Obama vers le cauchemar de Johnson
À l’heure où le problème afghan pousse les forces de l’OTAN et de l’ISAF vers l’impasse, le président Obama se trouve face à un dilemme. Envoyer plus de renforts comme le voudraient les militaires pour régler le problème par les armes, ou garder les effectifs actuels de l’U.S. Army en Afghanistan en espérant de finir la guerre d’une manière plus « pacifique ». Mais l’échec, en Afghanistan, d’une véritable élection présidentielle est un camouflet pour la solution par la voie démocratique, ce qui apporte de l’eau au moulin à l’état major américain, qui prône l’envoie d’un renfort de 40 000 à 30 000 hommes en plus des 68000 déjà sur place. La situation du président Obama nous rappelle alors celle de l’un de ses prédécesseurs, Lyndon B. Johnson qui fut dans un cas comparable durant la guerre du Vietnam. Ce rapprochement est de plus en plus noté par les observateurs et les médias, qui utilisent désormais le raccourci suivant : « L’Afghanistan, le nouveau Vietnam ».
Il faut tout de même arrêter le parallèle ici, Obama et Johnson sont deux personnalités très différentes.
Le premier est un homme charismatique considéré comme providentiel, alors que le second fut dans l’ombre de l’aura de JFK et devint président de manière improbable, Obama a fait une carrière politique assez courte avant de devenir président, Johnson lui commença sa carrière en politique en 1935 pour devenir président en 1963, il fut alors contrairement à l’actuel président, un professionnel des arcanes des institutions américaines. Le contexte économique de ces deux présidents est totalement différent, Obama doit faire face à une grave crise économique, tandis que Johnson fit son mandat durant une forte croissance quoique nuancée par les prémices d’une future crise. Sur un plan personnel, ils sont tout aussi différents, Obama est un métisse contrairement à Johnson qui est un pur Texan, l’un est un intellectuel, l’autre ne l’était pas vraiment ; beaucoup de proches de Johnson n’ont jamais vu un livre à proximité de lui. Bref, de multiples facteurs opposent ces deux présidents américains, mais tous deux sont démocrates et ont une politique sociale. Du coté d’Obama, c’est la création d’une « assurance santé universelle » au niveau fédéral, Johnson quant à lui mit en place la « Grande Société », ce terme désignait un programme de politique intérieure pour continuer la « Nouvelle Frontière » de John F. Kennedy. Il est important de préciser cette volonté commune chez ces deux présidents, car la guerre du Vietnam mit à mal le projet de « Grande Société » en vampirisant le budget américain, et la guerre en Afghanistan pourrait avoir les mêmes conséquences pour Obama. C’est donc surtout l’enlisement dans une guerre lointaine durant leur mandat, qui est le dénominateur commun entre le 36e et le 44e président des Etats-Unis.
