Le préservatif, un dialogue de sourds
Les derniers propos du pape sur le préservatif lors de son voyage en Afrique ont provoqué une large polémique. Et celle-ci atteint les rangs même des responsables politiques.
La position du pape sur la question n’est pourtant pas nouvelle : l’Église catholique a toujours défendu le même point de vue. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que les responsables politiques prennent position contre la doctrine d’une religion.
Et cela paraît totalement justifié. La logique qui est opposée aux propos du pape est irréfutable : le préservatif est le moyen de contraception qui permet d’éviter de transmettre le virus du sida. En déconseiller l’usage est donc un acte irresponsable propre à causer la mort d’un grand nombre de personnes.
Ce raisonnement est parfaitement juste. Seulement, derrière la tempête médiatique provoquée par des mots extraits d’une allocution, quelles sont les véritables idées véhiculées par le pape ? Est-il possible qu’un chef d’une religion censée véhiculer l’amour de Dieu et du prochain puisse s’opposer ainsi à la préservation de la vie ?
Les propos du pape prennent racine dans la doctrine de l’Église catholique. Contrairement aux idées reçues, celle-ci considère que l’acte sexuel est quelque chose de particulièrement beau et sain. Tellement beau et sain qu’il mérite de ne se vivre qu’avec un amour vrai et profond. Un tel amour n’ayant pas de raison de prendre fin, le mariage en est le signe. A contrario, une relation sexuelle vécue de façon anodine, pour le simple plaisir des sens mais sans véritable amour de l’autre, est vue comme une chose qui fait du mal : à soi-même comme à autrui.
Beaucoup jugeront cette vision inapplicable. D’autres l’approuveront. Mais continuons ce raisonnement jusqu’au bout. Si l’on suit cette doctrine, alors effectivement elle prémunie de la transmission de maladies sexuellement transmissibles, car si deux personnes qui n’ont jamais eu de relations sexuelles s’unissent dans un mariage et restent fidèles l’une à l’autre (après, pourquoi pas, avoir fait un test de dépistage), elles n’attrapent pas de maladie. A contrario, des personnes qui banalisent la relation sexuelle multiplient leur chance d’en attraper.
Et le préservatif dans tout ça ? Et bien, si on continue sur ce raisonnement, il peut inciter à banaliser l’acte sexuel, en masquant l’importance qu’il revêt, puisqu’il permet « l’amour sans risque » ! Mais l’effet pervers est qu’au bout d’un certain temps, on finit par ne plus avoir envie de l’utiliser. Ou on peut oublier de le mettre. Tous les hommes qui s’en sont servis ne pourront nier ce risque-là. Et pourtant ! Le sida, il suffit d’une fois – d’une seule ! – pour l’attraper.
La conclusion de ce raisonnement, c’est qu’une vie sexuelle conforme à l’idéal catholique protège mieux du sida qu’une banalisation de l’usage du préservatif, qui paradoxalement peut augmenter le risque en banalisant le sexe.
Bien évidemment, ce raisonnement est discutable sur beaucoup de points, car il demande l’adhésion à un certains nombres de principes. Mais dans l’absolu, personne ne pourra nier qu’il n’est pas juste ou qu’il ne se base pas sur un idéal de protection de la vie humaine.
Alors, que penser ? Plutôt que d’opposer les deux raisonnements, celui pour le préservatif et celui contre, n’y a-t-il pas moyens de les assembler ? Ces deux raisonnements ne sont-ils pas, au fond, complémentaires ? N’est-il pas possible de dire que même s’il vaut mieux tendre vers une vie la plus proche possible de cet idéal chrétien, il vaut mieux utiliser le préservatif dans une relation sexuelle banalisée que de ne pas s’en servir du tout ? C’est en tout cas le message que faisait passer Monseigneur Di Falco, évèque de Gap, dans une interview.
Alors, comment se fait-il que le pape, un théologien d’une grande compétence et certainement d’une grande intelligence, ne soit pas capable d’assembler ces deux raisonnements ? La réponse est évidente : comme beaucoup l’ont déjà dit, le pape se donne comme mission d’indiquer l’Idéal. Il juge que son message serait altéré s’il commençait à y mêler d’autres raisonnements. Il estime qu’il ne peut pas se le permettre, car des personnes qui portent aussi fort un idéal dans le monde, il n’y en a pas tant que ça.
Cette prise de position est peut-être discutable, mais l’idéal qui l’anime, lui, ne l’est pas.
Et les responsables politiques alors ? Eux qui sont tout aussi intelligents, après avoir fait l’ENA pour la plupart, ne sont-ils pas capables de comprendre vraiment le message du pape ? Ne peuvent-ils pas assembler les deux raisonnements plutôt que de fustiger le chef de l’Église catholique ? La réponse est tout aussi évidente : peut-être que l’ENA n’est pas une preuve suffisante d’intelligence en soi, car sinon, le pays se porterait mieux. Mais si malgré tout nos responsables politiques ont compris le pape, le fait qu’ils le critiquent n’est pas étonnant, puisqu’ils recherchent non pas à éclairer leurs électeurs mais à les séduire.
En somme, tout le contraire du pape : un raisonnement indiscutable, mais un idéal, qui lui, ne l’est pas du tout.
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