Le volet militaire du programme nucléaire iranien a de quoi inquiéter la communauté internationale dans son ensemble. Cela pour trois raisons majeures. Primo : l’Iran est le seul pays ayant appelé à rayer de la carte un Etat – Israël – membre à part entière du concert des nations ; aussi, si l’Iran parvenait à posséder la bombe atomique, il serait en mesure de mettre son appel à exécution. Secundo : l’Iran étant signataire du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), l’acquisition de la bombe atomique par ce pays rendrait caduc le TNP, ouvrant les portes à un monde aux risques inédits. Tertio : d’autres Etats de la région, qui pour des raisons diverses éprouvent de la méfiance envers l’Iran (la Turquie, l’Egypte, l’Arabie saoudite, par exemple), s’empresseraient à leur tour de se procurer cette arme, amplifiant ainsi d’une manière considérable le spectre d’un embrasement généralisé dans une région du monde – le Moyen-Orient – qui a déjà assez de conflits explosifs à résoudre ou à gérer.
De par l’importance du dossier iranien, il n’est pas exagéré d’affirmer que cette question s’invitera aux débats de la campagne présidentielle américaine de 2012. Si, malgré l’offre de dialogue faite à l’Iran par l’actuel locataire de la Maison Blanche et les pressions coordonnées de membres éminents de la communauté internationale, l’Iran persiste dans son intention à peine voilée d’obtenir l’arme atomique, alors le président Obama pourrait voir compromises ses chances de remporter les élections. En effet, les Américains lui reprocheraient alors de n’avoir pas su lever l’hypothèque représentée par un Iran sur le point de devenir puissance nucléaire.
D’où les démarches incessantes de l’administration américaine pour faire adopter à l’ONU un renforcement des sanctions à l’adresse du régime iranien, et ce dans le but d’amener celui-ci à respecter ses engagements en matière de non-prolifération.
Il ne faut pas toutefois trop miser sur l’efficacité de telles sanctions. Car on peut faire confiance à la Chine, peut-être même à la Russie aussi, pour édulcorer les nouvelles sanctions jusqu’à les rendre inopérantes ou, le cas échéant, pour aider l’Iran à les contourner.Trop d’intérêts – géostratégiques, commerciaux et autres – poussent ces deux membres permanents du Conseil de sécurité à ne pas s’aliéner la sympathie du régime de Téhéran.
Par ailleurs, l’on parle déjà de l’existence d’un plan russe destiné à fournir de l’essence à l’Iran, via l’Azerbaïdjan et le Turkménistan, en cas de renforcement des sanctions.
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Pour les Etats-Unis, il restera in fine la voie militaire. Un passage du discours du président Obama lors de la remise du prix Nobel de la Paix, en décembre 2009 à Oslo, laisse entrevoir qu’il n’exclut pas d’emprunter un tel chemin. En voici le passage : « Des moments viendront où des nations – agissant individuellement ou en concertation – trouveront l’usage de la force non seulement nécessaire mais aussi moralement justifié. » A quoi d’autre le président Obama pouvait-il songer, en prononçant cette phrase, si ce n’est au contentieux avec l’Iran ?
Certes, le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, avait précédemment déclaré qu’une attaque contre les sites nucléaires iraniens ne ferait que repousser la date à laquelle l’Iran pourrait développer la bombe atomique – les sites se trouvant trop cachés et trop éparpillés pour être entièrement atteignables par des raids aériens.
Or, la destruction de ces sites n’est pas la seule option militaire à la disposition de l’état-major américain ; les Etats-Unis pourraient plutôt être tentés de cibler la moelle épinière du régime, c’est-à-dire les principales installations des Gardiens de la Révolution, afin d’induire le régime iranien à obtempérer aux injonctions de la communauté internationale
[2]. A l’instar, si l’on veut, de ce que fit avec succès le président Reagan en 1986 en lançant des raids aériens sur les centres du pouvoir libyen dans le but d’obliger Mouammar Kadhafi à cesser son soutien au terrorisme.
