Les guerres 14-18
Nicolas Offenstadt est universitaire à la Sorbonne-Panthéon. D'abord spécialisé dans l'étude du Moyen-âge, puis dans l'historiographie et la réflexion sur l'enseignement de l'Histoire, il travaille sur les pratiques de la guerre et de la paix. Il a orienté ses recherches vers la première guerre mondiale.
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Son "Carnet du Centenaire" co-écrit avec André Loez connait actuellement un succès populaire certain en cette année de commémoration des 100 ans du commencement de la guerre après l'assassinat le 28 JUIN 1914 de l'ARCHIDUC FRANCOIS FERDINAND.
Il ne s'agit pas d'un travail classique, chronologique et évènementiel mais regroupant des lieux, des acteurs, des objets...Une histoire qui plus est mondiale et non concentrée sur le seul Nord-Est de notre pays.
Il s'agit de prendre en compte les mémoires contradictoires de dizaines de nations.
La guerre a accouché de nouveaux états. Des guerres civiles postérieures ont plus marqué certains états que la déflagration 14-18. En Tchécoslovaquie quelques milliers de légionnaires volontaires partis chez les Russes, les Français, les Italiens ont donné "le soldat inconnu" glorifié au contraire des soldats de l'armée de l'Empire austro-hongrois.
L'Australie qui faisait partie intégrante de l'Empire britannique a acquis son "émancipation d'une nation fédérée,10 ans avant la guerre" et connait une "commémoration forte et onéreuse" de la victoire. "Des enfants australiens vont visiter le Nord de la France". De même les canadiens mettent à l'honneur la bataille de Vimy dans le Nord-Pas-de-Calais (le site étant terre canadienne).
En France, une véritable "mémoire sociale" est palpable. La guerre a donné prétexte à de nombreux "romans, films, bandes dessinées", à un entretien du patrimoine national inégalé. Les succès cinématographiques de "Joyeux Noël", "Un long dimanche de fiançailles" sont dans toutes les têtes. On voit même les Alsaciens "en feldgrau"à l'époque (l'Alsace étant allemande) "ne pouvant célébrer les poilus", qui mettent en avant "une mémoire franco-allemande" à base de tourisme historique.
Par contre dans les anciens empires allemand , austro-hongrois, russe on a voulu "oublier la guerre".
La Russie considère la guerre comme "une guerre du tsarisme et non du bolchévisme", qui a renversé le régime.
Des monuments aux morts ont été détruits sous Staline (il n'y a aucun monument aux morts à Moscou) avec une véritable "mise en place de l'oubli".
Les mémoires familiales ont passé sous silence la guerre, par peur d'être taxées d'Ancien Régime.
"La mémoire renaît aujourd'hui avec le néo-nationalisme poutinien" et "un monument aux héros de la Grande Guerre" voit le jour. Le Centenaire est donc essentiel en Russie à ce jour.
En Allemagne la guerre s'inscrit dans un 20ème siècle catastrophique, avec le nazisme, les 2 Allemagne dont l'une communiste. On note actuellement "une renaissance de la mémoire allemande" de 14-18. Alors qu'auparavant quasiment aucun livre n'était consacré à la guerre, l'australien Christopher Clark fait un tabac (300000 exemplaires vendus) avec "Les somnambules" sur les origines de la Grande Guerre, dans lequel il énonce un rôle plus important de la Serbie, de la France, que de l'Allemagne ("moins coupable") dans le déclenchement du conflit.Ce livre est interdit en Serbie.
En Allemagne comme en Autriche les monuments aux morts avaient été récupérés par les nazis (Hitler le "petit caporal" des années 14-18). A Hambourg un monument aux morts ancien jouxte un monument créé par un sculpteur pacifiste.
En Belgique "aucun consensus sur la guerre" ; la guerre s'inscrit dans les luttes politiques Flamands-Wallons. "Les dominateurs, les officiers de l'époque, ce sont les Wallons". "Le Centenaire sera flamand" avec "un état belge en retrait". On pourrait voir aussi une absence de consensus entre l'Irlande et l'Angleterre.
