Le rationnement de l’essence en Iran : quelles conséquences ?
Le rationnement de l’essence a commencé hier en Iran, le deuxième producteur de pétrole de l’OPEP, pour une période de quatre mois. Cette décision a été très mal accueillie par la population, et a donné lieu à des violences aux abords des stations-service. Cette situation paradoxale pour le deuxième pays producteur de l’OPEP pourrait avoir des conséquences politiques assez importantes pour le gouvernement d’Ahmadinejad dans un contexte déjà très incertain.
Depuis 00 h 00 le mercredi 27 juin, les automobilistes iraniens voient
leur consommation d’essence limitée. Les particuliers ne pourront
acheter que 100 litres d’essence par mois, les chauffeurs de taxi
officiels 800 litres par mois et les chauffeurs de taxi privés
officiellement enregistrés 600 litres par mois. Les voitures des
officiels seront quant à elles limitées à 300 litres par mois. Dans un
pays où le prix de l’essence est largement subventionné, et où l’accès
au combustible fossile est considéré par la population comme un droit
naturel, la décision de limiter la consommation d’essence a été très
mal accueillie par la population. Des affrontements entre clients ont
eu lieu dans les stations-service, et des manifestations spontanées
ont eu lieu dès la nuit de mercredi à jeudi. Des autoroutes ont été
bloquées à Téhéran, des stations services ont été brûlées et la police
anti-émeutes a été déployée dans plusieurs quartiers de Téhéran pour
s’opposer aux jeunes qui leur lancaient des pierres en entonnant des
slogans anti-Ahmadinejad1. Quelles sont les raisons et quelles
pourraient être les conséquences de ce rationnement qui peut sembler
paradoxal chez l’un des plus grands producteurs de pétrole au monde ?
Ce rationnement a été annoncé par le gouvernement deux heures avant son
entrée en fonction. Les automobilistes se sont vus attribués des
carnets de rationnement leur permettant d’acheter de l’essence, et les
stations-service sont équipées pour accepter ces coupons. Le
gouvernement n’a pour l’instant pas prévu d’accorder le droit de vendre
de l’essence hors quota. Les automobilistes iraniens sont inquiets,
d’autant plus que pour les citadins (2/3 de la population iranienne),
l’automobile joue un rôle très important pour les ménages2. Des
embouteillages se sont formés dès mercredi matin aux abords des
stations-service, qui étaient parfois protégées par la police.
Le gouvernement iranien a été obligé d’imposer un quota car les
capacités de raffinage de l’Iran sont insuffisantes, malgré sa
production de 4 millions de barils de pétrole par jour. L’Iran est
obligée d’importer près de la moitié de son essence (les raffineries
iraniennes produisent 44,5 millions de litres d’essence par jour alors
que la consommation quotidienne est actuellement de 79 millions de
litres). Selon Ali Farahani, directeur de la distribution des produits
pétroliers, le budget de 2,5 milliards USD alloué à l’achat d’essence
pour l’année iranienne (qui se termine le 20 mars 2008) sera épuisé
avant fin juillet. Le prix de l’essence, malgré une augmentation de 20 %
ces derniers jours, reste très fortement subventionné. Le litre
d’essence est ainsi passé de 800 à 1000 rials (1000 rials = 0.082 euro).
Ce prix ne représente qu’un cinquième du coût du litre sur les marchés
internationaux. Cette situation est rendue encore plus difficile avec
l’explosion de la consommation d’essence. De nouveaux véhicules
iraniens arrivent sur le marché, sans que les anciens soient retirés.
Le problème de la capacité de raffinage existe depuis la fin de la
guerre Iran-Irak, qui a causé la destruction des raffineries de pétrole
iraniennes. La remise en état des raffineries n’a été que partielle du
fait des sanctions internationales subies par la République islamique
d’Iran et de la difficulté des multinationales à investir dans ce pays.
La situation étant devenue critique, des initiatives ont été mises en
place afin d’augmenter la capacité de raffinage. En effet, au mois
d’avril, l’Iran entamait des négociations avec l’Arménie et la Russie
afin de construire une grande raffinerie à la frontière
arméno-iranienne, qui permettrait d’approvisionner le marché
iranien3.
Cette décision d’imposer un quota sur la consommation met le président
Ahmadinejad dans une situation délicate vis-à-vis de la base populaire
qui l’a élu, lui qui promettait durant sa campagne en 2005 d’amener «
l’argent du pétrole sur la table » des Iraniens. A Téhéran (qui
concentre la moitié des véhicules iraniens) et dans les autres villes
d’Iran, les revenus de ceux qui se servent de leur voiture personnelle
pour faire le taxi collectif (māshin-e savāri)
risquent de souffrir de cette décision. Ceux-là sont ceux qui n’ont pas
de travail fixe ou qui veulent arrondir leurs fins de mois4. De plus,
les quotas imposés sur la consommation d’essence pourraient causer une
augmentation des prix du transport, qui alimentera plus avant
l’inflation. La politique économique du gouvernement de M. Ahmadinejad
a déjà été critiquée au début du mois de juin 2007 par 57 économistes
iraniens. Le 11 juin, ces économistes, dont Mohammad Satari-Far (ancien chef de l’organisation du plan et du budget) et Hossein
Abdeh Tabrizi (ancien directeur de la Bourse de Téhéran), écrivaient
une lettre ouverte à leur président dans laquelle ils signalaient que
les politiques monétaires et bancaires adoptées par le gouvernement
allaient à l’encontre de leur objectif de justice sociale. Ils
ajoutaient également que ces décisions avaient un prix très élevé, et
particulièrement pour les plus pauvres. L’inflation devrait atteindre
17 % pour l’année iranienne 1386 (2007-2008) selon les projections de
la banque centrale. Ce chiffre pourrait même être plus élevé selon
certains économistes5.
Alors que certains députés iraniens suggèrent l’augmentation du prix de
l’essence pour se rapprocher des prix du marché, M. Ahmadinejad et son
gouvernement refusent, car cela irait à l’encontre de leur politique
visant à améliorer les conditions de vie des pauvres.
Washington a compris que les importations de pétrole de l’Iran étaient
un levier important sur l’Iran, et pourraient brandir cette arme dans
le bras de fer qui les oppose à Téhéran au sujet du programme nucléaire
iranien.
Le rationnement du pétrole est ainsi un sujet hautement politique et
dangereux pour le gouvernement de M. Ahmadinejad, et le sujet est déjà
débattu dans la classe politique, les journaux et au sein de la
population. On voit bien que les conséquences de cette décision
impopulaire pourraient être bien plus étendues qu’une simple
restriction des déplacements automobiles.
Notes :
1 : Iran fuel rations spark violence, BBC, 27 juin 2006
2 : Manochehr Riahi, « Automobile’s role in the future of transportation system, Tehran as an example », Trafikdage, Ålborg University, 19-20 août 1996
3 : L’Arménie, l’Iran et la Russie vont entamer des discussions pour la construction d’une raffinerie de pétrole, Nouvelles d’Arménie, 19 avril 2007.
4 : Vincent Lepot, « L’impact de la mégapolisation sur une urbanité
bien réglée. Quatre phases dans l’évolution du quartier
Pirousi-Parastar. », présenté au cours de la séance Téhéran sous Elbourz, "L’air est meilleur là-haut" dans le cadre du séminaire sur la diversité citadine organisé en octobre 2000 par le Centre de Prospective et de Veille Scientifiques et Techniques.
5 : « Iran economists warn Ahmadinejad on inflation », Middle East Times, 11 juin 2007.
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