Les 75 ans de la Chine communiste
« Nous devons considérer la situation économique actuelle de manière globale, objectivement et sereinement, affronter les difficultés sans détour et renforcer la confiance. » (26 septembre 2024).
C'est le 1er octobre 1949, il y a soixante-quinze ans exactement, que les forces communistes ont gagné sur les forces nationalistes : la République populaire de Chine, autrement dite, la Chine communiste a été proclamée par Mao Tsé-Toung au balcon de la Cité interdite, à la Porte céleste de la Place Tiananmen, au cœur de Pékin. Événement historique qui dure encore.
Car le régime communiste chinois est celui qui a duré le plus longtemps dans l'histoire récente. L'Union Soviétique, effectivement, n'aura duré que soixante-quatorze ans (1917-1991). Le régime chinois dure et est conçu pour encore durer longtemps avec son leader Xi Jinping qui revendique l'héritage des deux grands fondateurs, Mao Tsé-Toung et Deng Xiaoping.
Cette Chine-là est très difficile à comprendre. Rien n'est simple et une vision simpliste resterait toujours erronée. Je m'amusais à entendre ma (regrettée) grand-mère, férue d'actualités, qui ressortait des pays qu'elle n'avait jamais visités comme la Russie ou la Chine des clichés éculés qui ont la vie dure. Au contraire de la Russie (que j'ai connue un petit peu pour avoir travaillé avec des scientifiques russes fort sympathiques et de haute performance), je ne suis jamais allé en Chine, mais j'ai eu quelques amis chinois très sympathiques aussi qui m'ont beaucoup appris.
Il serait illusoire de croire que la Chine soit un ennemi pour le monde dit occidental. D'une part, la Chine n'a jamais cherché à s'étendre comme la France, l'Italie, l'Allemagne, la Russie, mais en revanche, elle a toujours considéré que ses territoires devaient être réunifiés (d'où la bombe à retardement de Taïwan). D'autre part, malgré des différences culturelles très fortes, il y a quelques points communs comme un élitisme très fort. La France a ses classes préparatoires et ses écoles à haute valeur ajoutée en système parallèle au système universitaire classique. La Chine aussi fait des concours très sélectifs pour permettre aux meilleurs d'atteindre les plus hauts postes.
Ainsi, il faut comprendre l'acceptabilité de l'absence de démocratie par des personnes culturellement et scientifiquement éclairées ainsi : la démocratie, c'est-à-dire les élections pluralistes avec vote secret, libre, sincère, cela aboutit à des pertes de temps et parfois à des blocages politiques ; le système chinois (un système cryptocommuniste à la sauce chinoise) fonctionne bien parce que ce sont les meilleurs qui sont au pouvoir. En somme, le régime communiste depuis 1949 serait le fameux despotisme éclairé cher aux philosophes des Lumières. Le système de cooptation pourrait être apparenté à une sorte de grand concours général pour les postes au pouvoir. L'intérêt, c'est qu'il n'y aurait pas d'incompétents aux postes à responsabilité. Bon, bien sûr, c'est la théorie, et le régime de Mao a même été particulièrement désordonné entre le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle. La corruption reste encore très présente et si régulièrement, des potentats sont disgraciés pour raison de corruption, c'est plus un prétexte pour purger politiquement et asseoir un nouveau pouvoir que pour réellement sortir de la corruption.
C'est évident que la liberté d'expression laisse à désirer en Chine. La moindre manifestation est interdite et la moindre critique envers le régime est une crime de haute trahison. Et pourtant, d'où le fait que rien n'est simple, il y a parfois des choses étranges, des tolérances qui n'existeraient pas en France, par exemple. Ainsi, on voit une petite maison toute seule au milieu d'un énorme boulevard au milieu d'un nouveau quartier bétonné. C'est impressionnant. Le propriétaire refusait de quitter sa maison. En France, l'expropriation aurait été décidée. Il suffit de revoir l'excellent film "Le Chat" de Pierre Granier-Deferre (sorti le 24 avril 1971) avec Jean Gabin et Simone Signoret (et Annie Cordy), qui se passe sur fond de construction du nouveau quartier de La Défense. Une maison à Courbevoie (je crois), celle des héros, va être immanquablement détruite, sans prendre en compte l'avis des propriétaires et des habitants.
