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La Russie dans le Sud-Est asiatique, pendant que l’Europe sommeille

Le chef d’état-major adjoint des Forces armées russes, le colonel général Vladimir Moltenkoi, a été reçu le 26 avril par le vice-président du SPF birman (Conseil pour le développement et la paix), le général Aung Aye, à Naypyidaw, la nouvelle capitale du Myanmar, nouveau nom de l’ancienne Birmanie.

Cette information, diffusée par un organe officiel de la junte militaire birmane, confère un poids inédit au renouveau qui s’est produit entre la Russie et la dictature militaire qui gouverne d’une main de fer le Myanmar depuis le mois de mars 1962. Maung Aye est également commandant en chef adjoint du ministère de la défense et des forces armées birmanes, dont les effectifs sont évalués à 400 000 hommes. Sa mission confirme la volonté exprimée au début du mois d’avril à Moscou par le premier ministre de la Fédération russe, Mikhaïl Fradkov, de « considérer nos relations avec le Myanmar comme une priorité de la politique extérieure de la Russie en Asie du Sud-Est. ».


Le président Poutine lui-même en a apporté la preuve en assistant à la fin de 2005, au sommet de l’ASEAN (l’Association des nations du Sud-Est asiatique) à Kuala Lumpur.


Créée en août 1967, cette association regroupe dix pays. Ce club très fermé s’est donné pour but le développement économique et culturel de l’Asie du Sud-Est et la création d’une zone de libre-échange entre eux. Elle est composée de cinq membres fondateurs (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande) auxquels se sont joints en 1984 le Brunei, en 1995 le Vietnam, en 1997 le Laos, et le Myanmar, et en 1999 le Cambodge. La Chine, l’Inde et la Japon participent à ses travaux en qualité de membres invités permanents.


La participation du président Poutine au dernier sommet de ce club asiatique très exclusif, qui l’a invité à devenir un membre permanent, aurait déjà dû éveiller plus d’attention dans le monde occidental, distrait par ses problèmes d’harmonisation de l’Europe unie et de relations avec l’Islam et les producteurs de pétrole du Moyen et du Proche Orients.


Comment n’a-t-on pas tenu compte, autrement qu’avec méfiance, du fait que la Russie n’est plus l’URSS, qu’en dehors de ce qu’on appelle vertueusement les « mafias russes » l’économie libérale s’y développe en donnant aux entreprises, aux compagnies russes une agilité dont on doutait en Europe ? Il est très surprenant qu’en France - exception faite de grandes sociétés voisines des activités pétrolières - on en soit encore à s’étonner, voire à se choquer de la présence de millionnaires russes sur la côte d’Azur où, comme les richissimes princes de naguère, ils viennent faire du tourisme, probablement des affaires, et claquer leur argent à la roulette.

C’est pourquoi il n’y a rien d’étrange à voir que le Kremlin, gouvernement d’une grande puissance convalescente, est en train de marquer son territoire de chasse en Asie du Sud-Est. Mais dans cette région, ses représentants ne font pas de tourisme, et ne fréquentent pas les casinos.

Comme les autres puissances industrielles occidentales, la Russie voit dans les ventes d’armements aux pays du « tiers-monde » riches en ressources non renouvelables, un pactole dont ils savent parfois mieux tirer parti que leurs concurrents américains ou européens.


À en juger par les informations des médias russes, dans le cas du Myanmar, Moscou emploiera une stratégie selon laquelle les exportations d’armes russes sont faites en échange, notamment, d’actifs énergétiques et d’assistance technologique et scientifique.


Par conséquent, après le Vietnam, la Malaisie et l’Indonésie, acquéreurs d’équipements russes, le Myanmar, leur voisin, va recevoir des MiG-29 et un système de défense antiaérienne (Tor et Bouk). Quand le président Poutine envoie le numéro deux de ses forces armées, ce n’est certainement pas pour faire du tourisme diplomatique. D’ailleurs, les Russes soviétiques d’hier ou capitalistes et libéraux d’aujourd’hui connaissent bien la Birmanie, et savent fort bien l’importance stratégique de ce pays.


L’URSS avait établi des relations diplomatiques avec la Birmanie dès l’indépendance de ce pays, en 1948.

Les militaires birmans ont pris le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat sanglant en mars 1962. Dès lors, ils ont reçu une aide continue de l’Union soviétique, avec laquelle ils se lièrent idéologiquement et économiquement par plusieurs accords de coopération, en échange desquels l’URSS disposa de larges possibilités d’action stratégique sur le flanc Ouest de la Chine.


Les Birmans montrent encore, avec fierté, comme souvenir de cette époque, l’immense hôtel construit sur une rive du lac Inya, à Rangoon, édifié avec l’assistance soviétique contre des fournitures régulières et importantes de riz, denrée que le fonctionnement aléatoire de l’agriculture collectiviste rendait aléatoire.

