Monde nouveau en 2008. II La recomposition du monde après 1991
En 1991, la dissolution de l’Union soviétique met fin à la guerre froide. Terminé l’affrontement entre deux options idéologiques et systémique ayant eu comme support deux super puissances. Ne restent que les Etats-Unis qui, n’ayant plus d’ennemi à leur taille, poursuivent leur hégémonie économique, non sans quelques soubresauts comme la crise fin 1990 du marché des nouvelles technologies. Et deux conflits importants, la guerre de 1991 en Irak et la guerre de 1995 en Serbie. Les Etats-Unis se cherchent et cherchent des ennemis dans le monde. D’où le succès retentissant du livre de Huntington sur le choc des civilisations. En vérité, une fantasmagorie venant à point pour justifier le maintien sous tension des services du Pentagone et l’éveil des faucons de la Maison-Blanche. En quelques points, un résumé du monde au tournant du XXIe siècle.
1. Il n’y a plus l’antagonisme idéologique face à l’Occident.
2. Il reste un « Occident idéel démocratique » qui se dissout dans la mondialisation. Tous les pays veulent accéder au progrès économique, se financent, se modernisent. Un idéal universel se répand : produire et consommer.
3. Ce qui n’empêche pas l’Occident de se chercher un ennemi politique et de le trouver (islamisme, terrorisme).
4. Bien que tendant vers un idéal économique, chaque pays conserve un peu ou beaucoup de ses traditions et se gouverne plus ou moins démocratiquement.
5. Le fulgurant bond en avant de la Chine montre que la croissance économique n’impose pas nécessairement une structure politique démocratique au sens politique.
6. Le système mondial crée dans tous les pays une classe de riches, des profits, mais, si le système n’a pas d’ennemi, il y a dans les zones à gouvernance démocratique avec ce qu’on appelle une opposition libre et, dans les zones « autocratiques », une opposition plus ou moins muselée.
7. En fait, il reste un ennemi déclaré, opposé à l’Occident et surtout aux Etats-Unis ; cet ennemi est idéologique, ancré dans une lecture intégriste du Coran. Le seul pays de puissance « respectable » opposé aux Etats-Unis est l’Iran ; qui du reste n’est pas en guerre et dont l’évolution pourrait surprendre car les aspirations démocratiques sont avérées dans ce pays où la jeunesse est instruite. Les seuls faits d’armes contre la puissance états-unienne proviennent d’une nébuleuse dont le chef charismatique est Ben Laden. Pour être complet, d’autres mouvances islamiques dangereuses sont présentes, sous forme de groupes organisés, dans les petites républiques d’Asie, en Indonésie, au Pakistan et même en Chine. Alors que les guerres tribales et les organisations mafieuses concentrent l’autre partie des menaces sur la planète. Et parfois, les mouvances terroristes s’allient avec les trafics en tout genre. Ce fut le cas en Tchétchénie.
Développement du point 7. Pendant le XXe siècle, deux volets ont marqué le cours du monde. Premièrement, l’économie avec les mouvements financiers, les échanges sur le marché et, surtout, la question des ressources naturelles, agricoles, minières et surtout énergétiques. L’autre volet fut idéologique. Après 1991, malgré la conversion progressive de presque tous les pays à l’économisme, la politique au sens de Carl Schmitt n’a pas abdiqué. Les Etats-Unis ont des ennemis, de rares ennemis en fait, si on compte les pays ayant affiché leur hostilité officiellement, l’Iran pour l’essentiel. L’autre ennemi déclaré fut une organisation non gouvernementale à visée terroriste, Al-Qaïda, déjà célèbre avec quelques attentats, ayant trouvé un point de chute chez les talibans pour être enfin puis mondialement connue depuis le 11-Septembre 2001. A ce moment, une union sacrée s’est formée pour démanteler les talibans. Mais, en 2008, quelques pays ont affiché une hostilité face aux Etats-Unis, Venezuela, Bolivie. D’un autre côté, les Etats-Unis, par quelques voix officielles, désignent la Russie et la Chine comme ennemis autocratiques.
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Retour sur l’année 1991. Tout comme l’année 1938, ou 1948 ou sans doute 2008, le millésime 1991 s’avère être un grand cru, riche en événements historiques. Cette année-là, les déclarations d’indépendance de la Croatie et de la Slovénie, Républiques rapidement reconnues par l’Europe, ont été le détonateur d’une guerre meurtrière dans les Balkans, soldées par les accords de Dayton, l’administration du Kosovo par l’ONU et la suite qu’on connaît, l’indépendance de ce petit pays qui n’est pas encore reconnu par la majorité des nations de l’ONU. En janvier 1991, une coalition militaire d’envergure exceptionnelle envahit l’Irak, infligeant des pertes considérables à la plus grande armée du Moyen-Orient, tout en libérant le Koweït. L’été 1991, une tentative de putsch contre Gorbatchev signe la dissolution de l’Empire soviétique annoncée le 26 décembre 1991, amenant l’indépendance des anciennes Républiques en Europe et Asie. L’Union est remplacée par la CEI. En décembre l’Otan crée un forum de consultations, le Conseil de Coopération Nord-Atlantique, comprenant 16 membres de l’Otan, plus la Russie, des pays d’Asie, rejoints un an plus tard par les Républiques de la CIE. Celles-ci intégrant également en 1992 cette autre structure à visée consultative qu’est l’OSCE. Qui a cependant deux bras armés, l’Otan et la Russie.