La Chine ... Ce pays où les surprises ne finissent jamais... ce pays est construit différemment 🧵
1. Un propriétaire chinois a refusé de déménager pour des raisons personelles, alors une route a été construite autour de sa maison. Ces maisons sont connues sous le nom de… pic.twitter.com/ihKmv06rhe— KARIM | Sat0oshi (@sat0oshi) September 29, 2024
Pendant trop longtemps, on a considéré que la Chine n'était que l'usine du monde, que c'étaient les petites mains de la planète en ne voyant pas que chaque année, des dizaines de milliers de Chinois sortent diplômés de leurs écoles d'ingénieur, qu'ils sont aussi dans la capacité à faire de la haute valeur ajoutée, tant technologique que culturelle (la Chine est présente dans le secteur de la haute couture, par exemple, ou du cinéma de grande qualité).
Pays de paradoxes incontestablement quand on imagine que ce pays communiste fabrique le plus de nouveaux millionnaires chaque année dans le monde. Sorte de nation au capitalisme étatique, à la mort de Mao, Deng Xiaoping a tout misé sur l'économie au contraire de la Russie. Mikhaïl Gorbatchev, pour réformer un système sclérosé, a voulu ouvrir progressivement sur les libertés politiques avec la perestroïka et la glasnost, mais son économie a été reconfisquée par toute une nouvelle nomenklatura appelée oligarchie. C'est le cas aussi en Chine où les dignitaires communistes sont très riches et leur famille aussi. Mais sans ouverture politique. Ce choix a été formellement pris au printemps 1989, en ordonnant la répression de la Place Tiananmen.
L'objectif de la Chine est la paix parce qu'on ne fait pas beaucoup d'affaires en période de guerres, d'instabilités politiques, de désastres économiques. J'ai eu l'occasion de mesurer le niveau d'agressivité commerciale de certaines entreprises chinoises, très impressionnant. Impression et efficace. La Chine est fascinante.
Dans le compte rendu publié par l'Agence Chine Nouvelle à l'occasion de la réunion du bureau politique du parti communiste chinois le 26 septembre 2024, une critique a été reconnue : la Chine va mal, son économie est terne, et les objectifs sont loin d'être atteints. En cause, la crise de l'immobilier. L'État va devoir injecter des ressources supplémentaires dans ce secteur en crise. Cette reconnaissance de l'imperfection sort de la langue de bois habituelle où tout va toujours bien madame la marquise.
Dès 1973, ministre et écrivain, Alain Peyrefitte avait pressenti le surgissement de la Chine comme acteur économique mondial incontournable (dans "Quand la Chine s'éveillera... le monde tremblera"), et à l'époque, ce n'était pas évident de l'anticiper tant le niveau de pauvreté était énorme et l'économie peu développée (épuisée et détruite par l'ère Mao). Il est coutume d'expliquer que la Chine a connu un siècle d'humiliation (1842-1949), elle à la culture millénaire, devenu une sous-culture par un monde dit occidental qui se croyait tout permis, depuis la première guerre de l'opium. La fin de l'empire en 1912 et la guerre civile entre communistes et nationalistes (1927-1949) ont fini d'achever le délitement de la société, sur fond d'invasion japonaise en Mandchourie.
La période Mao (1949-1976) a été un nouveau calvaire chinois par la répression et des décisions économiques complètement stupides. Mais Deng a su redresser la Chine vers une modernité que les dirigeants des trente dernières années ont choyée et encouragée.
Jean-Luc Domenach, interviewé par la revue "Histoire" de juillet 2005, a raconté ainsi : « Les communistes n’ont pas seulement su se maintenir puis vaincre militairement, ils ont fait leurs classes dans les zones de guérilla, puis dans les zones libérées ; ils ont appris à établir leur pouvoir en s’appuyant sur les élites locales, avant de liquider celles-ci progressivement. Et les dirigeants, Mao en tête, se sont révélés d’une extrême lucidité stratégique et habileté tactique. Excellent stratège, Mao s’est solidement installé à la tête du parti dans les années 1938-1945, à la faveur d’une manipulation cynique du pouvoir. Très tôt, par exemple, il prend le contrôle de la communication avec Staline. ». Et de compléter : « En revanche, l’inexpérience économique des dirigeants communistes et leur absence de programme précis les contraignent à se tourner exclusivement vers le modèle soviétique. Ce qui rend les choses très dangereuses, c’est qu’ils arrivent au pouvoir portés par un enthousiasme populaire inimaginable. La majorité de la population va suivre les yeux fermés ce pouvoir qui ne sait pas très bien où il va... ».
Les années après Mao ont vu la population se consacrer totalement dans le développement économique : « Bien des cadres locaux ont cherché à soulager les populations, des habitudes aussi se sont prises. Bien souvent, l’horreur du totalitarisme a été quelque peu étouffée par le désir commun de survivre et de s’en sortir. À mon avis, on ne comprend pas la violence avec laquelle cette société s’est jetée, après 1978, dans un développement brutal et inégal si on ne tient pas compte du sentiment, largement partagé, que l’on a trop longtemps souffert, qu’il faut créer l’irréversible. Au fond, l’idée d’une sorte de deuxième Grand Bond pour que les horreurs du temps de Mao ne soient plus possibles. ».
Petit à petit, la Chine a imité les sociétés capitalistes avec leur propre système, et depuis plus de dix ans, voici la Chine communiste classée au deuxième rang mondial pour le PIB (produit intérieur brut), derrière les États-Unis (la première place sera très difficile à atteindre), acteur majeur de l'économie mondiale, renonçant à développer une classe moyenne au profit des millionnaires et de la course en avant de la croissance (5% comme objectif pour l'année 2024), avec des enjeux puissants, l'ambition de devenir durablement une puissance militaire et diplomatique (ce qu'elle est déjà avec l'arme nucléaire et le droit de veto au Conseil de Sécurité de l'ONU) et consolidant son dynamisme par une démographie que seule l'Inde est en mesure d'égaler.
Le Président chinois actuel Xi Jinping l'a d'ailleurs bien formulé lors de son intervention au Forum de Davos le 17 janvier 2017 : « La Chine est devenue la deuxième plus grande puissance économique du monde grâce à trente-huit années de réformes et d’ouverture. Un chemin droit mène à un avenir brillant. La Chine est arrivée à ce niveau parce que le peuple chinois, sous la direction du parti communiste chinois, a ouvert une voie de développement qui correspond aux conditions réelles de la Chine (…). La Chine a, ces dernières années, réussi à s’engager dans une voie de développement qui lui convient, en s’appuyant à la fois sur la sagesse de sa civilisation et sur les pratiques des autres pays de l’Est et de l’Ouest. En explorant ce chemin, la Chine refuse de rester insensible à l’évolution des temps ou de suivre aveuglément les pas des autres. ».
C'est cette constante réorientation qui a permis au régime communiste de durer aussi longtemps. La question maintenant est la suivante : l'avenir permettra-t-il un assouplissement politique sur les libertés individuelles, l'ouverture démocratique, la défense des droits humains, le respect de la vie et la protection des minorités ? Pour l'heure, l'enjeu est autre : il est dans l'hypersurveillance de la société chinoise par des moyens technologiques ultraévolués (reconnaissance faciale, système de points du comportement individuel, etc.). Cette société, au fond, se projette bien plus rapidement que le monde dit occidental dans une société décrite par exemple dans "Le Cinquième élément", le film de science-fiction de Luc Besson (sorti le 7 mai 1997) avec Bruce Willis et Milla Jovovich, où la surveillance devient massive et totale (comme aussi dans "Bienvenue à Gattaca" d'Andrew Niccol, sorti le 24 octobre 1997, avec Ethan Hawke, Uma Thurman et Jude Law).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les 75 ans de la Chine communiste.
Xi Jinping, le nouveau maître du monde ?
Covid-19 : de bonnes nouvelles de Chine (et de moins bonnes nouvelles).
Jiang Zemin.
Xi Jinping confirmé empereur de Chine.
Xi Jinping sort renforcé du 20e congrès du PCC.
À la veille du 20e congrès du parti communiste chinois...
Ieoh Ming Pei.
Zao Wou-Ki.
Laisser jaillir l'émotion intérieure.
Chu Teh-Chun.
De la théocratie à la démocratie laïque.
Les frontières arrêteront-elles le coronavirus ?
Le docteur Li Wenliang, lanceur d’alerte de l’épidémie de coronavirus.
Li Peng, de Tiananmen à Hongkong.
Manifestations à Hongkong.
La Paix céleste selon la Chine.
La Chine au cinéma : une fidélité à soi-même, dans le film "Les Éternels".
La Chine communiste peut-elle devenir une grande démocratie ?
Li Rui.
Li Peng a 90 ans.
La maoïsation de Xi Jinping.
Zhou Enlai.
La diplomatie du panda.
Xi Jinping et la mondialisation.
La Chine à Davos.
Deng Xiaoping.
Wang Guangmei.
Mao Tsé-Toung.
Tiananmen.
Hu Yaobang.
Le 14e dalaï-lama.
Chine, de l'émergence à l'émargement.
Bilan du décennat de Hu Jintao (2002-2012).
Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine.
Xi Jinping, chef du parti.
La Chine me fascine.
La Chine et le Tibet.
Les J.O. de Pékin.
Qui dirige la Chine populaire ?
La justice chinoise.
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