L’écroulement de l’Empire soviétique et la dissolution du pacte de Varsovie ont provoqué, dès novembre 1989, une mise en sommeil des relations russo-birmanes.

En 1964, le ministre des affaires étrangères de la junte m’avait expliqué, au lendemain d’une visite éclair de Chou En-Lai à Rangoon, que ce dernier était venu demander à la Birmanie de rester neutre en cas de généralisation du conflit vietnamien à tout l’Extrême-Orient, que lui faisait redouter le renforcement de la VIIe flotte américaine en mer de Chine. Chou En-Lai avait expliqué que le Chine craignait d’être attaquée au moment où, faute d’être aidée par l’URSS, son armée était dotée d’équipements obsolètes.

À la même époque Moscou, qui boudait la Chine, ne refusait pas son aide à la Birmanie. Je me souviens qu’un ami, conseiller d’ambassade d’une nation arabe, m’avait affirmé avoir vu défiler, de nuit, un cortège de chars soviétiques bâchés, livrés par l’URSS à l’armée birmane. Cette information avait animé la vie diplomatique pendant deux longues semaines. Elle avait été, pendant des semaines, le sujet central des conversations entre attachés militaires. Les hypothèses les plus diverses avaient été échafaudées pour expliquer l’évolution de l’aide soviétique à un pays mitoyen de la « Chine communiste  ». En fait, il s’avéra que ce n’étaient que de gros tracteurs agricoles. Mais curieusement, à l’époque, le pays qui entretenait la coopération la plus voyante avec les militaires birmans, c’était Israël. C’est dire que les relations diplomatiques avec ce pays et l’attitude de ses dirigeants à l’égard du monde extérieur étaient déjà d’une très grande complexité.

En dépit des condamnations exprimées à tous les niveaux à Washington et aux Etats-Unis en général, les généraux birmans sont très conscients de leur importance, en raison de leur situation stratégique dans une région dont l’équilibre est menacé par les mutations nucléaires qui se produisent. Ils ne bougent pas non plus d’un iota à l’intérieur du pays. Les mois de mars et d’avril viennent d’être marqués, selon ce que rapportent l’agence britannique Reuter’s et tous les journaux de la région, par une répression féroce des peuples Karen et Kachin qui supportent mal, depuis un demi-siècle, la domination birmane. Des centaines de villages ont été incendiés, des milliers de villageois ont été expulsés de leurs maisons ; ils trouvent refuge en Thaïlande. Il y a eu des morts et des blessés dont le nombre, comme de coutume, n’a pas été révélé. Il ne s’agit pas d’opérations de police mais de ratissage, de politique de terre brûlée, mise en œuvre par l’armée birmane, forte de 400 000 hommes contre ce que la junte qualifie de rebelles terroristes armés à éliminer.

Le gouvernement birman (Conseil pour la paix et le développement), en le qualifiant également de terroriste, vient de décider de dissoudre le mouvement démocratique dont Mme Aung San Suu Kye, toujours en résidence surveillée, est la figure de proue. Terrorisés par les militaires, de nombreux membres de ce parti ont donné au cours des jours derniers leur démission.

Toutefois, comme en stratégie, on n’agit pas forcément en suivant les règles de la morale ou en respectant automatiquement les droits de l’homme ; les pays membres de l’ASEAN, tout en s’efforçant de sauver la face de la junte militaire birmane qu’ils ne désirent pas exclure de leur cercle influent, tentent d’exercer une pression constante sur ces membres pour les inciter à changer de méthode de gouvernement. Ces dernières, pour ne pas constituer une nouveauté dans les traditions de la région, contribuent à provoquer auprès des pays industriels développés une très mauvaise impression, susceptible de compromettre les aides financières et le soutien que l’on attend d’eux.

Quant aux Russes, manifestement, ils ne voient aucun inconvénient à occuper le terrain avant que ne le fassent les autres puissances, ni à prendre position partout où jaillit le pétrole et où ils pourront prendre des participations dans le capital des sociétés pétro-gazières exploitantes. Les résultats positifs de leurs récentes initiatives diplomatiques, économiques et scientifiques apportent une bonne indication concernant l’affinité et l’empathie qu’éprouvent ces dix pays à l’égard de Moscou. Ils permettent de prévoir une intensification de l’activité des entités privées et publiques russes dans cette zone.

Elles seront de trois natures :

* 1 -Coopération militaire et industrielle : fourniture d’équipements militaires aux forces armées birmanes, et dix Mig 19 à son armée de l’air pour une valeur de 130 millions d’US dollars, contre la fourniture de gaz birman. Formation d’un nombre indéterminé d’officiers birmans dans les académies militaires de Russie.

* 2 - Nucléaire : construction, pour le compte du Myanmar, d’une centrale électrique nucléaire, selon une déclaration d’intention datant de 2001.

* 3 - Hydrocarbure et gaz - coopération technique et élaboration d’une stratégie commune dans le secteur pétrolier. Fourniture de gaz en échange de livraison d’équipements et armes de guerre russes à la Birmanie. Toutefois la contrepartie birmane n’a pas été rendue publique.

