Mahmoud Abbas, l’espoir déchu
A l’heure où les bombes tombent sur Gaza, le président de l’Autorité palestinienne a-t-il encore un rôle à jouer ? A en croire la presse israélienne, Mahmoud Abbas, dont le mandat s’achève théoriquement ce vendredi, est trop "usé et fatigué" par quatre ans d’un règne chaotique.
Juridiquement, le mandat de Mahmoud Abbas prenait fin vendredi passé. La question de son départ n’est pourtant plus évoquée. Les événements actuels et les quelque centaines de morts depuis le 27 décembre dernier ont éclipsé cette échéance.Pourle Jerusalem Post, l’un des grands quotidiens israéliens, Mahmoud Abbas pourrait même rester au pouvoir jusqu’en 2010 : la perspective ne plaît pas au Hamas, le mouvement de résistance islamique, parti de la majorité parlementaire opposé au Fatah de Mahmoud Abbas, et le journaliste Khaled Abu Toameh affirme que le chef de l’autorité palestinienne va perdre "le peu de légitimité lui restant en demeurant au pouvoir après l’échéance de son mandat."Cette fin de mandat qui n’en est pas une est l’occasion de reparcourir les quatre années de présidence de Mahmoud Abbas. Pour ne pas tomber dans une simple chronologie et comme à mon habitude, j’ai voulu m’arrêter sur les mots que la presse israélienne a utilisé pour décrire la présidence du chef du Fatah.
Le 14 novembre 2004, il faut trouver un successeur à Yasser Arafat. C’est chose faite le 9 janvier suivant. Mahmoud Abbas est élu avec plus de 62% des voix. Même si ses journalistes et commentateurs se sont généralement réjouis de la fin de l’ère Arafat, la presse israélienne accueille sans enthousiasme sa victoire. Personne n’oublie que, pendant sa campagne, le candidat du Fatah avait désigné Israël comme l’"ennemi sioniste".
Pourtant, Mahmoud Abbas, que l’on retrouve souvent désigné dans la presse israélienne par son nom honorifique d’Abu Mazen, va s’attirer la sympathie des Israéliens et d’une partie des chefs d’Etat de la planète en affirmant vouloir rapidement négocier la paix avec Israël. Une semaine après son élection, le Jerusalem Postle qualifie de grand espoir pour la démocratie et la paix dans un article intitulé Best man for the job (L’homme qu’il faut). À cette époque les éloges arrivent du monde entier. "Les premiers pas d’Abu Mazen sont vraiment impressionnants, non seulement dans ses discours, mais aussi sur le terrain", déclare Shimon Peres dès le 20 janvier 2005, évoquant ses "efforts énormes" pour lutter contre le terrorisme. "Il ne fait aucun doute qu’Abu Mazen commence à agir. Je suis très satisfait de ce qui se passe du côté palestinien et je souhaite très fort faire avancer les choses avec lui", confirme Ariel Sharon, alors Premier ministre. Même les États-Unis vont dans ce sens.
Reprise du dialogue, petits gestes mutuels, diminution sensible des attaques : Israël et les Palestiniens paraissent enfin avoir décidé - après plus de quatre ans d’Intifada - de s’engager sur la voie d’un règlement pacifique. C’est dans ce cadre qu’a lieu, le 8 février 2005, le sommet de Charm-el-Cheikh où Abbas et Sharon proclament la fin des violences entre Palestiniens et Israéliens.
Les médias israéliens font preuve d’un optimisme réel, quoique modéré, au lendemain de ce Sommet. Le Yédiot Aharonot, le quotidien le plus vendu du pays, titre en une que "l’Intifada est terminée", soutenant que "la voix de la paix va remplacer celle des armes". Plus prudent, le Maariv écrit que "cette fois, c’est peut-être la bonne", en faisant allusion aux échecs des précédents sommets. "Ceux qui ont regardé les images en provenance de Charm El-Cheikh ont pu voir comment est né un nouvel espoir au Moyen-Orient (...) Il faut désormais que les mots se traduisent en acte", ajoute le journaliste du second quotidien du pays. Son éditorialiste revendique le droit d’y croire. Le libéral Haaretz font de Sharon et Abbas des "faiseurs de paix" et écrit que "la rencontre d’hier constitue un bon départ pour ce processus". Le Jerusalem Post, classé à droite, exprime pour sa part un certain scepticisme à propos des résultats du Sommet et déplore l’absence de compromis dans le discours du dirigeant palestinien. "Abbas n’a pas commencé à parler, même en termes généraux, de la nécessité pour les Palestiniens de faire des concessions douloureuses".
