Les Soviétiques et l’Otan en Afghanistan : des différences qui importent
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Au rayon des comparaisons, on notera que l’URSS considérait dès 1985, comme les Etats-Unis aujourd’hui, que les objectifs initiaux ne pourraient jamais être atteints, que « le temps n’était pas de notre côté [soviétique] » pour citer Gromyko en 1986 (via les National Security Archives de la George Washington University), alors président du Soviet Suprême, et qu’un retrait s’imposait. Côté américain aujourd’hui, le rêve d’établir une démocratie occidentale à Kaboul s’est effacé, mais l’ambition d’installer un régime stable (quitte à négocier avec les Taliban « modérés ») et d’atteindre une certaine forme de « victoire » revue à la baisse demeure (plus de bannière « Mission Accomplished » cette fois-ci).
Le retrait soviétique planifié dès 1985 était empêché par la peur d’une retraite humiliante vis-à-vis de l’ennemi américain. Aujourd’hui, les Etats-Unis on également peur d’une retraite humiliante, mais davantage vis-à-vis d’al-Qaïda que de n’importe quelle autre puissance rivale.
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En outre, les Soviétiques posaient comme condition préalable à leur retrait la mise en place d’un gouvernement stable, reposant sur un large soutien populaire, et disposant d’une armée et d’une police équipées pour faire face aux moudjaheddines. La similarité avec l’objectif annoncé de la mission des forces de la coalition en Afghanistan aujourd’hui est évidente. Mais cela ne veut pas dire pour autant que l’échec est inévitable.
Le point commun fondamental entre les deux expériences, comme le souligne Bruce Riedel dans le dernier numéro de CTC Sentinel, tient dans le rôle joué par le Pakistan. En effet, dans les deux cas, le Pakistan constitue la « zone de sécurité » (safe haven, en anglais) à partir de laquelle les insurgés opèrent et s’approvisionnent. Les Soviétiques n’avaient jamais réussi à convaincre le Pakistan (et donc les Américains) de mater l’insurrection (et pour cause : l’objectif américain était d’affaiblir l’URSS en finançant les insurgés via les services secrets pakistanais). Aujourd’hui, les Américains sont pris à leur propre piège : les connections qu’ils ont contribué à créer entre renseignements pakistanais et djihadistes et Taliban empêchent tout engagement crédible du Pakistan (lequel qui plus est table sur un retrait des Américains, et donc préfère garder une forme de contrôle sur l’Afghanistan).
L’autre point commun essentiel tient sans doute dans cette phrase de Gorbatchev, prononcée en novembre 1986 (toujours via les National Security Archives) : « Nos généraux n’apprennent pas leurs leçons. (…) Nous avons eu des expériences passées en Angola, en Ethiopie, au Mozambique. Il doit y avoir une courbe d’apprentissage. (…) Nous devons trouver les clés de cette guerre ». Le récent remplacement du général McKiernan en Afghanistan ne fait qu’illustrer ce même problème.
Malgré ces quelques similitudes, des différences majeures persistent qui laissent entrevoir une meilleure issue au conflit. Tout d’abord, la raison de l’intervention américaine (défense nationale, sécurité collective) est bien plus légitime que celle qui avait poussé l’invasion russe (installer un régime communiste, sécuriser la frontière sud). Résultat : la mission de l’Otan bénéficie d’un bien plus large soutien international que celle de l’URSS. En outre, cela offre une plus grande marge de manœuvre à la coalition. En effet, le type de régime mis en place importe peu (du moins en théorie) et seul compte désormais le besoin d’éviter de créer un nouveau havre de paix pour al-Qaïda ou d’autres organisations terroristes. Enfin, les opérations contre-insurrectionnelles soviétiques étaient extrêmement brutales et non adaptées à ce type de conflit asymétrique, ce qui rendait toute victoire impossible.
En conclusion, retenons qu’il y a au moins autant de différences que de similarités entre les expériences soviétiques et otaniennes en Afghanistan. Dès lors, il est erroné d’élaborer des comparaisons hâtives entre les deux conflits, même s’il est intéressant et important de tirer des enseignements des erreurs du passé pour ne pas les répéter. Une victoire reste possible en Afghanistan, même si cette victoire n’est en rien semblable à celle qui était espérée à la genèse du conflit.
Image 1 : Retrait soviétique d’Afghanistan. Crédit : Wikimedia Commons.
Image 2 : Hélicoptères et tanks russes en Afghanistan. Crédit : Wikimedia Commons.
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