* 4 - Contrôle des stupéfiants - Répression des trafics de stupéfiants, selon un accord de coopération envisagé en 1997. Il est paradoxal que la Birmanie ait signé ce type d’accord. Premier producteur mondial - elle produit au total plus de 2700 tonnes de résine par an. Cette culture et sa commercialisation ont fait la fortune de plus d’un des seigneurs de la guerre shan et birmans détenteurs du pouvoir en Birmanie. Il n’est pas précisé ce que va devenir cette énorme production.

Avant de se rendre dans la nouvelle capitale du Myanmar, le colonel général Wladimir Molkensoi, faisant, lundi 24 avril, une incontournable escale technique à Rangoon, a été reçu par général Thura Swhe Mann, qualifié par la presse locale de troisième homme le plus puissant du pays.


Le général Aung Aye s’était rendu en Russie entre le 2 et 9 avril derniers, accompagné d’une délégation de soixante hautes personnalités du Myanmar, au sein desquelles se trouvaient les principaux ministres de la junte militaire et des experts militaires experts des principaux secteurs de l’économie de ce pays, sur lesquels la junte exerce un pouvoir absolu.

L’agriculture, avec le riz, 22 millions de tonnes produites sur 65 pour cent de la superficie cultivable du pays. (sixième producteur mondial) le caoutchouc, l’opium (2700 tonnes - premier producteur mondial).

Produits minéraux : les hydrocarbures et gaz, antimoine, tungstène, pierres précieuses (rubis, saphir et jade) et pêcheries.

Le voyage de l’envoyé spécial du Kremlin indique qu’il existe à Moscou une volonté impatiente de consolider la position diplomatique russe dans cette partie du monde, le plus rapidement possible. La Birmanie est située au Sud-Ouest de la Chine et partage avec Pékin une frontière de mille cinq cents kilomètres, qui va de l’Assam indien au Triangle d’or des trois frontières au Laos.


La montée de la République populaire de Chine comme puissance nucléaire et économique incite le Kremlin à ravauder les traces d’usure qui s’étaient manifestées dans les liens tissés pendant plus de cinquante ans avec tous les régimes établis à Rangoon.

La récente découverte dans le Nord-Ouest de la Birmanie de gisements de gaz va faire de Myanmar un des pays les plus riches de l’ASEAN, ce qui modifie considérablement l’équilibre géopolitique dans le Sud-Est asiatique.

Les réserves décelées par une société sud-coréenne vont permettre, selon les évaluations faites par la société Ryder Scott Co., de produire de 2,9 à 3,5 quintillions, (10 18) de pieds cubes de gaz, soit l’équivalent d’environ 600 milliards de barils de pétrole brut.


De ce fait la Birmanie/Myanmar, en dépit de son régime militaire dictatorial, va devenir un important fournisseur potentiel de gaz naturel pour les pays d’Asie les plus riches. Sa richesse potentielle attire déjà des pays industriels pour lesquels l’argent n’a pas d’autre odeur que celle du pétrole, et qui ne trouvent pas d’inconvénients majeurs à entretenir, du moins l’espèrent-ils, de fructueuses relations avec elle.

Dans le secteur privé ou semi privé, on compte également près de 500 sociétés ou compagnies pétrolières, informatiques, industrielles, de toutes nationalités, venues s’installer, en dépit de réglementations draconiennes, sur l’implantation et le fonctionnement d’identités étrangères au pays.


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3 réactions à cet article    


  • nco (---.---.3.91) 3 mai 2006 13:52

    J’ai beaucoup aimé cet article. L’auteur sait de quoi il parle. Merci beaucoup. Peut être est ce une évolution majeur géopolitique en Asie. Cela ouvre les yeux sur la situation dans le monde. Pas seulement en Amérique. J’éspére que cette situation n’entrainera pas de guerres...


    • Bertrand C. Bellaigue Bertrand C. Bellaigue 3 mai 2006 20:54

      Dear NCO, I have the nagging feeling that the author of such a pleasant remarks written about my last russian-Asean story surely is in India or coming from India, country that I know well for having been appointed several times in Delhi and around the country side. It is somewhat true that I’ve got now an inner feeling on the general geopolitical situation beween Delhi, Bangalore Tezpur Assam and Bomdila(NEFA) on on side and Burma, Laos Uang-Prabang, Vienntiane , and Hanoi and Ho chi minh town/ Saigon on the other side.

      There is indeed little differences betwen russian empress Catharina’s policy sothward to warms oceans and M. Wladimir Putin’s. A new balanced south east asia ahead ?

      Faithfully yours Bertrand C. Bellaigue


      • Antoine (---.---.177.187) 4 mai 2006 22:50

        aaaahhhh...toutes ces grandes manoeuvres géo-politiques pour les ressources énérgétiques....tout le monde a la pétoche...

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