucoup moins que les 24.000 à 64.000 qui sont morts de la grippe cette saison. Pourtant, la plupart des États, appuyés par les recommandations du président, ont imposé une politique d’éloignement social radicale, que le président a prolongée jusqu’à la fin avril.
En conséquence, notre économie a subi un choc historique, avec 10 millions d’employés mis à pied et des milliers d’entreprises, petites et grandes (ces dernières représentent près de la moitié de la main-d’œuvre privée). Goldman-Sachs prévoit que le PIB diminuera de 35 % cet été, et d’autres estiment que le chômage pourrait atteindre les 25 % enregistrés pendant la Grande Dépression [NDTR : crise économique des années 1930 qui va du krach de 1929 aux États-Unis jusqu'à la Seconde Guerre mondiale]. Une économie en plein essor a été bloquée sur le plan politique, avec des conséquences comme une récession importante ou même une dépression [économique], dont les effets néfastes — dépression, divorce, toxicomanie, suicide — continueront de nuire gravement à la vie de millions de personnes dans un avenir prévisible.
Et n’oubliez pas que cette politique de confinement à la maison présente des risques pour nos libertés civiles et notre autonomie personnelle si les services de police fédéraux et étatiques commencent à surveiller et à suivre les gens pour voir qui s’y conforme. Le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, dit déjà que cette crise est une « occasion de remodeler notre façon de faire et de gouverner ». Nous pouvons examiner les politiques progressives coercitives déjà en place en Californie pour avoir une idée de ce qu’il veut dire.
Une autre dimension de ces retombées pourrait être un grave conflit politique entre les générations au cours des prochaines années. Les politiques actuelles profitent immédiatement à la génération des baby-boomers, c’est-à-dire aux personnes dans la soixantaine, la 70e et la 80e année qui sont les plus susceptibles de mourir du virus, aux dépens, maintenant et dans l’avenir, des post-Boomers, dont la grande majorité ne risque pas de mourir.
Mais même avant l’éclosion du virus de Wuhan [NDTR : coronavirus], les droits des personnes âgées comme la sécurité sociale et l’assurance-maladie, et l’énorme dette que nous avons accumulée en partie pour financer ces programmes, sont venus au détriment des jeunes travailleurs. En augmentant les prestations et en augmentant le nombre de personnes admissibles à les recevoir, nous avons rendu leurs coûts impossibles à supporter uniquement avec les charges sociales. Par conséquent, les coûts des programmes ont grimpé en flèche : au cours de l’exercice 2015, 87 % des dépenses annuelles obligatoires, soit 60 % du budget, ont été consacrées à la sécurité sociale et à l’assurance-maladie (Social Security and Medicare).
Cela signifie que les charges sociales (payroll taxes) payées par les jeunes travailleurs productifs servent à financer les prestations pour les personnes âgées pour la plupart improductives. Par exemple, jusqu’à 25 % des dépenses de l’assurance-maladie sont consacrées aux soins de fin de vie. Pire encore, le manque à gagner est comblé par des emprunts que les jeunes d’aujourd’hui et leurs enfants devront rembourser. La croissance démographique de 72 millions de baby-boomers qui participent à ces programmes à raison de 10 000 par jour signifie que ces déficits augmenteront sans cesse. Dans quelques décennies, la simple mathématique exigera de réduire ces programmes et d’augmenter les charges sociales, réformes qui seront supportées non pas par les baby-boomers à la retraite, mais par les jeunes travailleurs d’aujourd’hui.
Et n’oubliez pas qu’ils seront également responsables de notre dette de près de 23000 milliards d’USD, dont 6000 milliards d’USD sont dus au Social Security Old Age and Survivors insurance trust fund [NDTR : Ce fonds accorde automatiquement des prestations mensuelles aux bénéficiaires, des travailleurs retraités (personnes âgées), à leurs conjoints et à leurs enfants, ainsi qu’aux survivants des travailleurs assurés décédés.]. Les tyrans d’autrefois expropriaient la propriété des riches pour acheter le soutien des masses. Nous les avons surpassés en expropriant non seulement les biens des jeunes travailleurs, mais aussi ceux des citoyens qui ne sont pas encore nés, pour les redistribuer aux personnes âgées.
Cette catastrophe économique imminente, conséquence d’avoir laissé les besoins actuels de l’ancien l’emporter sur les besoins futurs des jeunes, est déjà assez mauvaise. Mais la crise du virus de Wuhan [NDTR : coronavirus] a empiré les choses. Plonger notre économie dans le coma sans aucune certitude qu’elle pourra être relancée suffisamment pour rétablir les pertes a aggravé le sort des jeunes travailleurs post-Boomer, qui représentent les deux tiers de la population active. En outre, leur avenir est hypothéqué pour 2000 milliards de USD (jusqu’à présent) pour compenser les dommages causés à l’économie et les emplois perdus qui ont résulté du traitement de patients dont la plupart sont déjà malades et meurent d’autres maladies.
