“Nous sommes tous complices" : entretien avec Ewa Jasiewicz
Il y a un an, Israël envahissait Gaza. Baptisée “Opération Plomb Durci“ par l’armée israélienne, l’invasion débuta le 27 décembre 2008 avant de se terminer le 18 janvier 2009. Au cours de ces 23 jours, plus de 1 400 Palestiniens dont 320 enfants ont péri. 5 000 autres Palestiniens ont subi des blessures graves.
Ewa Jasiewicz a fait partie des quelques “internationaux“ qui se trouvaient sur place. Militante pour les Droits de l’Homme, responsable syndicale et journaliste, Ewa Jasiewicz a passé plusieurs années en Palestine occupée et en Irak aux côtés des ouvriers de l’industrie pétrolière, des réfugiés, d’unités d’assistance médicale et de communautés locales. Elle est coordinatrice pour le Mouvement Free Gaza et fait partie du collectif éditorial de l’édition polonaise du Monde Diplomatique. Son livre “Gaza : Getto Nieujarzmione“ (Gaza : a Ghetto Unbroken) sera publié en Pologne en mars prochain par Ksiazka i Prasa. Un an après, elle revient, au cours d’un entretien avec Frank Barat, sur cette terrible période.
Frank Barat : Il y a un an, vous étiez à Gaza pendant l’Opération “Plomb Durci“. Pourquoi et comment vous-même et d’autres militants êtes-vous arrivés dans la Bande de Gaza ?
Ewa Jasiewicz : Avec d’autres militants, solidaires de Gaza, venus du Liban, d’Espagne, du Canada, d’Australie, d’Italie, du Royaume-Uni et de Grèce, nous sommes parvenus à atteindre Gaza à bord du bateau le Dignity dans le cadre du Mouvement Free Gaza (Free Gaza Movement – FGM). Le mouvement avait réussi à remplir cinq missions entre août et décembre 2008, en mobilisant des militants pour les Droits de l’Homme venus sur place afin de créer un mouvement d’activisme politique à des fins de solidarité, rompre l’isolement de communautés ostracisées et faire face de manière directe au siège illégal et violent d’Israël.
Les missions de FGM sont politiques. Nous avons à l’esprit le fait que la Palestine n’est pas une cause humanitaire. La solution face à soixante ans de politique de nettoyage ethnique, d’apartheid et d’isolement par voie militaire, ne réside pas dans l’acheminement de sacs de farine, de médicaments, de nouvelles tentes et de millions d’aide mais dans une réelle volonté politique et dans des actions concrètes. C’est exactement ce que ne font pas les gouvernements à travers le monde. Aussi nos actions visent à revenir à la base des lois internationales et à les faire appliquer parce qu’elles ne sont pas respectées et parce qu’elles sont violées, tous les jours, à tous les niveaux. Le siège de Gaza et l’occupation de la Palestine ont une portée internationale. Les états les cautionnent soit par leur silence soit par une complicité directe par le biais de leurs relations économiques avec Israël. Cela fait d’eux des co-occupants et des collaborateurs d’Israël lorsqu’on parle des crimes perpétrés contre le peuple palestinien.
FB : Vous aviez passé quelque temps en Cisjordanie occupée à l’époque où Israël y a mené des opérations (en particulier dans le camp de Jénine). Quelles différences voyez-vous entre les deux régions et que pensiez-vous découvrir à Gaza ? Vous attendiez-vous à une attaque ?
EJ : Non, je ne m’attendais pas à cette attaque mais le peuple de Gaza et les autorités du Hamas s’y attendaient parce que le cessez-le-feu avait expiré et qu’Israël préparait une attaque en menaçant d’éliminer, comme toujours mais avec une plus grande force et volonté, les leaders de la résistance, militaires ou politiques, et ceux qui les soutenaient. Le survol des drones s’est fait plus intense, jusqu’à survoler Gaza 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. En 2002, les opérations que j’ai vécues en Cisjordanie à la suite de l’opération “Rempart“, à Jénine et à Naplouse, étaient de moins grande ampleur. L’Opération “Rempart“ était une énorme opération au cours de laquelle des centaines de Palestiniens sont morts. Le cœur même du camp de réfugiés de Jénine a été détruit par les bulldozers et des dizaines de civils ont été tués au cours de cette opération. Quand je suis arrivée là-bas, les ruines et les larmes étaient encore présentes mais la destruction et les massacres avaient cessé.
Les petites opérations étaient menées pendant le couvre-feu. Elles mobilisaient des centaines de soldats, qui procédaient à des fouilles, maison par maison et interpellaient tous les hommes âgés de 15 à environ 50 ans, les interrogeaient et les passaient à tabac. Souvent au cours de ces opérations, des groupes d’enfants lançaient des projectiles sur les chars et les véhicules de transport de personnels et ils se faisaient tirer dessus en retour. La nuit régnait une résistance sporadique de certains combattants mais les plus aguerris avaient déjà été tués à ce stade. Les troupes infligeaient des punitions collectives telles que les démolitions de maisons par des bulldozers ou des explosifs et des civils étaient utilisés comme boucliers humains. La différence en Cisjordanie, c’est qu’une grande partie de l’infrastructure de l’Autorité Palestinienne et des infrastructures militaires de la résistance (combattants et leaders) avait été détruite au cours de l’opération “Rempart“ par les F16. Israël appliquait sa stratégie habituelle en décimant les leaders de la résistance armée ou politique des principales factions politiques en y ajoutant des cibles dans le domaine social (chefs de communautés, responsables de l’aide sociale…), en continuant à procéder à l’arrestation de personnes liées aux personnes recherchées et en essayant de débusquer les combattants les plus jeunes et donc les plus inexpérimentés.
Avec les tunnels, les combattants de Gaza ont eu accès à un armement plus sophistiqué et menaçant que ceux de Cisjordanie. L’agression israélienne a donc été plus intense à Gaza et fortement liée aux bombardements aériens. Depuis le retrait des colons et des bases militaires (en 2005), ce phénomène s’est accru.
En Cisjordanie, les militants étaient plus mobiles et pouvaient faire face et dialoguer avec les soldats. Pendant Gaza 2009, ce fut impossible. Je n’ai vu des soldats qu’une fois, un soldat des forces spéciales qui pointait visiblement son arme sur notre ambulance. En Cisjordanie, nous nous trouvions souvent entre les chars et les véhicules de transport de troupes, nous les suivions et les observions de près. Si vous vous approchiez des soldats à Gaza, ils vous tueraient… Tout le monde nous le disait.
FB : Que comptiez-vous faire là-bas ? Vos projets ont-ils changé après l’invasion de Gaza ?
EJ : Comme les autres militants, je comptais travailler avec des partenaires palestiniens, des associations, des syndicats, des agriculteurs, des pêcheurs, mener des campagnes locales pour le droit à l’éducation et faire cesser l’état de siège. Mon rôle prévoyait de coordonner et guider des délégations en visite arrivant grâce aux bateaux de FGM avec Caoimhe Butterlly (une militante irlandaise pour les Droits de l’Homme). Après l’invasion, il est devenu évident qu’en tant que militants étrangers, notre rôle serait de témoigner et de raconter en minimisant les risques pour ceux qui avaient le plus de chances d’être attaqués (qui pendant l’invasion ont été les services médicaux).
Les forces d’occupation israéliennes ont tué 16 personnels médicaux en 22 jours et en ont blessé des dizaines. En assistant les ambulanciers, nous avons essayé de dissuader toute attaque en informant nos ambassades et les médias que nous accompagnerions ces services – 13 ambulanciers parmi ceux qui ont été tués faisaient partie des services de la défense civile. Nous n’avons pas fait de distinction entre les services “privés“ et “publics“. Tous doivent être protégés par les lois internationales. D’autre part, nous ne nous sommes pas contentés d’accompagner ces services. Nous avons aidé au transport des blessés et des morts et avons essayé d’aider là où on avait besoin de nous. Ensuite, nous étions mobiles, les ambulances étaient les seuls véhicules capables de circuler 24h/24. Nous devions pouvoir constater et raconter le plus possible. Enfin, grâce à notre mobilité et parce que nous étions proches de la ligne de front, nous pouvions voir les effets des bombardements sur les civils, à l’intérieur même de leurs maisons et recueillir des témoignages de familles et de militants des Droits de l’Homme palestiniens à l’intérieur des hôpitaux.
FB : Comment se déroulait une journée à Gaza pendant l’invasion ?
EJ : C’était un ballet constant de drones, des bombardements incessants et le bruit assourdissant des explosions, parfois proches, parfois plus lointains. Les peurs muettes. Les rues désertées. Des gravats partout. Le son permanent des sirènes, les cris des familles et les gémissements des blessés en sang et couverts de poussière. Les ambulanciers qui priaient et fumaient. Votre cœur qui bat encore plus vite à chaque nouvelle décharge d’adrénaline, l’attente permanente d’une nouvelle attaque et le désir immense que tout ça s’arrête. Le flot incessant des corps et des brancards ruisselant de sang. Les peurs qui reviennent, commandées par le choc et l’horreur. Et une peur panique de la nuit. Y en aura-t-il une autre ? Le prochain trajet en ambulance sera-t-il le dernier ? Jamais la peur ne nous a paralysés mais la peur était là. Nous avons tous accepté l’éventualité de la mort et pris des risques parce que ça en valait la peine, parce que les Palestiniens le méritent. Nous voulions sauver des vies et j’ai oublié la mienne car j’étais portée et inspirée par le courage des gens autour de moi et je voyais leur incommensurable volonté de sacrifier leurs vies pour en sauver d’autres.
FB : Quel était le sentiment de la population sur place ? Comment survivaient-ils et comment réagissaient-ils ?
EJ : Tout le monde était terrifié mais aussi très en colère. Sur le terrain, le sentiment général laissait penser que tout pouvait arriver, tous les garde-fous étaient tombés. Il ne faut pas oublier que l’Opération “Plomb Durci“ n’est que le résultat de l’intensification d’une stratégie déjà en place, faite de massacres et du ciblage délibéré d’individus et d’infrastructures civiles. Mais à Jabaliya (le camp de réfugiés au nord de la Bande de Gaza), beaucoup d’entre nous s’attendaient à un nouveau Sabra et Chatila : les témoins étant dispersés, les médias attaqués et les chars se rapprochant de plus en plus, nous avons senti que les horreurs en cours en appelleraient de nouvelles avec une intensité toujours plus grande.
FB : En quoi la présence des “internationaux“ a-t-elle été la plus utile et quelle a été leur contribution ? Quelle a été l’attitude des Palestiniens à votre égard ?
EJ : La population de Gaza était heureuse de nous voir et elle nous le disait tous les jours : “Racontez ce que vous avez vu, pourquoi cela nous arrive-t-il ? Dites-le au monde, c’est votre devoir de raconter ce que vous vivez.“ Et c’est ce que nous avons fait à travers les télévisions et les radios, à travers nos propres récits. Certains d’entre nous ont écrit des livres : Vittorio Arrigoni (Italie), “Gaza, Stay Human“, Sharyn Lock (Royaume-Uni), “Gaza beneath the bombs“, moi-même, “Gaza : A Ghetto Unbroken“. Certains autres ont réalisé des films comme Fida Qishta et Jenny Linnel et des documentaires sur les attaques au phosphore sur Khoza. Alberto Arce et Mohammad Rujailah ont produit “To Shoot an Elephant“.
Je crois que nous avons été le relais des témoignages de la communauté palestinienne quant à l’utilisation du phosphore blanc, sur le fait que des civils étaient visés de manière délibérée, que les hôpitaux, les écoles, les services d’urgence étaient pris pour cibles. Et ces récits allaient à l’encontre de la propagande d’Israël. D’autre part, je sais que nous avons été un soutien moral pour les ambulanciers avec qui nous avons travaillé. Ils savaient que notre présence constituerait un témoignage s’ils étaient tués et une protection, aussi petite soit-elle, contre les attaques israéliennes. Quel que soit l’enfer dont nous parlons, tout le monde a besoin d’un témoin pour l’affronter, d’une forme de solidarité, de contrôle pour réaliser que vous vous trouvez au milieu d’une situation aussi inouïe. Nous avons aussi mobilisé les gens à l’extérieur pour qu’ils manifestent et organisent des actions concrètes de boycott, d’arrêt des investissements et de sanctions. Transmettre ce message vers l’extérieur était également très important et beaucoup de gens ont souhaité se mobiliser et renforcer leurs actions militantes.
FB : Pourriez-vous nous raconter un événement en particulier qui vous a choqué pendant cette invasion ?
EJ : Il y en a tellement. Tellement… Ce serait probablement le bombardement d’une maison par un F-16 à quelques pas de l’endroit où se trouvaient quatre de nos ambulances. J’étais assise à l’avant côté passager, ma main était à l’extérieur de l’ambulance. Puis mon ami, le chauffeur, m’a demandé de patienter un instant, d’attendre un peu. Et soudain, il y a eu une énorme explosion. Des flammes orange ont jailli et des gravats et des débris ont recouvert notre ambulance. L’un des chauffeurs a été blessé et a du être transporté sur un brancard. La route était bloquée par les gravats. Une famille hurlait et tentait de rassembler quelques affaires avant de s’enfuir. Nous ne savions plus quoi faire de nos blessés car les drones grondaient au-dessus de nous et nous avions peur d’une nouvelle attaque, d’avoir plus de victimes et de perdre nos quatre ambulances, si précieuses. Nous sommes passés près de la mort cette nuit-là. Les Israéliens nous ont vus et ont suivi nos mouvements dans les rues de Jabaliya avant de bombarder une maison qui se trouvait à 3 mètres de nous. C’est un exemple d’une utilisation criminelle et démente de la force armée.
Autre exemple, celui de l’école élémentaire de Beit Lahiya qui a subi des bombardements au phosphore blanc. Nous sommes arrivés avec nos ambulances après avoir évacué des dizaines de résidents souffrant d’inhalation de phosphore et après que l’école a été touchée de plein fouet. Je portais un masque mais l’odeur pestilentielle et la fumée passaient à travers. Alors que nous étions là-bas, un second bombardement a eu lieu. Je suis restée clouée sur place et j’ai pu voir ces gouttes en fusion pleuvoir autour de moi, jusqu’à ce que quelqu’un me crie de m’écarter et de chercher un abri. Les gens de l’école, qui s’étaient abrités sous un frêle abri de métal, pleuraient et criaient. Le troisième étage de l’école était en feu. Nous avons emmené un garçon boitillant de 7 ans, Bilal Ashkar, dans notre ambulance. Il avait été touché par une capsule de phosphore et projeté en bas de l’escalier de l’école par la force de l’explosion. A notre arrivée, il était mort.
FB : Un cessez-le-feu a été déclaré le 18 janvier 2009. Les choses ont-elles changé ensuite ? A quoi ressemblait Gaza et quelle était l’ambiance après la déclaration de cessez-le-feu ?
EJ : Les forces d’occupation israéliennes ont envoyé des F-16 pendant que les gens retournaient chercher les fragments de leurs vies déchirées à Ezbet Abed Rabo, un quartier près de Jabaliya. Chaque nuit, les drones continuaient de tourner comme pour nous narguer. Il y avait un sentiment d’humiliation et d’une horreur inconcevable. Un sentiment de perte, un sentiment si profond de dislocation et de perte… Perte de vies, d’êtres aimés, de maisons, de communautés entières, de rues, de mosquées, de magasins, tous disparus. Les gens erraient littéralement dans leurs propres quartiers. C’est comme une nouvelle Nakba (l’expulsion forcée des Palestiniens de leur pays en 1948 lorsque Israël a été créé). Les gens avaient l’impression que la communauté internationale se moquait d’eux. “Ils rient de nous, personne dans le monde ne s’intéresse à nous, ils s’en moquent“ était la phrase qui revenait le plus souvent. C’est comme si un tsunami les avait ensevelis.
FB : De nombreux rapports émis par des entités des Nations Unies, des organismes d’aide internationale et de défense des Droits de l’Homme ont été publiés dans les mois qui ont suivi l’invasion. La plupart d’entre eux s’accordaient sur le fait que des crimes de guerre et certainement des crimes contre l’humanité avaient été commis au cours des attaques israéliennes. Avez-vous été témoin de certains actes que l’on pourrait ranger dans ces catégories de crimes ?
EJ : Absolument : le ciblage des civils et des zones civiles, la destruction aveugle et volontaire de propriétés, l’utilisation disproportionnée et indistincte de la force, comme dans le cas de l’école de Beit Lahyia, le massacre de la famille Samouni, le bombardement des enfants Hamdan à Beit Hanoun par des F-16, le total non-respect de nos ambulances, le blocage de l’accès aux blessés provoquant des centaines de morts, l’assassinat extrajudiciaire de Sayed al-Seyam et de Nazar Rayan et bon nombre des membres de leurs familles. Nous avons recueilli tellement d’hommes détruits (et de femmes également) déchirés par les bombes lâchées par les drones – ceux-ci peuvent transporter une charge de 150 kgs et sont tellement sophistiqués qu’ils peuvent détecter la couleur des cheveux d’un individu. Selon le Centre al-Mezan pour les Droits de l’Homme, la plupart des victimes ont été tuées par des drones suivis par des F-16.
FB : Il y a quelques semaines, 16 organismes d’aide internationale ont publié un rapport déclarant que la communauté internationale avait “abandonné Gaza“. Sur le terrain, les choses n’ont absolument pas changé pour les Palestiniens. Elles ont même empiré. Aussi, que pensez-vous du rôle de la résistance populaire ou du militantisme citoyen ?