Pour qu’Obama soit dans la même situation que Johnson, il faut que les deux guerres se ressemblent. Bien sûr, les raisons des deux guerres et leurs localisations sont différentes, la guerre du Vietnam fut causée par la révolte du Viêt-Cong, alors que la guerre en Afghanistan a pour casus belli les attentats du 11 septembre. Pour ce qui est de la décision de guerre, les deux présidents n’ont pas vraiment eu le choix, il est vrai que Johnson a officialisé et intensifié la guerre au Vietnam, mais cette action n’était pas de son propre chef, car déterminée par la logique implacable de vingt ans de politique américaine au Vietnam. Obama lui n’a pas eu du tout le choix de la guerre, car déclenchée par George W. Bush, pourtant il la juge suffisamment juste pour pouvoir la continuer contrairement à celle en Irak. Les débuts des deux guerres sont à peu près comparables, car ils furent plutôt optimistes pour les Américains. Dans les deux cas, les forces ennemies semblaient être balayées, et la suite de ces deux conflits se ressemblent aussi ; les Américains se retrouvent face à une intensification d’une guérilla qu’ils ne peuvent battre. Il y a aussi l’échec de la mise en place d’une démocratie par les Américains dans le pays où se déroule la guerre, on a pu le voir avec les dérives autoritaristes de la République du Vietnam, puis la non démocratie et la corruption de la République Islamique d’Afghanistan. Les conduites de la guerre au Vietnam et en Afghanistan sont les mêmes, les GI’S sont cantonnés dans les villes et leurs bases où règne une relative sécurité, et ne sortent que pour des opérations de nettoyage des zones de rébellion, la fameuse tactique du « Search And Destroy ». Mais le soldat américain au Vietnam n’est pas le même que celui en Afghanistan, les forces de l’U.S. Army au Vietnam étaient formées de volontaires et de conscrits, alors que celles en Afghanistan ne sont composées que de volontaires, qui sont motivés par une vocation militaire, par les bourses universitaires offertes, ou la naturalisation américaine donnée à eux et leur famille. La vie des « boys » en Afghanistan est pourtant la même qu’au Vietnam, leur cantonnement dans les bases provoque l’ennui chez eux, ils font quelques patrouilles ou des opérations d’escortes terminant par des embuscades. Pour la population qu’ils sont sensés aider, elle se trouve entre les bavures de l’armée américaine, puis les attentats et les représailles des insurgés. Donc même si les GI’S s’efforce d’aider la population, elle se retrouve dans cette situation résumé par cette phrase ; « les Américains le jour, les Viets ou les Talibans la nuit », ce qui provoque donc la méfiance parmi la population, car elle est pris de façon croissante dans l’étau des deux forces en présence. Quant aux unités de l’armée nationale, elles sont faibles et corrompues, l’exemple parfait est celui du Vietnam, où des généraux sud vietnamiens recevaient de l’argent pour faire des soutiens aériens. Tout cela provoque un genre de dépression ou de désespérance chez les soldats américains, qui se réfugient dans les antidépresseurs, ou dans la drogue due à la proximité d’une région productrice de stupéfiants lors de ces deux guerres. Mais ce qui désespère, surtout, le soldat américain, c’est de se battre face à un ennemi invisible dans une guerre qu’il soutient de moins en moins. On peut observer aussi que ces ennemis invisibles se ressemblent dans ces deux conflits. Tout d’abord le Viêt-Cong et les Talibans utilisent la guérilla, ce sont des mouvements contre « l’impérialisme américain », ils sont tous deux guidés par des idéologies fondamentalement antagonistes aux Etats-Unis, le communisme pour l’un, et ce qui remplacera le communisme comme ennemi des Américains : l’islamisme fondamentaliste. Ces ennemis de l’U.S. Army sont aussi forts de l’expérience d’une guerre précédente sur leur territoire, où ils avaient battu une puissance du Nord, le Vietminh (ancien nom du Viêt-Cong), avait vaincu la France à la bataille de Dien Bien Phu et mit fin à la guerre d’Indochine. Les Talibans eux, avaient poussé l’URSS à se retirer de l’Afghanistan après un conflit de dix ans.
On peut voir aussi le rôle des Etats-Unis dans la création de leur propre ennemi, car les Américains ont créé le Viêt-Cong et les Talibans. Pour les premiers, Washington avait soutenu le Vietminh dans sa lutte contre l’occupation japonaise de l’Indochine, Ho Chi Minh avait été en lien avec les services secrets américains, et Roosevelt donna raison aux futurs Viêt-Cong avec sa politique anticolonialiste. Pour les seconds, les Etats-Unis ont aidé et donc armé les moudjahidine pour contrer les intérêts soviétiques en Afghanistan, ces moudjahidine deviendront après la guerre civile, les Talibans. Dans ces deux cas, les Américains ont fait naître les hommes, contre qui ils devraient se battre dans de longues et terribles guerres. Obama se trouve donc dans une guerre comparable à celle du Vietnam, il arrive alors dans cette situation qu’a connue Lyndon B. Johnson en 1968.
