Le Canada en crise - « C’est la faute aux séparatistes du Québec ! »
Le président de la France, Nicolas Sarkozy, a dévoilé à Douai son plan de relance de l’économie pour contrer la crise qui s’installe et le chômage qui est en hausse. Ce plan ne sera pas sans conséquences : 15,5 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en 2009 portant ainsi le déficit public de la France à près de 4 points de PIB l’an prochain.
Au Canada, le parlement est en crise. Il vaudrait mieux dire que le parti conservateur, au pouvoir, est en crise. Je n’ose imaginer un seul instant les conséquences si la population lui avait accordé sa confiance en élisant son chef à la tête d’un gouvernement majoritaire. Pendant que la France planche sur un plan de relance de l’économie, le premier ministre Stephen Harper, élu à la tête d’un gouvernement minoritaire, n’a pas saisi la leçon que lui a administrée la population canadienne. Il n’en fait qu’à sa tête.
Dans un énoncé économique d’une incroyable faiblesse, le premier ministre canadien ne trouve rien de moins que de priver les trois partis d’opposition des remboursements de l’État pour les dépenses encourues lors des toutes dernières élections, de priver la Fonction publique fédérale de son droit de grève, de geler les salaires et de reporter l’équité salariale des fonctionnaires jusqu’en 2011. Le document conservateur ne comportait aucune mesure de stimulation de l’économie ou d’aide aux secteurs en difficulté. Au contraire. L’approche conservatrice est simple : pour éviter un déficit, il sabre les programmes, restreint ses dépenses et vise une épargne de 4,3 milliards de dollars.
Cette décision du gouvernement conservateur minoritaire n’a fait l’objet d’aucune consultation et est contraire aux accords du G20, réuni à Washington, il y a deux semaines, qui prêchaient pour la mise en place d’un plan mondial de stimulation massive de l’économie. Le Canada était présent à Washington et avait voté en faveur de cette mesure exceptionnelle qui incluait entre autre de dépenser immédiatement jusqu’à 2 % du revenu annuel pour stimuler l’économie.
Le Parti libéral du Canada (PLC), le Parti néodémocrate (NPD) et le Bloc québécois (BQ) ont, avec raison, reproché à Stephen Harper et à son cabinet d’avoir proposé un énoncé à caractère partisan qui est rapidement apparu comme étant scandaleux dans les circonstances.
Le Devoir écrit : « Si le Bloc n’avait pas empêché le Parti conservateur de former un gouvernement majoritaire le 14 octobre, les mesures ahurissantes que James Flaherty a annoncées dans son énoncé économique de la semaine dernière auraient eu force de loi. Les dommages causés à la société canadienne auraient pu être incalculables ».
L’Opposition décide dès lors de former une alliance circonstancielle pour renverser le gouvernement de Stephen Harper et pour prendre le pouvoir en main. Elle entend présenter devant la Chambre des communes la motion de défiance suivante : « Que, devant l’échec des conservateurs de reconnaître la gravité de la situation économique et, notamment l’échec de présenter un plan crédible pour stimuler l’économie canadienne et aider les travailleurs et les entreprises des secteurs les plus durement touchés comme ceux de la fabrication, de l’automobile et des forêts, la Chambre a perdu confiance dans le gouvernement et est d’avis qu’un nouveau gouvernement viable peut être formé au sein de la Chambre des communes actuelle ».
Rien n’est plus déplaisant aux yeux de plusieurs observateurs que d’envisager un Stéphane Dion, chef démissionnaire du Parti libéral du Canada, occupant la fonction de Premier ministre du Canada. Rien n’est plus déplaisant pour le ROC (reste du Canada) que d’envisager la possibilité que la balance du pouvoir soit entre les mains d’un parti séparatiste et québécois de surcroît.
Le Bloc pouvait-il exiger des libéraux qu’ils choisissent un autre chef que Stéphane Dion, le politicien le plus impopulaire du pays, qui vient tout juste de mener son parti à la pire défaite de son histoire ? Les trois aspirants à la direction du Parti libéral du Canada, Dominic LeBlanc, Michael Ignatieff et Bob Rae, ont salué cette décision de façon unanime. La population canadienne jugera aux prochaines élections cette décision du Parti libéral de ne pouvoir, dans les circonstances, proposer un chef qui soit à la mesure des attentes des électeurs, qu’ils soient de l’Ouest ou du Québec.
