Liban : les effets pervers du confessionnalisme politique
Le confessionnalisme est un système de gouvernement qui repose sur une répartition proportionnelle du pouvoir politique entre différentes « communautés » religieuses. Il s’agit donc d’une forme de communautarisme établie légalement. Les ministères et les sièges des parlementaires sont censés être distribués proportionnellement au poids démographique de chaque confession dans la population totale.
Les chrétiens ont été régulièrement accusées par les musulmans d'utiliser leur force politique afin de se favoriser économiquement, au détriment des sunnites et surtout des chiites, qui représentent encore la frange la plus pauvre de la population. Parallèlement, l'évolution démographique a fait que dès les années 1970, avec une forte émigration chrétienne, l'afflux massif de palestiniens musulmans et un taux de natalité des musulmans plus élevé que celui des chrétiens, la balance démographique des confessions s'est inversée au profit des musulmans, sans que rien ne change en ce qui concerne la distribution du pouvoir.
Or, outre le fait que le confessionnalisme privilégie l'appartenance au groupe religieux au détriment de l'appartenance au pays ou à la nation qu'il affaiblit, cette évolution de la démographie devrait amener à modifier constamment les quotas de « représentativité, ce qui n’a jamais été le cas au Liban.
Dès sa création en 1943 (1), le Liban a été doté de ce système confessionnaliste, dans le but d’éviter des troubles entre chrétiens et musulmans qui, à cette époque, étaient un peu moins nombreux que les chrétiens (2). Ce n’est plus le cas aujourd’hui et la proportion de 50/50 qui avait été adoptée ne correspond plus à la réalité : le « droit » ne s’accorde plus avec les « faits ».
Mais l’effet le plus négatif d’une telle disposition va encore au-delà de cette recherche d’un équilibre illusoire porteur d’explosions comme celle de 1975. C’est la notion même d’« état » qui est en cause, car ce sont les confessions religieuses qui se trouvent investies institutionnellement du droit privé et du statut personnel à travers leurs juridictions respectives. Même le domaine de la sécurité s’est trouvé de plus en plus assuré par des acteurs privés, et internationalisé par la présence de la FINUL notamment. Même les libertariens ne rêvent pas d’une telle « privatisation de l’état » qui a progressivement délégué certaines de ses fonctions à des acteurs privés, même la fonction régalienne de défense du territoire.
La constitution du Liban évoque la sortie du système confessionnaliste dans son préambule : « La suppression du confessionnalisme politique constitue un but national essentiel pour la réalisation duquel il est nécessaire d'œuvrer suivant un plan par étapes. », mais les enjeux géostratégiques des grandes puissances qui manipulent au Moyen-Orient encore plus qu’ailleurs les marionnettes qu’ils ont mises en place aont transformé la vie politique de ce patit pays en une farce dont les acteurs, toujours les-mêmes jouent en permanence au jeu des chaises musicales.
Inutile de chercher un complot dans la catastrophe qui frappe ce pays aujourd’hui. Il est de plus en plus flagrant que rien n’a été fait pour donner suite aux demandes réitérées des services des douanes ou d’autres responsables locaux pour mettre au stockage d’une quantité monstrueuse d’une matière connue pour sa dangerosité en plein centre d’une agglomération de 2 millions d’habitants (le tiers du pays).
Comment aider les familles libanaises confrontées à un désarroi évident ? Chacun aura la réponse qui correspond à ses engagements habituels. Mais cette catastrophe montre au moins une chose : la faiblesse de l’état a pour corollaire une corruption encore plus élevée qu’ailleurs et une dilution des responsabilités qui a pour nom laxisme.
- – 1943 est la date présentée la plupart du temps comme celle de l'« indépendance » du Liban, alors que ce territoire a constamment été sous la domination de puissances étrangères depuis l’antiquité : les Perses, les Assyriens, les Grecs Macédoniens, les Romains, les Arméniens, les Grecs byzantins, les Arabes, les Seldjoukides, les Mamelouks, les croisés (comté de Tripoli créé par Raymond IV de Toulouse), l'Empire ottoman, et la France.
- - Charbel Nahas, Le confessionnalisme au Liban, du fonctionnement discursif et idéologique, vers une position du problème
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