La Serbie ne veut pas participer aux commémorations avec l'idée d' "un complot anglo-saxon" pour charger le pays. Sarajevo le 28 juin 1914 et le siège de Sarajevo des années 90 c'est "la peur de raviver les tensions"" entre Bosniaques et Serbes. A Sarajevo un concert philharmonique sera donné avec la participation de l'orchestre de Vienne.
Que dire aussi des polonais qui ont combattu dans les rangs austro-hongrois, russes, allemands.
Ainsi cette guerre mondiale n'a pas été vécue de la même manière avant, pendant et après, par les pays de la conflagration. D'où l'intérêt de "redécouvrir les terrains oubliés" en dehors du front Ouest :
- le front oriental le plus long, de la Prusse vers les Carpates, avec des zones de tranchées entre des zones occupées ;
- l'Afrique avec les guerres coloniales oubliées, les colonies allemandes, belges, françaises, anglaises,portugaises, avec les destructions locales, les soldats recrutés sur place ;
- les Chinois qu'on retrouve dans les usines d'armement, à la manufacture de Chatellerault où ils se révoltent en 1917 ;
- les policiers indochinois à Paris ;
- les soldats noirs américains qui connaissent, non-combattants, la ségrégation raciale, et sont surpris de voir les troupes noires coloniales françaises qui sont aux côtés des blancs ( "la France sans caste de couleurs")
-les millions de prisonniers de guerre avec la politisation très forte dans les camps russes, avec ce général juif chez les hussards austro-hongrois sur le front italien, qui est transféré sur le front Est, fait prisonnier par les russes et qui finira dans les brigades internationales, mort de la guerre civile espagnole. Que dire aussi de Tito le dirigeant yougoslave ?
- les élites politiques chinoises et des dirigeants du Parti Communiste Chinois, anciens combattants d'Europe.
" Une histoire connectée, croisée, fragmentée" est donc indispensable. "Le Centenaire est grandement différent du Cinquantenaire avec à l'époque une Europe embryonnaire". On parlait beaucoup d' "Union Sacrée" (alors qu'elle "a craqué en 15, 16, 17 selon les pays), et du "Poilu de Verdun iconique".
Il faut évoquer les "petites gens", faire, comme le disait l'historien Marc Bloch, " communiquer les morts et les vivants", avec le plaisir pour l'historien d'écrire sur des "personnages ordinaires", et de "donner un sens global et des réflexions d'ensemble". "Personnages ordinaires",ces conscrits dont "on ne sait pas ce qu'ils pensaient réellement" avec "la guerre faite à contre-coeur" car "on ne désobéit pas comme çà, après avoir obéi à l'école, au patron".
Ne pas oublier que la France, l'Angleterre, ont su gérer tant bien que mal le ravitaillement de leur population, ce qui n'a pas été le cas de la Russie, de l'Empire austro-hongrois qui ont connu les famines.
Ne pas oublier les "occupations" catastrophiques pour les populations locales.
- L’historien Nicolas Offenstadt
Ne pas oublier "l'effondrement, du jour au lendemain, du socialisme pacifiste" au profit d'une guerre défensive que Jaurès même ne rejetait pas et que les nationalistes ont su utiliser. En septembre 1914 Romain Rolland publie "Au- dessus de la mêlée", qui est "un appel au calme" et non une profession de foi pacifiste.
Et surtout ne pas faire d'amalgame : les camps de prisonniers de la première guerre mondiale, même avec des barbelés, n'étaient pas une préfiguration des camps de concentration. Le nazisme, avec son idéologie mortifère, est né des traités de 1919-1920, de la terrible crise économique allemande de 1920, puis de la déflagration de la crise de 1929. Les futurs SS et les SA étaient trop jeunes en 14-18. "Il n'y a pas eu de germanisation des territoires occupés" en 14-18. "En 1920 le pacifisme étant universel, la grande guerre n'a donc pas brutalisé les hommes". L'Espagne qui, elle, n'a pas connu la guerre, va pourtant sombrer dans une guerre civile sanglante en 1936...
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