Les relations arabo-américaines
Cet article étudie l’état des relations arabo-américaines, mises à rude épreuve par la guerre d’Irak et ses contrecoups sur la région. Tout en rejetant les appréciations hâtives et réductrices d’une américanophobie ou d’une arabophobie, il montre la vision conflictuelle évidente et les malentendus qu’elle a développés, depuis les événements du 11 Septembre et la mise à l’ordre du jour par les Américains de la guerre préventive, dans le cadre d’un choc des civilisations, que l’analyste tunisien rejette. En conclusion, l’étude recherche les moyens d’un rétablissement d’une concorde, par un rapprochement des points de vue, dans le traitemant du contentieux. Tout en optant pour une identification objective des problèmes, l’étude inscrit cette analyse dans le cadre d’une relation perturbée conjoncturellement par des accidents de parcours.
Pour éviter les visions réductrices, sinon polémiques qu’un
sujet sensible et brûlant favorise volontiers, des précautions d’usage devaient
être prises :
- Du point de vue de la méthodologie générale, nous devons
tenir compte des facteurs de prise de décision. La politique étrangère d’un
pays est au service des intérêts nationaux, tels qu’ils sont perçus par les
différents acteurs. L’identité, les discours fondateurs, les itinéraires
historiques, - et pourquoi ne pas le reconnaître les états d’âme et les humeurs - et tout ce qui constitue son patrimoine immatériel contribuent à
l’identification des options et des choix stratégiques. La connaissance des
positions des différents protagonistes, leurs postulats et leurs a priori est
plus à même d’inciter à la compréhension et d’éviter les dérives de l’émotion,
de part et d’autre. Elle crée les meilleures conditions d’un rapprochement des
points de vue, d’opérations de persuasion et de débats utiles. La diabolisation
de l’autre, certes aisée, conduit à des impasses, confortant les malentendus et
desservant tous les intéressés.
- Du point de vue du thème général, il ne faut pas perdre de
vue et la diversité du monde arabe (les pays du Golfe, le Machrek et le
Maghreb) et la diversité des Etats-Unis. D’autre part, on doit nuancer nos
jugements en tenant compte de la complexité des situations et des positions de
l’opinion publique et des establishments. N’occultons pas les démarcations
entre les différents leaders d’opinion.
En aucun cas, nous ne pouvons affirmer qu’il y a une
hostilité générale des Américains contre les Arabes ou vice versa. Il serait
exagéré d’affirmer l’existence d’une américanophobie ou d’une arabophobie
formelles et largement intériorisées et assumées. Je conteste également
l’existence d’un phénomène culturel d’antiaméricanisme chez les Arabes, qu’il
nous suffise de rappeler la fascination de leur jeunesse pour certains aspects
de l’american way of life ou du moins pour les produits Nike, le McDonald’s,
les stars hollywoodiennes, sans parler du Coca Cola désormais mondialisé.
D’autre part, il il n’y a point de rejet américain volontaire de la
civilisation arabe. Mais il y a des malentendus, des incompréhensions
susceptibles de fonder et de généraliser le choc des civilisations, le slogan
légitimant la culture de la guerre, de la violence, de la coexistence
conflictuelle et de la déshumanisation prônée par Huntington, et adoptée par les
va-t-en guerre de part et d’autre.
I - La vision américaine des Arabes : Nous perdons souvent
de vue que les Américains méconnaissent l’aire arabe et sa civilisation. La
période où les arabists (arabisants) américains, formés essentiellement par des
missionnaires, des gens de compagnies de pétrole, des cadres des services de
renseignement, des corps diplomatiques et dans certains cas des militaires
influents est révolue. Ces arabists ont agi en faveur de l’indépendance des
pays arabes. Après la Seconde Guerre mondiale, ils ont mené la lutte face aux
lobbies sionistes. Mais ils perdirent la bataille. Prenant le relais, les Think
Tank sont plus préoccupés d’étudier des scénarios pour le gouvernement. Certes
les Etats-Unis ont de bons spécialistes du monde arabe, en particulier au sein
du corps diplomatique. Mais ils n’ont pas une grande influence dans la prise
de décision. La diabolisation au cours de la guerre froide, de ceux qui ne
partagent pas les vues américaines va conditionner la vision des partenaires
neutralistes, socialistes ou socialisants. Mais le Moyen-Orient était perçu
comme un important centre d’intérêt, vu ses gisements pétroliers, une aire à
protéger contre les concurrents. Nous remarquerons cependant un changement de
l’opinion publique sur la question palestinienne, depuis la première intifada,
en dépit des relations privilégiés de l’establishment américain avec Israël.
