Le nord-est australien inondé : la faute à la Niña ?
Alors que les autorités australiennes annoncent l’arrêt de la crue du fleuve traversant Brisbane, la presse se fait écho d’un mécanisme météorologique soudain présenté comme ’responsable’ de la catastrophe. Il y a pourtant beaucoup à dire sur ’l’australian way of life’...

Marie-Morgane Le Moël livre dans 'Le Monde' du 14 janvier la clef de compréhension des inondations du nord-est de l'Australie en ce début d'année 2011. La responsable a un nom, la Niña, « à l'origine des graves inondations en Australie ». Des précipitations étalées sur plusieurs semaines ont saturé les nappes, avant de favoriser un gonflement des cours d'eau dans le bassin-versant, puis dans le fleuve collecteur. Une crue 'historique' du fleuve qui traverse Brisbane (photo) et porte le nom de la ville (4,46 m. le 12 janvier) marque l'issue logique de l'enchaînement des événements. On déplore une quinzaine de morts, mais les médias font état de dizaines de disparus, parmi lesquels beaucoup piégés dans leurs voitures. Le coût des dégâts s'élèvera à plusieurs milliards de dollars.
En tant normal, le nord-est de l'Australie reçoit ses maxima pluviométriques au cours de l'été austral (décembre - février). A Brisbane, cinq mois se distinguent par des précipitations supérieures à 100 millimètres : novembre, décembre, janvier, février et mai. Les températures moyennes montent à la même période, situées entre des minima à 18 °C et des maxima à 29 °C. Ces courbes indiquent bien les tendances - à défaut de l'ampleur - en accusation dans le déluge en cours dans le nord-est australien.
Le phénomène climatique dénommé 'Niña' tire son nom d'un jeu de mots, allusion directe au phénomène 'El Niño'. Celui-ci intervient à la fin de l'année à l'autre bout du Pacifique, au large des côtes du Chili et du Pérou, quand la circulation atmosphérique se modifie ('circulation de Walker'). Les alizés cessent de repousser vers l'ouest, c'est-à-dire vers l'Australie les eaux chaudes du Pacifique équatorial. Le courant marin froid de Humbolt s'interrompt et les pluies se déversent dans les zones désertiques du littoral sud-américain [El Nino, synecdoque ou métonymie ?]. La 'Niña' représenterait une sorte de réplique australienne du phénomène précédent : voir schéma en-dessous. L'interdépendance systématique entre les deux phénomènes reste à démontrer. A titre d'exemple, à la fin de l'année 2010 le Pacifique oriental n'a pas subi 'El Niño'. Les fortes pluies tombées sur le Queensland en décembre et janvier démontrent à mon sens la corrélation entre l'accumulation des eaux chaudes dans la partie du Pacifique la plus proche de l'Australie et le cycle d'évaporation - précipitation sur l'île-continent : ni plus, ni moins. L'expression de 'Niña' devrait donc servir à qualifier une situation météorologique 'plus que normale', et non inverse à la normale.
Davantage qu'une comparaison avec ce qui passe exceptionnellement au Chili et au Pérou, touchant des populations moins riches et des Etats moins organisés, il faut plutôt chercher une comparaison plus au nord (comme on le fait ici à la Réunion). Car l'Australie subit accidentellement un phénomène saisonnier dans l'hémisphère nord : la Mousson. Qu'est ce que la Mousson, si ce n'est une conjonction de facteurs géographiques ? Je retiendrai l'affaiblissement d'un anticyclone continental, la poussée d'eaux chaudes océaniques par delà l'équateur - océans Indien et Pacifique agissent de façon similaire - la pénétration de vents marins chargés de cette humidité et enfin la butée sur des reliefs plus ou moins proches des littoraux. Evidemment, les Alpes australiennes font figure de montagne à vaches rapportées à la chaîne himalayenne. Le mont Kosciuscko culmine à 2.200 mètres.
En même temps, les contreforts montagneux, dans la région de Brisbane ferment très vite une plaine littorale réduite à quelques kilomètres. Les précipitations dites 'orographiques' parce qu'elles résultent d'une élévation-refroidissement d'un air marin saturé d'humidité n'en sont que plus fortes. Et le fleuve Brisbane réagit de la même façon que le Gange ou le Brahmapoutre alimentés par les pluies de Mousson. Ainsi, l'Australie et le sous-continent indien ne partagent pas seulement une même appartenance au Commonwealth. Alors faut-il insister sur le caractère exceptionnel de cette 'Mousson' ? Brisbane a connu d'autres inondations aux XIX et XXème siècle (l'année généralement citée est 1974). La ville a de surcroît une histoire courte, officiellement créée après la fermeture de la colonie pénitenciaire dans les années 1840 [voir Quand les aïeuls trinquent, les descendants dégustent…] et la désignation de la ville comme capitale de l'Etat du Queensland en 1859 (source).
A l'heure où je rédige, le pic de la crue s'est arrêté en-dessous de cinq mètres à Brisbane. La journaliste du 'Monde' prévient toutefois que la Niña peut encore sévir : 'Vilaine Niña'. On peut en tout cas supposer le passage de futures perturbations, en regardant l'image satellite (après) de l'Océanie du 13 janvier.
Au lieu d'incriminer une déesse céleste, on gagnerait cependant à jeter un oeil sur les déplacements de la population australienne. L'attrait pour les littoraux ensoleillés observé en Méditerranée [Guigne en Méditerranée ?] ou en Californie trouve en effet son exacte réplique dans le Queensland : l'idée que la vie au soleil est plus simple. La croissance démographique y est deux fois plus importante que la moyenne nationale. Les communes littorales ont tenté d'accompagner le boom, mais les recettes restent en deçà, à cause du chômage saisonnier et de la médiocre qualification des emplois balnéaires. L'agglomération de Brisbane s'étale avec comme seule limite le Pacifique, se prolongeant vers le nord en direction des stations balnéaires donnant sur Moreton Bay (Woody Point, Margate, Redcliffe ou Scarborough) : deux millions d'habitants occupant une centaine de km² [carte]. Rien ne paraît pouvoir arrêter l'urbanisation du littoral du Queensland. Comme l'indiquait en 2006 'Courrier International', la télévision australienne a même imaginé un série décrivant le déménagement et la nouvelle vie d'une avocate de Melbourne. 'Seachange' aurait remporté un grand succès et donné des idées à des télespectateurs [Une poignée de noix fraîches]. Rien ne dit que les présentes inondations renverseront le phénomène : l'attirance pour la 'dolce vita' à l'australienne aura encore la vie dure : cet exemple de voyageurs ou celui-ci d'un étudiant français en témoigne. Et après tout, qui sait si la vilaine Niña reviendra un jour ?
A tous ces adeptes de la belle vie sous les tropiques, il serait facile de rappeler la fragilité de l'idéal piscine-cocktail-barbecue. Mais le moralisme à deux sous ne convainc personne et ne ressuscitera pas les défunts. Il y a plus instructif. A chaque catastrophe touchant les régions frappées d''héliotropisme' - barbarisme forgé pour décrire le boom démographique des littoraux 'au soleil' -, on constate que la volonté de s'extraire du lot commun, d'affirmer une coupure avec le reste de la société fonctionne sous le soleil et au bord de la plage. Je note en revanche qu'au jour des ennuis, les sinistrés se souviennent brusquement de leurs semblables. Pour l'heure, l'Etat australien parvient à organiser les secours et à coordonner les bonnes volontés bénévoles. Si l'épisode se prolonge, les moyens matériels humains et matériels de l'armée et des forces de l'ordre australiennes suffiront-ils ? On signale en effet de nombreuses personnes refusant de quitter leurs domiciles en passe d'être engloutis... Des barrages menacent de céder, en amont de Brisbane.
Les bases du miracle australien demeurent ? Le Queensland tire en partie sa croissance économique de l'exploitation du charbon et du cuivre exportés vers la Chine. On savait les activités primaires dépendantes des fluctuations des prix internationaux. Compte tenu du blocage des mines et des infrastructures de transport à la suite de intempéries, on retiendra en outre l'exposition aux risques naturels...
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