Mais détaillons plus cette situation, c’est le moment où la guérilla, censée être vaincue, revient en force par des actions médiatisées, pousse donc ces deux chefs d’Etat vers le dilemme décrit auparavant ; intensifier la guerre ou ne pas le faire. Nous allons par conséquent observer la décision de Johnson, pour nous donner une idée du futur d’Obama.
Au début de l’année 68 , Lyndon B. Johnson pense que la guerre du Vietnam est presque gagnée, le Viêt-Cong est, d’après les rapports, exsangue, et celui-ci n’a plus les moyens d’intervenir avec l’armée du Nord Vietnam dans le Vietnam du Sud. Mais le 30 janvier 1968, 80 000 communistes attaquent une centaine de villes, l’armée américaine est ainsi bousculée par une armée militairement inférieure, et arrive au bout de plusieurs semaines de combats à rétablir la situation, ce qui prouve que les déclarations américaines sur la situation optimiste au Vietnam étaient fausses. Malgré l’incontestable victoire militaire américaine, cet épisode de la guerre du Vietnam est une défaite politique pour les Etats-Unis. L’Offensive du Têt, étant très médiatisée, l’opinion américaine comprend bien que la guerre n’est pas terminée, ce qui va provoquer un changement radical sur les sentiments du peuple américain à propos de la question vietnamienne. Johnson et son administration comprennent bien qu’il faut réagir, la guerre est devenue impopulaire et ingagnable sur le terrain, de plus la voie démocratique au Vietnam a échoué. Alors Westmoreland, le général en chef des forces américaines au Vietnam demande des renforts, Johnson accepte mais en restant entre les deux rives du fleuve, il veut gagner cette guerre mais en même temps ne pas l’étendre, car il a toujours l’espoir de négocier avec le Nord Vietnam. Finalement, la situation va continuer d’empirer au Vietnam, les renforts ne donneront pas la victoire aux Etats-Unis, et la vue d’une impasse à la sortie de l’Offensive du Têt se confirme avec les semaines. Dégoûté et déprimé de la fin de son mandat Johnson décide de ne pas se représenter, la guerre du Vietnam est donc devenue le « cauchemar » de Johnson, elle l’a empêché d’établir son projet de la « Grande Société », même s’ il arrivait à mettre en place MEDICARE et MEDICAID, la guerre du Vietnam a pris malgré lui une part très importante de sa politique, et les envois de renforts successifs augmentant le contingent au Vietnam seront inutiles, provoquant la mort de plus en plus d’américains, au pays on se pose alors de plus en plus de question sur cette guerre. C’est donc la politique de Johnson au Vietnam qui l’a fait chuter, et il traînera cette guerre comme un boulet, alors que sa présidence était née sous de bons auspices en voulant garder en vie la politique de Kennedy.
En conclusion, nous pouvons utiliser l’histoire de Johnson pour nous donner une vision de ce que pourrait être la suite du mandat d’Obama. En choisissant la guerre en Afghanistan, le président américain a mis celle-ci à une place importante dans sa politique, cette guerre aura donc un poids important sur son bilan, même s’il y a aussi le retrait des troupes d’Irak, la sécurité sociale, la crise économique et le symbole de la fermeture de Guantanamo dans la balance. Mais cette guerre, si elle venait à empirer, pourrait mettre à mal la confiance que les américains portent en lui, épuiser ses forces et son budget (terriblement déficitaire), de la même manière que le Vietnam l’a été pour Johnson. Cela mettant les Etats-Unis d’Obama dans une position de faiblesse face à la Chine. Au final les Etats-Unis devront surement négocier avec les Talibans, comme ils ont fait avec le Nord Vietnam. Mais là ils devraient approcher les plus modérés des insurgés, ou ceux qui ne suivent pas la ligne officielle de ces islamistes, pour les diviser et mieux régner sur cette zone stratégique. Il serait donc bon, quand Obama suivra sa ligne de conduite en Afghanistan, qu’il ait une pensée pour LBJ et son « cauchemar »
Paul Gory, 18 ans, étudiant en histoire à Bordeaux 3, le 20/11/2009.
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