Le divorce de la Maison Blanche et de ses espions
Le rapport National Intelligence Estimate, document préparé par les agences de renseignement américaines,est l’expression d’un consensus entre seize services d’espionnage à l’intérieur du gouvernement américain. Ce rapport confidentiel, assemblé fin avril, est le premier depuis la guerre en Irak, et il affirme, contrairement aux allégations de la Maison Blanche, que la guerre en Irak a contribué à rendre le monde plus dangereux. Jour après jour, ce pavé dans la mare mine davantage la stratégie électorale des républicains.
Le rapport National Intelligence Estimate est un document préparé par les agences de renseignement américaines, et présente une estimation globale du terrorisme. En résumé, ce rapport sur les tendances du terrorisme affirme de façon austère que l’invasion américaine et l’occupation de l’Irak ont contribué à faire proliférer une nouvelle génération de radicalisme islamiste, et que la menace terroriste globale a augmenté depuis les attaques du 11 septembre.
Les fuites anonymes sur ce rapport, révélées dans un article du New-York Times le 24 septembre (« Spy Agencies Say Iraq War Worsens Terrorism Threat », par Mark Mazzeti, Foreign Desk), proviennent de plusieurs officiels à Washington, parlant sous couvert d’anonymat, vu le caractère classé du rapport. Son titre exact est : « Tendances dans le terrorisme global : implications pour les Etats-Unis ». Une section d’introduction du rapport, nommée « Indicateurs de l’extension du mouvement jihadisme global », cite la guerre en Irak comme une raison de la diffusion de l’idéologie jihadiste.
La presse et les médias français sont restés étrangement silencieux sur cette affaire ; pourtant, les articles se multiplient jour après jour sur le NY Times et autres journaux d’outre-Atlantique. C’est la raison pour laquelle j’en transcris et commente ici de larges extraits.
Ce rapport est évidemment très gênant pour l’administration Bush, car la Maison Blanche venait juste de publier un rapport à l’occasion des commémorations du 11 septembre qui clame que depuis les attaques du 11 septembre, grâce notamment à la guerre en Irak, l’Amérique et ses alliés sont plus en sécurité. Ce rapport, nommé « 9/11 cinq ans après : succès et défis » affirme : « Nous avons fait beaucoup pour affaiblir Al Qaeda et ses affiliés, et pour amoindrir la légitimité perçue du terrorisme. »
La seule concession que ce document de propagande de la Maison Blanche fasse à l’influence négative de la guerre en Irak est la suivante : "Le combat pour la liberté en cours en Irak a été déformé par la propagande terroriste qui en a fait un cri de ralliement".
Cela fait maintenant deux ans que la tension entre l’administration Bush et les agences de renseignement américaines est palpable, sur le sujet de la violence en Irak et sur les perspectives de démocratie stable dans ce pays. Un certain nombre d’officiels du renseignement ont répété que la Maison Blanche avait, de manière constante, présenté une image de la situation en Irak beaucoup plus optimiste que justifiée par les rapports de renseignement provenant du terrain. On avait remarqué, en effet...
Mark Mazzeti continue son article en précisant que ce rapport confidentiel s’ajoute aux autres estimations effectuées par les alliés des Américains ou par les experts indépendants du terrorisme. Par exemple, le panel d’enquêteurs britanniques sur les attentats terroristes de Londres en juillet 2005 rapportait que le MI5 et le MI6 avaient insisté auprès du comité sur l’échelle croissante de la menace terroriste islamiste. Plus récemment, le Council on Global Terrorism, un groupe de recherche indépendant d’experts respectés en terrorisme, critiquait sévèrement l’action des USA et concluait : « Il est évident qu’une radicalisation du monde islamique est davantage en extension qu’en contraction. »
Nous dirons que les opinions européennes ne sont pas surprises. Nos propres gouvernants se sont opposés à cette guerre, convaincus que cela rendrait le monde plus dangereux qu’il ne l’était déjà. Ce qui est nouveau, c’est de commencer à voir l’effet, dans la durée, que cet interminable chaos irakien a sur l’opinion américaine, et sur l’administration américaine. Le schisme qui se développe entre la Maison Blanche et les agences de renseignement en est un signe remarquable, et peut-être inquiétant.
Difficile de se réjouir de ce divorce qui semble se dessiner entre l’administration Bush et les espions américains. On peut en attendre davantage d’incohérence, car il est peu probable que Bush se désavoue lui-même. Le risque existe aussi que la Maison Blanche s’enferme davantage dans des logiques de cabinet noir, un fonctionnement autiste, et dans des aventures parallèles déconnectées de la gouvernance normale constitutionnelle.
Mais ce qu’y voient surtout les commentateurs américains, c’est la fin de l’avantage politique des républicains sur les démocrates, en cette année de pré-élections. Car toute la stratégie de campagne républicaine repose sur l’idée que la politique guerrière est plus à même de lutter contre le terrorisme que la faiblesse supposée de démocrates de retour aux affaires. Ce rapport des renseignements détruit sans état d’âme cette argumentation.
C’est ce que relève par exemple Adam Nagourney dans son Political Memo - « Dispute on Intelligence Report Disrupts Republicans’ Game Plan », du 28 septembre, toujours dans le NY Times. Je le cite :
« La polémique sur le National Intelligence Estimate a mis en danger le scénario de pré-élection dans lequel la Maison Blanche cherchait à mettre les démocrates sur la défensive sur le sujet de la sécurité nationale. Tel que la Maison Blanche l’a vu, c’était la semaine au cours de laquelle les républicains ont perdu l’avantage et leur meilleur atout électoral... »
En fait, c’est peut-être bien ce 24 septembre, par l’entremise d’un rapport sans complaisance des si décriées agences de renseignement américaines, qu’a basculé la tendance électorale, précipitant la défaite des bushistes. Dommage que les médias français n’aient pas relevé la chose...
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