La naissance de l’OCS. Observons ce qui s’est passé en Russie et en Asie dans les années 1990. Cinq nations décident de s’entendre pour une coopération économique ainsi qu’un maintien de la stabilité. Ainsi naquit en 1996 Shanghai five, une structure informelle. Les médias n’ont pas beaucoup parlé de cet événement. Il faut dire que la Chine était encore loin de son statut de grande puissance et la Russie en pleine déconfiture sous l’ère Eltsine. En plus, la chute du Mur avait rendu les démocrates euphoriques, les intellectuels muets, et les gouvernants de danser avec les citoyens sur cette nouvelle économie ensorcelante. En 2001, Shanghai five devient l’OCS qui regroupe en plus des deux géants russe et chinois, des nations d’Asie centrale issues de l’ancienne Union soviétique, Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizstan et Tadjikistan. A ces membres permanents, s’ajoutent des pays amis désignés comme observateurs, Inde, Iran, Pakistan, Mongolie. Les statuts ont été clairement définis. Organiser la paix, les relations de confiance entre pays voisins, promouvoir un monde équilibré et, bien entendu, offrir un cadre favorable aux échanges économiques. L’OCS n’est pas comme l’Europe une entité ouvertement politique, mais elle est un peu plus que l’ALENA ou le MERCOSUR, zones des Amériques à finalité essentiellement économique.
Un détail sans doute anodin. L’OCS est officiellement formalisée en juin 2001, deux mois avant les attentats du WTC. Qui ont conduit les membres de l’OCS à faire de la lutte contre le terrorisme une priorité renforcée. Disposition concrétisée par la création d’un centre antiterroriste à Tachkent. Dont les missions sont claires. Ecraser le terrorisme, lutter contre les extrémismes religieux, les séparatismes. La Chine a d’ailleurs regardé d’un nouvel œil les Ouïgours indépendantistes et jugés comme des terroristes après le 11-Septembre par Pékin. Au-delà de ces simples objectifs, c’est la concrétisation d’un monde nouveau, multipolaire, qui se dessine. Tout doucement et sans faire grand bruit dans les médias occidentaux.
La Russie est l’un des deux piliers de l’OCS, organisation dont la coopération s’étend au volet militaire avec des manœuvres militaires communes. Une OCS qui risque de devenir une Otan asiatique. La Russie est aussi un partenaire économique privilégié avec l’Europe alors que l’Europe est intégrée dans une alliance militaire avec l’Amérique. Ce qui fait un sacré imbroglio géopolitique d’autant plus que la Russie fait partie de l’OSCE, autre structure consultative réunissant les pays de l’Otan et les anciennes Républiques soviétiques, dont la Russie. Mais l’OSCE n’a pas de commandement militaire intégré et, pour cause, elle a deux bras armés incompatibles. Par ailleurs, elle fut très critiquée par Poutine qui la rendit responsable d’ingérence dans les anciennes Républiques soviétiques en alimentant les « révolutions de couleurs », lors d’une conférence prononcée en 2007.
Si l’OCS parvient à se doter d’une réelle intégration militaire et politique, ce sera alors la naissance d’une hyper puissance, surtout si elle est rejointe par ce qu’ils appellent les membres observateurs : Iran, Pakistan, Inde. Dans sa forme actuelle, l’OCS représente avec ses six pays 1,5 milliard d’habitants, plus 1,2 milliard pour les pays observateurs. C’est aussi 26 millions de kilomètres carrés, trois fois les Etats-Unis. Un tiers de l’énergie pétrolifère, près de la moitié du charbon et la moitié des réserves en uranium. Sans parler d’autres ressources minières. Quant à l’armée, c’est plus d’un million d’hommes pour les Russes et le double pour les Chinois. Et 140 sous-marins ! Bref, c’est le signe d’un jeu de recomposition géostratégique sur fond d’intérêts économiques. Sur ce point, on notera la mise en service récente d’un oléoduc reliant le Kazakhstan et la Chine si bien que le pétrole de cette ancienne République soviétique coule des deux côtés, vers l’Europe et vers l’Extrême-Orient. Cette république d’Asie centrale fait partie, avec ses voisins et une partie de la Chine, d’une zone appelée Turkestan, dont les ressources énergétiques sont évaluées au-dessus de celles de l’Arabie saoudite.
Ce qu’on peut dire, c’est que les nations membres de l’OCS ont une position comparable avec Washington pour ce qui relève de la lutte contre le terrorisme et, notamment, les mouvances islamistes plus ou moins proches d’Al-Qaïda. D’ailleurs, le sort de la Tchétchénie ressemble de près à celui de l’Afghanistan. Pendant le règne d’Elstine, la négligence et la corruption ont conduit les nationalistes tchétchènes à commettre des déplacements de population, proclamer la charia, et même accueillir sur son sol des terroristes d’origine jordanienne ou saoudienne proches d’Al-Qaïda. Poutine a pris en main la situation. Et l’on ne comprend pas pourquoi la Russie a été si vivement critiquée alors qu’elle n’a fait que se défendre comme le fait l’Otan face aux talibans. Nos professionnels de la philosophie médiatique, BHL et Glucksmann, ont fait preuve de bien d’arbitraire sur fond de russophobie. On sent planer un flou sur le sens du monde et, comme on le verra, les récentes déclarations des Américains montrent quelques incohérences.
Au terme de ce modeste panorama, une question se pose. Au temps des chocs entre nations, de 1800 à 1930, la délimitation des territoires, les enjeux nationalistes, politiques, étaient déterminants. Après l’intermède de la guerre froide, nous sommes revenus, comme le pensent quelques historiens, au choc des nations. Mais, cette fois, les enjeux économiques semblent déterminants. Pour faire simple, en 1900, l’économie servait la guerre alors qu’en 2010 la guerre sert l’économie. Mais rien n’est aussi tranché. Quel est le jeu des Américains, des Européens, des Russes… ? A suivre ?
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