C’est dans le cadre d’une éventuelle action militaire contre l’Iran qu’il conviendrait de placer, pour mieux l’analyser, le différend qui oppose l’administration Obama au gouvernement israélien à propos des implantations juives en Cisjordanie et des permis de construire à Jérusalem-Est.
A ce sujet, l’administration Obama n’avait pas besoin de choisir la voie publique pour exercer des pressions sur Israël dans ce domaine. Elle aurait pu agir plus discrètement auprès des dirigeants israéliens – comme elle le fait, d’ailleurs, quand elles traitent avec les dirigeants palestiniens. Il faut donc chercher les raisons qui ont conduit les Etats-Unis à préférer la confrontation au grand jour avec l’Etat hébreu.
C’est là que pourrait entrer en ligne de compte le dossier iranien. En effet, si l’administration Obama envisage d’utiliser l’option militaire face à l’Iran – comme pourrait bien être le cas selon l’argumentation développée dans cet article –, alors elle a intérêt à s’assurer la collaboration la plus large possible, y compris en matière logistique, des Etats arabes de la région. Aussi n’est-il pas invraisemblable que les Etats-Unis aient sciemment fait connaître leur actuelle mésentente avec Israël dans le but de se rapprocher du monde arabo-musulman avant le déclenchement d’une opération militaire en Iran.
Et même, à supposer que la querelle avec Israël ne fut pas délibérément ébruitée par les Etats-Unis dans l’objectif susmentionné, le fait que cette querelle ait eu lieu, et surtout qu’elle soit arrivée à la connaissance du public, obligera le président Obama à se montrer dorénavant plus ferme à l’égard de l’Iran. Comment, en effet, pourra-t-il justifier, aux yeux des électeurs américains, ses pressions publiques sur Israël si, en même temps, il fait preuve de mollesse vis-à-vis des ambitions nucléaires iraniennes ?
Un tel deux poids, deux mesures au détriment d’Israël – et au bénéfice de l’Iran – ne peut que nuire au président Obama auprès de l’électorat américain. Pour mémoire : un récent sondage Gallup montre que le soutien des Américains à Israël n’avait jamais été aussi fort, au cours de la dernière décennie, qu’il ne l’est aujourd’hui ; 63 pourcent des Américains déclarent sympathiser avec Israël dans le conflit qui oppose l’Etat juif à la partie arabo-palestinienne. Il serait difficile pour le président Obama d’ignorer l’état de l’opinion américaine en ce domaine sans mettre en péril sa réélection.
La question iranienne et le contentieux israélo-arabe se trouvent ainsi liés inextricablement. D’un côté, les Etats-Unis ne pourront guère rallier le soutien effectif des nations arabes à une action en Iran s’il n’y a pas simultanément reprise du dialogue israélo-arabe. Mais, de l’autre côté, les électeurs américains ne sauront comprendre, et encore moins approuver, que le président Obama s’en prenne à un allié comme Israël sans faire preuve de fermeté à l’égard d’un adversaire comme l’Iran.
Conclusion : ou bien la brouille entre les Etats-Unis et Israël marque le prélude à une action musclée des Etats-Unis en Iran, ou bien cette brouille risque de se retourner en 2012 contre l’actuel président des Etats-Unis.
· Ecrivain et ancien fonctionnaire international. Son dernier ouvrage,
Ternes Eclats – Dans les coulisses de la Genève internationale (L’Harmattan), présente une critique de la diplomatie multilatérale.
[1] Voir article d’Alain Barluet sur le nucléaire iranien dans
Le Figaro du 1er octobre 2009, p.5.
[2] Voir l’article de cet auteur « Face aux desseins nucléaires de l’Iran, il existe plus d’une option militaire »,
Jérusalem Post Edition Française, 13.01.10.