Le Bloc québécois ne sera pas représenté au sein de l’équipe ministérielle de la coalition. Jusqu’au 30 juin 2010, le Bloc s’engage à ne pas déposer de motion de défiance et à ne pas appuyer celles qu’une opposition conservatrice pourrait présenter. Élus selon les mêmes règles, les députés bloquistes (BQ) ont la même légitimité que les députés conservateurs. Beaucoup de choses ont été dites sur cette nouvelle alliance circonstancielle.
« Notre régime politique est un régime parlementaire, et non un régime présidentiel », rappelle Bernard Descôteaux, du Devoir. Pour ma part, j’incline à penser que le putsch vient de Stephen Harper qui a tenté, sous le fallacieux prétexte de redressement de la situation économique, d’imposer un agenda de droite, malgré le rejet de la population canadienne. Une convention, régissant les règles parlementaires de type britannique, stipule que : « Si un Cabinet est battu à la Chambre des communes par suite d’une motion de censure ou de défiance, il doit soit démissionner, auquel cas le gouverneur général demandera au chef de l’opposition de former un nouveau Cabinet, soit demander la dissolution du Parlement, c’est-à-dire la tenue d’élections ».
Celui qui a le plus à craindre de la présente alliance circonstancielle est Stephen Harper lui-même. S’il devait être vraiment chassé du pouvoir, comme un malotru, en raison d’un vote de défiance, le parti conservateur ne lui pardonnera pas ses bévues et son caractère fantasque. La sérénité bien artificielle du PC replongera rapidement dans les abîmes des années 1960 et des luttes de pouvoir internes. Harper l’aura bien cherché.
Les conservateurs ont beau se draper dans les principes de la démocratie, cette tentative de putsch à l’égard du parlement en imposant un déni du droit de grève des fonctionnaires et en éliminant le remboursement des partis politiques illustre ce qu’aurait pu être un gouvernement majoritaire conservateur. James Moore, ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles (PCC), devrait s’imposer un examen avant de clamer haut et fort que les séparatistes veulent prendre le bureau du premier ministre.
Stephen Harper est un homme froid et calculateur. Sa rancune est tenace. Le Québec lui a fait perdre la majorité parlementaire en élisant 50 députés bloquistes (souverainistes) à la Chambre des communes. Stephen Harper ne sent aucun besoin de s’excuser pour ses bourdes puisqu’il a l’intime conviction de ne commettre aucune erreur. L’erreur, c’est les autres.
Stephen Harper a usé de tous les recours pour se soustraire à la tenue d’un vote de défiance. Il a tenté de retrancher, de son énoncé économique, les parties qui déplaisaient à l’opposition, laquelle a refusé de céder à son plan de match initial. Face à cet échec, Harper a annoncé qu’il reportait d’une semaine le vote sur la motion de défiance de l’opposition. L’objectif d’Harper était, bien évidemment, de tout mettre en œuvre pour que l’opposition ne puisse présenter en Chambre sa motion de défiance.
Car, faut-il le rappeler, une règle parlementaire, dans le système parlementaire britannique, stipule que : « La personne choisie (pour être premier ministre) doit être disposée à former un gouvernement et à s’efforcer de gagner la confiance de la Chambre des communes ». Stephen Harper a, deux mois à peine après avoir été réélu, échoué à obtenir ce lien de confiance. Pour éviter de légitimer la mise en place d’un nouveau gouvernement formé de cette alliance circonstancielle de l’opposition, Stephen Harper devait, à tout prix, contourner cette règle.
Parallèlement à ces manœuvres de diversion, Stephen Harper prend à témoin la population canadienne pour dénoncer les complots de l’opposition qui ne visent rien de moins que de renverser le gouvernement. « Pendant qu’on travaille sur l’économie, l’opposition travaille sur une entente en coulisses pour renverser les résultats des dernières élections sans le consentement des électeurs. Ils veulent s’accaparer le pouvoir, pas le gagner. Ils veulent mettre en place un gouvernement dirigé par un parti qui a reçu sa plus petite part des suffrages depuis la Confédération. Ils veulent mettre en place un premier ministre, le premier ministre Dion, qui a été rejeté par les électeurs il y a seulement six semaines », a affirmé M. Harper.