Les événements du 11 Septembre ont certes marqué l’opinion
publique américaine, puisque les terroristes étaient musulmans. Cette tragédie
nourrit des inquiétudes et des suspicions compréhensibles. Mais l’idée de
croisade anti-arabe ou antimusulmane rencontra peu d’échos, en dépit de la
publication du brûlot de Huntington, destiné à l’accréditer comme stratégie de
la guerre d’avenir. Les importantes manifestations populaires américaines
contre l’invasion de l’Irak, considérée comme un substitut à la lutte contre
el-Kaïda, montrent le rejet de cette approche.
Fait surprenant, la pensée politique américaine en vigueur,
dans sa gestion de la question irakienne et la formulation du projet du Grand
Moyen-Orient, occulte dangereusement l’impact du nationalisme dans l’aire arabe.
II - La vision arabe des Américains : L’opinion arabe ne
connaît pas la population américaine. Elle la juge hâtivement d’après les
attitudes de ses gouvernants, assimilant la population et son establishment.
Or, quatre faits marquent actuellement l’opinion publique arabe :
1 - le contentieux historique palestinien et l’alliance
privilégiée de l’establishment américain avec Israël ;
2 - les guerres d’Irak, une ouverture de la boîte de
Pandore fragilisant l’ensemble de l’aire. Ayant connu l’épreuve de la
colonisation, les Arabes ne peuvent se résoudre à accepter le maintien de troupes d’occupation, d’où qu’elles
proviennent ;
3 - la question du nucléaire iranien : les risques de guerre
contre l’Iran, - une réédition éventuelle des tragédies irakiennes - repose le
problème de deux poids deux mesures. L’opinion arabe fait plutôt valoir la
menace du nucléaire israélien, bénéficiant d’une légitimation qui l’offusque ;
4 - le discours du choc des civilisations et la
culpabilisation du monde musulman, par une vision schématique assimilant islam
et islamisme et intégrisme. Les observateurs évoquent plutôt un changement de
rôles, par l’instrumentalisation de l’establishment américain des intégristes
lors de la guerre d’Afghanistan et leur soutien contre leurs régimes.
Exception faite de la Syrie, les establishments arabes,
malgré des divergences incontestables sur la question palestinienne et des
réserves différentielles, selon les Etats, sur les questions de l’Irak, du
nucléaire iranien et du projet du Great Middle East, n’ont pas de contentieux
avec le pouvoir américain. Leurs positions modérées constituent un facteur de
rapprochement sinon de totale convergence. D’autre part, ils soutiennent la lutte
contre le terrorisme, tout en réclamant d’apurer le concept, en dégageant de la
condamnation les phénomènes de résistance nationale. La plupart des Etats
arabes du Moyen-Orient sont des partenaires stratégiques des USA. Mais la
modération des Etats, « éthique de responsabilité » ou realpolitik, est mise à
rude épreuve par la colère arabe, confortée par le jeu politique américain sur
le terrain et la surenchère des chaînes paraboliques. Ce décalage entre les
opinions arabes et les establishments est, bien entendu, une source de
mécontentement.
Conclusion :
Nous tirons les conclusions suivantes :
1 - Le règlement du conflit israélo-palestinien et le rejet
des options militaires américaines au Moyen-Orient constituent la seule
solution pour un assainissement des relations entre les USA et les masses
arabes.
2 - La nécessité, pour les Américains, de tenir compte des
positions nationalistes et de réhabiliter l’autonomie de décision des acteurs
arabes.
3 - Le dépassement dans l’aire arabe de la conjoncture de la
colère, du ressentiment et la mise en échec des attitudes de dérives sont
nécessaires.
4 - Le rejet du « choc des civilisations », l’abandon d’une
recherche d’ennemis religieux par les extrémistes des deux aires, constitue un
préalable à la bonne entente.
5 - Il faut que les aires américaines et arabes retrouvent
leurs normes fondatrices et mettent en échec les positions extrémistes de la
guerre contre l’autre, de la guerre préventive, de l’approche destructrice et
anachronique des croisades chrétiennes et du jihad musulman.
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON