Le Bassin Parisien, haut lieu de la spéculation mondiale
C’est du côté de la Chine qu’il faut apparemment étudier les hypothétiques fluctuations des cours mondiaux des céréales. Dans le nord-est, une sécheresse aggravée frappe en effet la population. En Chine comme en France, un discours combatif est évidemment de rigueur...
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH222/mousson_ete_e8bb-9ad4c-ddfef.jpg)
Pour exposer l'instabilité du climat de l'Asie orientale, un article du mensuel chinois (en langue anglaise) 'Journal of Lake Science' (ici, le sommaire du mois de septembre 2010) consacré aux sciences de la vie et de la terre, m'a servi d'accroche. Deux Italiens de l'Université 'La Sapienza' de Rome, un Allemand de l'Université de Hambourg et un fonctionnaire chinois de l'agence pékinoise de météorologie - Isabella Bordi, Klaus Fraedrich, Jiang Janmin et Alfonso Sutera - ont signé en décembre 2003 cet article. Son titre « Dry and Wet Periods in Eastern China Watersheds, Patterns and Predictability » pourrait se traduire ainsi : « L'alternance entre périodes sèches et humides dans les bassins-versants de Chine orientale, observations et prévisions ».
Les quatre scientifiques ont étudié la répétition des phases pluvieuses ou sèches à partir de données provenant de dizaines de stations elles-mêmes réparties dans neuf bassins-versants. Ils ont isolé une périodicité 'courte' et une plus longue. Dans le nord de la Chine, les relevés montrent une accélération du rythme des retours de sécheresses. Ils n'écartent pas l'idée d'un cycle 'extra-long' à l'échelle d'un quart ou d'un demi-siècle, sans disposer aujourd'hui des données indispensables, mais espèrent d'ores et déjà bâtir des modèles de prévision fiables.
Sur le schéma « Eastern Yangze Watersheds » (p.8) se dessine une histoire du climat chinois contemporain. Une sorte de période 'faste' apparaît nettement, entre 1957 et 1998, qui colle au cycle biséculaire décrit plus haut. Quelques 'accidents' ponctuent celui-ci, dans les années 1970 par exemple, qui ne remettent pas en cause la tendance d'ensemble. Les données recueillies au cours des deux années calamiteuses précédant la période (1955 et 1956) corroborent les travaux historiques sur les années qui précèdent le Grand Bond en avant. Elles confirment que Mao a su habilement couper l'herbe sous le pied de ceux qui le rendaient responsable des premiers échecs de la Révolution chinoise et des mauvaises récoltes. Plutôt que de se justifier, il lança alors son mot d'ordre « Marcher sur ses deux jambes » pour forcer l'augmentation de la productivité industrielle et agricole. Le résultat fut catastrophique, avec une grave désorganisation économique et une terrible famine (source).
A partir de 1999, le schéma « Eastern Yangze Watersheds » montre une chute plus marquée des précipitations. L'embellie du milieu des années 2000 intervient au moment où se termine l'étude des scientifiques. Elle a sans doute brouillé légèrement leurs conclusions, en laissant entrevoir un retour à la tendance précédente (1957-1998). On peut aujourd'hui s'interroger compte tenu des annonces discrètes de la presse occidentale au sujet d'une terrible sécheresse que subit la Chine du nord-est depuis quatre à cinq mois. A la fin de leur étude, les scientifiques reviennent sur le mouvement de balancier biannuel observé à l'échelle du territoire chinois : lorsque le nord reçoit beaucoup de pluies, le sud doit s'accommoder de leur absence ; et inversement. De fait, dans le système de la Mousson (photo), les perturbations maritimes arrosent le littoral ou pénétrent à l'intérieur du territoire chinois selon le creusement de la dépression estivale centrée sur l'Asie centrale (schéma ci-joint).
Les paysans de Mandchourie s'impatientent. Il n'a pas plu depuis un trimestre, sécheresse sans équivalente depuis quatre décennies. Dans le Shandong, il faudrait remonter à la proclamation de la République Populaire. Des centaines de milliers de personnes sont visiblement suspendues aux bulletins météo. Autour de Pékin, le blé d'hiver a été semé. Faute d'eau, les graines risquent de ne pas donner de pousses : « près de 90% des pousses de blé d'hiver sont en danger, a averti Chen Dagang, chef du bureau météorologique de la capitale, cité par le Beijing Times. » S'agit-il d'un problème de prévision ? Forts de la connaissance de l'histoire pluri-millénaire chinoise, mais aussi des recherches plus récentes, il apparaît que le gouvernement se trouve pris de court.
Le climat chiffonne moins les autorités que sa conséquence immédiate. Le prix des matières premières augmente en effet. Ainsi la presse officielle a-t-elle annoncé l'élaboration d'un plan de 225 milliards d'euros sur cinq ans destiné à améliorer 'la distribution de l'eau' (source). La facture payée par les ménages ne suivant pas la courbe d'augmentation de la consommation, la municipalité de Pékin a entamé depuis longtemps une course perdue d'avance pour alimenter ce tonneau des Danaïdes. Mais faire payer plus cher l'eau, c'est évidemment alimenter un mécontentement déjà palpable (source). La presse étrangère friande en 'éléments de langage' se satisfait en tout cas des faits et gestes du premier ministre Wen Jiabao. Mieux vaut chercher à la source les renseignements, c'est-à-dire directement sur le site de 'Radio Chine Internationale'.
« Le Premier ministre chinois Wen Jiabao a effectué une tournée d'inspection dans la province du Henan (centre), frappée par la sécheresse, les 21 et 22 janvier 2011, en appelant à davantage d'efforts des gouvernements locaux afin de garantir la production agricole menacée par la sécheresse prolongée dans de nombreuses parties des zones de production de céréales de la Chine. [...] Durant sa tournée au Henan, le Premier ministre a inspecté des champs de blé et des instituts de recherche agricole, a rendu visite à des familles et organisé une réunion sur les mesures anti-sécheresse dans la région touchée par la sécheresse. M. Wen a souligné qu'à l'approche du printemps, les gouvernements locaux dans les régions frappées par la sécheresse devaient se préparer au plus vite, se concentrer sur la lutte contre l'actuelle sécheresse et soutenir les agriculteurs grâce à la technologie, à des équipements de secours, des fonds et des matériaux. [...] Les départements du gouvernement local doivent appliquer les technologies agricoles au plus vite pour minimiser l'impact de la sécheresse sur la production agricole et s'assurer que le blé survive à l'hiver glacial, a-t-il fait savoir. »
En Chine, le volontarisme vaguement militariste se passe d'une contrition sincère et d'une information rigoureuse. La croyance aveugle dans la réussite du modèle planifié fait sans gêne l'économie de la connaissance scientifique touchant à la météorologie. Cela étant, je note un rapprochement chaque mois plus perceptible entre la Chine communiste et l'Occident en général, et la France en particulier. La presse française reprend ainsi sans recul les déclarations du président de la République. Au sommet du G20, monsieur Sarkozy se flatte de lancer une offensive contre la spéculation sur les matières premières, et il appelle de ses vœux une régulation internationale des prix alimentaires (titre du 'Monde' du 25 janvier 2011). Mais qui proclamerait son souhait de voir la planète mourir de faim ? Je désespère de voir les esprits indépendants trop souvent privés de porte-voix. Ils existent. A un journaliste allemand qui devant lui a cité une étude concluant sur la faible incidence de la spéculation sur le prix des matières premières agricoles, monsieur Sarkozy a répondu qu'elle serait publiée le 1er avril (Usine Nouvelle) !
Si l'on en croit le Monde du 25 janvier, nombre de céréaliers français ont franchi le pas de la transgression. Ils ont jeté aux orties les circuits de distribution, et n'attendent plus rien de leurs organisations professionnelles : adieu la PAC, les négociants, les organismes stockeurs et les coopératives. Laeticia Van Eeckhout a recueilli plusieurs témoignages de gros exploitants. Ils vendent à terme pour contourner le 'diktat' du court terme. Devant la journaliste ils évoquent leur tranquillité et la transparence de leurs ventes. Un 'héritier' de vingt-huit ans (300 hectares dans le Loir-et-Cher) reconnaît une certaine inexpérience. Beaucoup suivent des formations pour savoir si la récolte sera bonne en Australie ou ailleurs ['Le journaliste, le climatologue et l'industriel']. Certains se regroupent dans des clubs pour échanger les bons tuyaux. En fin de compte, on vend avant d'avoir semé et on gagne plein d'argent. Mais un mot n'arrive que dans le dernier quart de l'article. Ces céréaliers spéculent. Tout simplement.
Qu'ils se rassurent. Ils vont pouvoir se frotter les mains, parce qu'en Chine du nord, le blé d'hiver ne va peut-être pas pousser. Vive le bon sens paysan ! En Mandchourie, on guette l'eau. En Beauce, on va pouvoir dégager des marges avec des machines subventionnées, roulant au gasoil détaxé, le tout avec des investissements défiscalisés. Au jour de l'effondrement des prix, je suis pourtant sûr de ce que l'on lira dans les journaux. On attendra alors crier au marché injuste et au retournement des prix...
PS./ Geographedumonde sur la Chine (dernier en date) : La mère des turbulences. Sur le rapport entre le climat et l'environnement : En Chine, la colère de ceux qui auront tout perdu l’emportera sur la colère de ceux qui n’ont rien à perdre.
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