Les stratèges conservateurs ont conçu, pour parvenir à leurs fins, une campagne de communication fondée sur un « Québec Bashing ». Les vilains séparatistes veulent la destruction du pays et les partis d’opposition, libéraux et néodémocrates, font des alliances avec ces derniers. Selon Stephen Harper : « Si le chef du Parti libéral croit en ce pays, il doit prendre ses distances de ce document et admettre qu’il s’agit de la pire erreur que le Parti libéral ait jamais faite de son histoire ». Harper n’a pas hésité à affirmer, en anglais, que les libéraux trahissaient les électeurs et les « intérêts du pays » en s’alliant aux « séparatistes ».
Ce à quoi a répondu Stéphane Dion : « Le gouvernement fédéral a le devoir d’agir et d’aider les Canadiens à traverser ces temps difficiles. Stephen Harper refuse toujours de proposer des mesures pour stimuler l’économie canadienne. Le mini-budget qu’il a présenté la semaine dernière démontre que sa priorité est la partisannerie et le règlement de ses comptes idéologiques ».
Peu sensible aux objections nationales des syndicats, d’une partie de la population et de l’opposition, Stephen Harper s’est présenté devant la gouverneure générale du Canada, Michaël Jean. Après deux heures de discussion en tête à tête, et sans que son Excellence madame Jean ne veuille rencontrer l’opposition pour connaître son point de vue, elle accorde au premier ministre la prorogation de la présente session parlementaire jusqu’en janvier 2009. Comme le faisait observer un spécialiste en droit constitutionnel : « Ce chef d’État, dans le régime parlementaire britannique, règne mais ne gouverne pas ».
Les travaux reprendront avec la présentation du budget le 26 janvier prochain. D’une crise financière, le Canada est en pleine crise d’unité nationale. Grâce aux bons soins de Stephen Harper. La diabolisation du Québec, dans l’Ouest du pays, ranimera de vieilles querelles et remettra au premier plan les velléités d’indépendance de la Vieille Province. Comme l’indique Daniel Lessard, de Radio-Canada : « cette stratégie [de Stephen Harper] donne l’impression que le mandat des députés du Bloc n’est pas aussi légitime que celui de leurs collègues des autres partis. Et elle oublie que Gilles Duceppe, sans sacrifier les intérêts du Québec, s’est toujours comporté de façon responsable au Parlement fédéral ».
Le chef conservateur avait, en septembre dernier, déclenché des élections fondées « sur l’économie ». En prorogeant les travaux de la Chambre, Stephen Harper repousse de six semaines toute possibilité d’adopter un plan de relance de l’économie. Les dirigeants des trois principaux syndicats industriels du pays sont déçus. Ils jugent que cette décision équivaut à un abandon du pouvoir à un moment où les Canadiens ont le plus besoin d’un chef. « Les travailleurs n’ont maintenant plus de gouvernement à qui s’adresser, et nous ne pouvons attendre jusqu’à la fin du mois de janvier les mesures économiques qui permettront de stimuler les secteurs forestier, manufacturier, automobile et sidérurgique, entre autres, qui en ont désespérément besoin », ont affirmé les chefs syndicalistes.
L’avenir est plutôt sombre. Pour rallier le Canada anglais et sauver son gouvernement, Harper, l’Albertain, a, en rencontre de presse, exclu toute collaboration future avec le Bloc québécois, qui a pourtant remporté les deux tiers des sièges de la province aux dernières élections. Dans le cadre du prochain budget qui devrait être présenté en janvier 2009, il a invité l’opposition à travailler avec lui à la relance de l’économie tout en précisant que le Bloc québécois n’était pas visé par cette offre.
Le Premier ministre du Québec, Jean Charest, a rappelé que les députés bloquistes avaient été élus démocratiquement le 14 octobre dernier ; leur présence aux Communes est donc aussi « légitime » que celle des conservateurs, des libéraux ou des néodémocrates. « Je vis dans une société où on peut être fédéraliste, souverainiste. Les gens se respectent et la même chose devrait être vraie dans le Parlement fédéral. On n’a pas à faire un procès d’intention à quiconque parce qu’il défend une position ou une autre ».
24 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON