Le retour de la race ?
Après plusieurs mois d’absence, la thématique de la race fait un retour fracassant dans la campagne présidentielle américaine. On se souvient que les déclarations controversées d’Hillary Clinton sur Martin Luther King avait provoqué un tollé, il y a plusieurs semaines. Qu’en est-il aujourd’hui ?
À mesure que la date de l’élection présidentielle américaine se rapproche (dans moins de 100 jours), les débats se focalisent et les polémiques enflent, comme cela était prévisible, sur un thème ultrasensible : la question raciale. La semaine dernière a donné un aperçu du caractère explosif de ce sujet et a montré à quel point l’emploi des mots pouvait réveiller des tensions encore bien vives dans la société américaine.
C’est d’abord à une partie de ping-pong verbal que se sont livrés Barack Obama et John McCain, en veillant néanmoins à ne pas frapper trop fort, afin de pouvoir riposter aux salves de l’adversaire. Le sénateur démocrate de l’Illinois avait d’abord affirmé que McCain essaierait de "faire peur" aux électeurs en leur faisant croire qu’« il (Obama) n’est pas suffisamment patriote, qu’il a un nom étrange, qu’il ne ressemble pas aux autres présidents qu’on voit sur les billets, qu’il est dangereux ». L’état-major de McCain avait alors répliqué, en accusant Obama de jouer la carte raciale. Le candidat démocrate enfin a rétorqué que McCain déformait ses propos, car il n’avait jamais taxé son opposant de racisme, mais de cynisme électoral.
Puis, il y a eu cet incident intervenu au cours d’un meeting de Barack Obama sur l’économie, prononcé en Floride. Interrompant le candidat en plein discours, trois jeunes Afro-Américains, militants de « l’Internationale de la révolution africaine, ont déployé une banderole sur laquelle était inscrit "Que fais-tu pour la communauté noire, Obama" ». Ce dernier a accepté de leur répondre quelques minutes plus tard. Un peu balbutiant au début, Obama s’en est finalement sorti en rappelant ses engagements de longue date en faveur des Noirs américains (notamment lorsqu’il était avocat des droits civiques) et en jouant la carte de l’unité sociale.
Que faut-il retenir de ces accusations tous azimuts, qui risquent de se poursuivre jusqu’à l’ultime jour de campagne ? Il apparaît d’abord évident que l’élection à venir est un tournant crucial pour la cohésion de la société américaine. Bien que Barack Obama refuse de se laisser enfermer dans le carcan réducteur et dégradant de sa couleur de peau, la possible accession d’un métis à la présidence de la plus grande puissance mondiale représenterait, ne serait-ce qu’au niveau du symbole, un pas considérable, près de quarante-cinq ans après le Civil Rights Act. Elle prouverait au monde que les Américains sont capables de dépasser leurs préjugés et leurs haines ancestrales et contribuerait sans doute (même si ce n’est que de manière cosmétique) à redorer l’image des Etats-Unis dans de nombreux points du globe. D’autant que les forts taux de participation aux primaires démocrate et républicaine, s’ils se confirment le jour du scrutin de novembre, laissent augurer d’une importante légitimité populaire pour le prochain président élu. Une victoire de McCain serait toutefois loin d’être un échec pour la concorde nationale tant la simple présence d’Obama à ce stage et ses réelles chances de l’emporter représentent déjà un succès immense de la démocratie américaine. De plus, le candidat républicain, qui n’a jamais eu à souffrir d’accusations sérieuses de racisme, pourrait œuvrer pour un apaisement des tensions, comme l’ont fait par le passé Lyndon Johnson ou Bill Clinton.
Cependant, on peut aussi comprendre ces controverses d’une manière beaucoup plus prosaïque, qui s’expliquerait par des stratégies électorales et des tactiques politiciennes de chacun des camps. D’un côté, McCain chercherait à s’assurer du vote des classes moyennes blanches dans les fameux swing states, tels que l’Ohio, ou la Floride, en insistant sur la potentielle « dangerosité » de Barack Obama pour les Etats-Unis. On note d’ailleurs déjà plusieurs tentatives, n’ayant cependant pas toujours eu comme source le camp républicain, de semer le trouble quant aux origines du sénateur démocrate (est-il musulman, voire islamiste ? Son second prénom, Hussein, le rattache-t-il à la famille du dictateur irakien ? Est-il un proche du mouvement de Louis Farrakhan ?) D’autre part, Obama tenterait de se poser en victime des attaques répétées d’un clan qui, selon les propres dires du candidat démocrate, « est très bon pour les campagnes négatives, mais moins bon pour gouverner ». Il parviendrait ainsi à tracer une continuité directe entre Bush et McCain, continuité que le sénateur républicain de l’Arizona a toujours voulu éviter, conscient de l’impopularité de son prédécesseur. Laquelle de ces deux stratégies s’avérera payante pour devenir le prochain président américain ? Réponse le 4 novembre…
Crédit photo : AP
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