Nicolas Sarkozy serait « mécontent » de la Bulgarie, et l’aurait fait savoir !
La Libye n’est pas heureuse du geste du président de la Bulgarie de gracier, après huit ans d’internement, les cinq infirmières et le médecin. Cela, nous le savions : « Les détenus devaient être remis dès leur arrivée à un établissement pénitencier et non pas libérés de manière illégale », a déclaré le chef de la diplomatie libyenne, Abdelrahman Chalgham, lors d’une conférence de presse à Tripoli. La libération des six praticiens constitue aux yeux de la Libye une « violation » de l’accord d’extradition liant cette dernière à la Bulgarie qui, selon elle, ne prévoit pas une telle mesure. Pour Sofia, qui rejette ces protestations, il n’existe « aucun obstacle » juridique à la clémence du président.
Idriss Lagha, porte-parole des familles des enfants contaminés, également présent à la conférence de presse, invite le gouvernement libyen à saisir Interpol pour que les six praticiens soient de nouveau arrêtés et à rompre ses relations diplomatiques avec la Bulgarie en raison de ce qu’il qualifie de « mépris du président bulgare à l’égard du droit international et du sang des enfants ».
Cette libération ne cesse de créer des remous. Nicolas Sarkozy, confronté aux questions de la presse, avait affirmé que « ni l’Europe ni la France » n’avaient « versé la moindre contribution financière à la Libye » en échange de la libération des Bulgares. Ses amis libyens le soutiennent à souhait : « Le Premier ministre de la Libye répond que les compensations ont été payées par des pays européens, dont la Bulgarie, la Slovaquie et la République tchèque, ainsi que par le Qatar, dont la "médiation" avait été saluée par la Libye, la France et la Commission européenne. Paris a promis d’équiper l’hôpital de Benghazi et de fournir du personnel qualifié pendant cinq ans. La France formera une cinquantaine de médecins libyens. » Bref, pour la Libye, c’est bien l’Union européenne et la France qui ont couvert les sommes versées aux familles par le fonds Benghazi.
Le Monde précise que « le fonds international Benghazi a accordé un million de dollars aux familles de chacun des enfants contaminés dans le cadre d’un accord aux termes duquel elles ont accepté que la peine de mort à laquelle cinq infirmières et un médecin bulgares avaient été condamnés soit commuée en détention à perpétuité. L’argent a été dégagé grâce à un prêt libyen de 460 millions de dollars, remboursable lorsque les fonds des donateurs seront disponibles. Le fonds financera aussi le traitement médical des enfants et des améliorations du système de santé libyen ».
Alexandre Buccianti, de Radio-France Internationale, rappelle que « cette conférence de presse, destinée à dénoncer la Bulgarie, est aussi une manière, pour la Libye, de répondre au Front national du salut libyen qui, de son exil, accuse le régime de Tripoli d’avoir manipulé et menti aux familles des victimes en prétendant avoir reçu des dédommagements ». Voilà pourquoi le Premier ministre insiste tellement sur le fait que « Tripoli n’avait pas déboursé un dinar dans le dédommagement des familles des enfants victimes du virus du sida ».
La question nucléaire a également refait surface et provoqué beaucoup de remous.
La Libye est-elle un partenaire réconcilié, comme le laisse entendre le président français ?
Là où se corse davantage cette saga de la libération des praticiens bulgares, c’est lorsque le Premier ministre libyen affirme, le plus sérieusement du monde, que « le président français Nicolas Sarkozy, qui s’est beaucoup impliqué avec son épouse Cécilia dans le dénouement de cette affaire, a lui aussi exprimé son "mécontentement" face à la méthode avec laquelle ont été libérés les six praticiens ».
Il faudra bien que le président français confirme ou infirme cette révélation très embarrassante de la Libye. Si cela est avéré, toute la démarche entreprise par la France pour libérer les soignants bulgares et tous les élans de sincérité qu’a bien voulu laissé entendre le président Sarkozy ne seraient que pure manœuvre tactique pour ouvrir un territoire de négociations commerciales et devancer ainsi les autres pays d’Europe, avides du pétrole de la Libye. Où iront les intérêts de la France dans ce litige ? Vers la Bulgarie ou vers la Libye ?
Cette révélation supposerait également que madame Cécilia Sarkozy s’est prêtée à des opérations diplomatiques qui n’avaient d’humanitaires que ce que voulait bien en dire le président de la République. Interrogé sur le rôle concret joué par son épouse et l’éventuelle mise en œuvre d’une nouvelle forme de diplomatie, le président avait répondu que, peu importait les personnes impliquées, « ces infirmières, elles étaient Françaises [...] il fallait les faire sortir, on les a fait sortir ».
De Sofia, Arnaud De La Grange, du Figaro, précisait : « Au début de l’affaire, les autorités bulgares ont été critiquées pour leur mollesse et leur inefficacité. Il y a deux jours encore, la fille de l’infirmière Valia Tcherveniachka demandait que les dirigeants bulgares répondent devant la justice de leur "inaction" ». En comparaison, l’activisme de la France faisait en Bulgarie l’unanimité. « On avait été aussi étonnés qu’heureux d’apprendre que Nicolas Sarkozy avait parlé des infirmières dès le soir de son élection, confie une commerçante, Jana Kotcheva. On est bluffés de voir aujourd’hui que ce n’était pas seulement des mots. » Nicolas et Cécilia Sarkozy, ainsi que Benita Ferrero-Waldner, ont été faits citoyens d’honneur de Sofia. »
Les questions suivantes sont donc d’actualité :
- Le président Sarkozy partage-t-il l’avis du président Gueorgui Parvanov, qui déclarait, selon Le Figaro : « Les tribunaux libyens n’ont pas tenu compte des preuves indiscutables, scientifiques et juridiques, de l’innocence des praticiens » ?
- Le président Sarkozy a-t-il notifié à Sofia son « mécontentement » pour la décision du président bulgare Gueorgui Parvanov de gracier, dès leur arrivée en sol bulgare, les praticiens détenus en Libye ?
- Le président Sarkozy considère-t-il que les praticiens bulgares doivent encore faire l’objet, après tant d’années de souffrance, d’un mandat d’arrêt international déposé auprès d’Interpol ?
Arnaud De La Grange, dans le Figaro, rapportait les propos d’un journaliste bulgare : « C’est dommage que nous n’ayons pas entendu Cécilia Sarkozy, mais on nous a expliqué que le protocole autorisait seul le secrétaire général de l’Élysée à parler. » Le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, qui a fait les deux voyages de Tripoli avec Cécilia Sarkozy, a résumé l’aventure libyenne par un « mission accomplie ».
Mission qui suscite encore certaines interrogations. Beaucoup de déclarations ont été faites à Tripoli, engageant directement la responsabilité de la France. Mais qui parlera au nom de la France pour rétablir les faits ?
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