Pour l’instant, le pouvoir de vote de 72 millions de baby-boomers et de puissants groupes de pression comme l’AARP [NDTR : anciennement American Association of Retired Persons, ONG et lobby américain,] ont fait des intérêts des baby-boomers une priorité politique malgré les coûts pour les jeunes générations. Nous avons tous vu des publicités [NDTR : à la télévision américaine]dans lesquelles des personnes âgées en colère affirment avoir « payé » leur sécurité sociale et leur assurance-maladie (Social Security and Medicare), alors « les politiciens feraient mieux de les laisser tranquilles ». Toutefois, lorsque les électeurs de la génération du millénaire surpassent les baby-boomers, une telle intimidation des politiciens peut cesser d’être efficace, surtout compte tenu du fait que le bénéficiaire moyen de la sécurité sociale et de l’assurance-maladie reçoit de 3 à 5 $ pour chaque dollar versé. Une dépression provoquée par la fermeture de l’économie au profit de patients qui meurent déjà d’autres maladies pourrait rendre ce conflit encore plus amer lorsque les coûts de ces programmes, ainsi que la facture pour le service de la dette, doivent être payés par les générations post-Boomer.
Cela ne veut pas dire que nous devrions simplement laisser les personnes âgées victimes du virus mourir pour sauver l’économie, ou que nous ne sommes pas tous complices de l’aggravation de notre dette, de notre déficit et de notre crise des droits. Nous devrions plutôt nous rappeler que dans la plupart des crises politiques, le but ne devrait pas être que tout le monde vit et que personne ne meurt, mais plutôt une politique qui identifie et équilibre les intérêts du plus grand nombre de personnes aujourd’hui et à l’avenir, surtout lorsque les données de base de la politique sont douteuses ou inconnues.
Cela signifie que, dans le contexte de la crise actuelle, fermer complètement l’économie à un coût exorbitant, surtout lorsqu’une génération paie et assumera la majeure partie de ce coût, fait passer les besoins actuels avant les besoins futurs. Il serait plus logique de mettre l’accent sur les politiques de maintien à la maison dans des régions comme la région de New York, qui représente la moitié des décès, qu’une fermeture nationale qui affaiblit l’économie. Mais la réouverture de l’économie ne risque-t-elle pas d’aggraver l’épidémie ? Bien sûr que oui, mais c’est la nature de notre existence. Dans un monde tragique de catastrophes inattendues et de conséquences imprévues, le choix n’est pas entre qui vit maintenant et qui meurt plus tard, mais entre certains qui mourront maintenant afin que plus ne meurent pas plus tard.
Cela signifie que les connaissances techniques seules, surtout lorsqu’elles sont aussi incertaines que notre compréhension actuelle du taux de létalité du virus, ne peuvent pas déterminer cette décision pour nous. Une telle décision qui concerne l’ensemble de la communauté des citoyens est nécessairement politique et économique, et ces préoccupations devraient faire partie du processus décisionnel. Bien sûr, ces décisions sont difficiles, elles comportent des conséquences et des complications inconnues, et rien ne garantit qu’elles seront les meilleures. Mais de grands leaders comme Winston Churchill ont mérité leur titre en prenant ces décisions difficiles qui tiennent compte du présent et de l’avenir, et en acceptant que des vies seront perdues.
Enfin, l’immense autorité de l’expertise technique qui découle de ce que la philosophe française Chantal Delsol appelle « techno-politique » compromet la capacité de prendre des décisions qui regardent à la fois vers l’avenir et vers le présent. La techno-politique crée l’illusion que la décision est fondée sur la science objective plutôt que sur le « jugement et l’expérience » nécessaire à la concurrence désordonnée entre des objectifs et des biens contradictoires – en particulier dans une démocratie où les besoins des électeurs d’aujourd’hui sont plus importants que ceux de demain.
À l’heure actuelle, notre décision de protéger les personnes âgées vulnérables au détriment des jeunes qui travaillent pourrait être efficace, et l’économie pourrait rebondir rapidement. Mais ce n’est peut-être pas le cas, et cela pourrait au contraire semer les germes de la discorde générationnelle future, avec des conséquences désastreuses pour notre sécurité et nos intérêts nationaux ainsi que pour notre mode de vie. Des choix difficiles, en effet, mais ils devraient être faits en fonction de ce qui est bon pour les citoyens de demain, et non uniquement de ce qui est bon pour les citoyens actuels.
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