La désillusion ne tarde pas. Les faits ne suivent pas les déclarations, et Mahmoud Abbas essuye de violentes critiques. Tout cela pour un mot : tahdiah. S’il était prévu que ni Sharon ni Abbas n’utilisent le terme de cessez le feu, il n’était pas pour autant dit qu’Abbas emploierait ce terme, qui signifie accalmie. Accalmie : les violences ne sont pas totalement stoppées, seulement moins fréquentes, contrairement à ce que prévoyait le terme original, wakf itlak nur (il est interdit d’ouvrir le feu).
Rapidement, la presse israélienne se détourne de Mahmoud Abbas. Dès avril, le Jerusalem Post titre : "Abbas : la lune de miel est finie". Le journal publie une interview de l’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou qui déclare qu’Abu Mazen "ne fait rien pour démanteler le réseau terroriste." Une journaliste trouve la formule qui fait mouche, qualifiant le président de l’autorité palestinienne de "maître de cirque".
Un an tout juste après son élection, Mahmoud Abbas reçoit des coups dont il ne s’est toujours pas remis. Dans un premier temps, le parti rival, le Hamas, gagne les élections législatives du début de l’année 2006. Avec 74 sièges sur les 132 que comportent l’Assemblée nationale, le Hamas peut définir la politique du pays. Mahmoud Abbas reste à la tête de l’Autorité palestinienne mais son pouvoir est considérablement diminué. Quelques jours plus tard, son interlocuteur privilégié, Ariel Sharon, victime d’une seconde attaque cérébrale, plonge dans le coma. Les deux pays semblent plus que jamais éloignés d’un accord de paix.
Un mot revient en permanence dans les journaux israéliens : "faible". On peut lire des titres comme "Mahmoud Abbas est faible" ou "Aidez-moi je suis faible". Le docteur Mordeachi Kedar recense dans un entretien toutes les faiblesses d’Abu Mazen, notamment qu’il n’a rien, selon lui, d’un leader comme Yasser Arafat. On reproche souvent à Mahmoud Abbas son manque de charisme et son incapacité à prendre en compte le Hamas, qui contrôle dorénavant plus de la moitié des territoires palestiniens. Tous les journaux affirment que la victoire du Hamas est mauvaise pour la paix, pour Israël et pour les Palestiniens.
Dès lors, on parle moins souvent du leader palestinien, on ne le montre plus comme un espoir de paix, sinon comme un espoir déchu. Il faut attendre quelques semaines pour retrouver un long article sur le sujet. Amotz Asa-El écrit dans le Jerusalem Post une lettre ouverte au chef de l’Autorité palestinienne. Il y rappelle pourquoi Abbas avait obtenu leur respect. Il énumère les points positifs, sa carrière plus pacifiste que celle d’Arafat, son opposition à la violence une fois arrivé au pouvoir, son énergie au service de la paix entre les peuples. Dit qu’il était respecté comme "antithèse de Yasser Arafat". Mais à présent, rien n’est plus pareil. Le fait qu’il ne soit pas un guerrier comme l’était Arafat l’a finalement affaibli dans son propre pays. Il n’a jamais su s’adresser au Hamas et est maintenant minoritaire. Il n’a pas non plus réformé son propre parti, puisque ce sont toujours les "copains d’Arafat" et leur "grotesque ressemblance avec Fidel Castro" qui le dirigent. Il n’y a plus d’espoir de voir des initiatives de paix palestiniennes. En un an tout ce que portait Abbas s’est effondré. C’est "un échec".
Cette idée est toujours dominante dans la presse israélienne. Les journalistes ne se sont qu’à peine intéressés à la promesse d’Ehud Olmert et Mahmoud Abbas de conclure un traité de paix avant la fin 2008 - c’était le 26 novembre 2007. Aujourd’hui, cela ferait sourire si ce n’était si tragique. Les quelques articles se référant encore au leader palestinien n’évoquent que ses faiblesses et le fait qu’il soit piégé entre le Hamas et Israël.
Le 20 novembre dernier, Mahmoud Abbas proposait directement aux Israéliens son plan de paix, dans des encarts publicitaires achetés dans les trois principaux quotidiens du pays. Cette page rédigée en Hébreu avait pour but de montrer qu’il était toujours actif dans le processus de paix entre les deux états. Aujourd’hui, on se demande comment il pourrait redevenir crédible et retrouver la légitimité nécessaire à la prolongation de son mandat.
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