EJ : Oui, la communauté internationale facilite et finance l’occupation d’Israël tout en affaiblissant et participant au sous-développement de la Palestine. Les citoyens ordinaires ont la responsabilité de ne pas financer ou soutenir politiquement une industrie qui cache le projet continu de nettoyage ethnique et de colonisation de la Palestine. Les citoyens ont la responsabilité de faire naître un mouvement de masse capable d’exercer une pression politique par tous les moyens possibles – BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) et par des actions directes – afin que des sanctions soient portées contre Israël et pour renforcer le pouvoir international en ciblant les sociétés qui le violent en termes de Droits de l’Homme et pour exposer Israël au même titre que l’apartheid sud-africain fut exposé avant de disparaître.
FB : A votre avis, quels sont les besoins les plus urgents à Gaza ? Que peuvent faire les gens pour aider à sortir de ce statu quo ?
EJ : Les Gazaouites devraient répondre eux-mêmes à cette question mais beaucoup de gens disent que ce dont Gaza a besoin, c’est du reste de la Palestine. Les gens qui vivent dans des camps en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Cisjordanie veulent retrouver leurs familles et leurs maisons. Le droit inaliénable et légal au retour pour Gaza et pour l’ensemble des réfugiés doit être réaffirmé. La tactique israélienne de division et de torture, de scission de la communauté palestinienne est un projet ancien visant à abattre l’arme la plus puissante contre le nettoyage ethnique : la mémoire, la communauté, la famille. Tant que des gens se souviendront de leurs maisons et de leurs terres, se reconnaîtront entre eux, parleront de leur cousin, de leur oncle, leur sœur, leur frère et pourront continuer de demander : “De quelle famille viens-tu ?“, alors la lutte ne faiblira jamais et ne sera jamais altérée. Les Palestiniens de Gaza doivent avoir les moyens de parler et d’agir par eux-mêmes. Ils ne doivent pas être dépendants des intermédiaires et ils doivent avoir accès au monde, construire des jumelages entre écoles, mosquées, universités, hôpitaux, jeunes, initiatives… Ce sont les moyens qui permettront de rompre l’isolement et de construire un mouvement de solidarité plus étroit et dynamique avec l’extérieur. L’aide n’est pas la réponse. La solution est la solidarité.
FB : Un an après la guerre, les gens se sont mobilisés, partout dans le monde à travers des manifestations, pour “commémorer“ l’anniversaire de ces événements tragiques. Que pensez-vous de ces manifestations ? Quels effets ont-elles sur les Palestiniens de Gaza ? Ont-elles un intérêt ?
EJ : Les rassemblements sont un point essentiel : nous avons besoin de ce deuil collectif, de participer au souvenir et de descendre dans la rue. Mais il est aussi important de s’intéresser aux sociétés qui violent les lois internationales et qui sont la clé de la perpétuation de l’apartheid israélien, qui, il faut le rappeler, ne se limite pas à Gaza. La Cisjordanie est quinze fois plus étendue que Gaza et n’est qu’une juxtaposition de “petits Gaza“, des bantoustans cernés par le mur de l’apartheid israélien. Des sociétés comme Veolia, Alstom, Caterpillar, Elbit Systems, CRT Holdings et Carmel-Agrexco pourraient être accusées de soutien et de complicité aux crimes de nettoyage ethnique et de colonisation illégale. L’appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions de la société civile palestinienne doit être entendu et soutenu, au quotidien, de manière active. Nous sommes tous les complices de la poursuite et du renforcement de l’occupation. Il s’agit d’une occupation internationale, c’est un problème mondial et une solidarité internationale pour le respect des Droits de l’Homme en Palestine peut mener à une solution au niveau local.
FB : Retournerez-vous un jour à Gaza ?
EJ : J’y retourne bientôt ! Je pensais n’en partir que pendant un mois, Gaza me manque énormément. J’y suis chez moi, mes amis et ma “famille“ me manquent. Comme tant d’autres militants qui vont en Palestine, ce que nous voyons reste en nous. Nous apprenons et nous recevons des leçons d’humilité de la part des gens avec qui nous travaillons et c’est un honneur et un privilège de participer à cette lutte.
Frank Barat est un militant pour les Droits de l’Homme. Il est également coordinateur du Tribunal Russell sur la Palestine. Il réside au Royaume-Uni.
Traduction de l’anglais : [email protected]
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