Obamarketing
Financement 2.0, militantisme open source, chaos publicitaire contrôlé... La campagne électorale de Barack Obama a révolutionné marketing politique et cybermarketing.
Black cash
Le succès politique de Barack Obama est d’abord et surtout celui de l’argent et de la technologie. À l’hiver 2008, c’est-à-dire au plus fort de la concurrence intra-démocrate l’opposant à Hilary Clinton, le sénateur de l’Illinois était déjà fort d’une cassette électorale de 100 millions de dollars... Au point de rembourser une grosse partie des dettes de campagne de sa rivale qui devint comme par magie sa plus fervente alliée de poids. Money, don’t get away ! Comment en est-il arrivé là ?
L’obamachine a remarquablement su profiter de trois facteurs majeurs :
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des lois de financement des campagnes électorales élargissant le nombre et la variété des donateurs ;
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l’émergence de la Californie technologique comme l’une des sources majeures de financement, de surcroît peu sujette au verrouillage relationnel du camp Clinton ;
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l’intérêt croissant des capital-risqueurs techno pour ce candidat noir « sorti d’on ne sait trop d’où », incarnant un rêve américain transracial à l’image d’une Silicon Valley rayonnante et multiethnique, utilisant ardemment les technologies de l’information pour son usage personnel et professionnel et hautement capable de fournir ses lettres de noblesse à « la Matrice » dans un contexte électoral des plus intenses depuis l’ère Kennedy.
Lors des présidentielles 2004, les milieux techno commençaient à ressentir les premières vibrations du Web 2.0 faisant la part belle aux blogs, aux réseaux sociaux, aux wikis et aux médias citoyens. Parallèlement, le beau monde de la Silicon Valley éprouvait une féroce détestation de George Bush Jr et s’enticha plutôt pour John Kerry qui reçut plusieurs millions en chèques signés par des investisseurs, des dirigeants et des salariés de la vallée high-tech.
Capital-risqueurs de silicium traumatisés par la seconde victoire de « W », Nadine North et Mark Gorenberg s’attribuèrent une mission quasi-divine : contribuer cyber-activement à une reconquête démocrate de la Chambre des représentants. Dès lors, bénéficiant de l’appui de Nancy Pelosi qui flaira vite le bon plan, ils développèrent Win Back the House, plate-forme en ligne directement inspirée de Salesforces.com, leader de l’informatique-service et de la gestion de relation clientèle (Software-as-a-Service et Customer Relationship Management). Objectifs : 1/ interconnecter en permanence candidats à la Chambre, petits ou grands donateurs, militants patentés ou volontaires ; 2/ laisser rouler la pierre pro-démocrate dans le Web 2.0. En 2006, le parti de l’âne investira le Congrès haut la main.
À cette époque, Barack Obama n’est qu’un jeune et unique sénateur noir de l’Illinois, aussi inexpérimenté qu’inconnu du public et des réseaux financiers et de facto gravement sous-estimé par la puissante machine Clinton. Cependant, son programme prévoit de désigner un Chief Technology Officer fédéral et de rendre plus transparentes les données gouvernementales sur les individus. Pour de nombreux technoïdes, ce détail faussement infime est un énorme rayon de lumière a fortiori dans un Etat cyberprétorien forgé par l’administration Bush depuis le 11-Septembre.
Aux yeux de North et Gorenberg, Chicago dissimule une start-up vierge à l’immense potentiel. Investi au cœur de l’Obamachine, le duo cyber-activiste rencontrera un autre capital-risqueur californien nommé Steve Spinner, véritable rat de réseau social, en quête perpétuelle de donateurs et de « contribuzzeurs » (= contribution + buzz) sur Myspace, LinkedIn, Facebook, Twitter et MyYahoo. Les relations publiques, le Web 2.0, le cybermaketing viral et la levée de fonds ont-ils encore quelques secrets pour ce trio de capital-risqueurs ? Consécutivement, MyBarackObama.com – MyBo pour les intimes - devint un hub 2.0 dans toute sa splendeur : étape par étape, son interface épurée propose e-mailing list, SMS mailing list, dons en ligne, blogs, agrégateurs RSS, partage de photos/vidéos, réseaux sociaux.
Peu à peu, les interfaces Windows/Mac/Linux de l’Obamachine en coulisses furent constamment approvisionnées en versions bêta ou finales de logiciels, de services en ligne, de widgets et de mash-up dédiés au suivi des donateurs/contribuzzeurs, à la collecte de fonds, à la gestion de bases de données, etc. Elaborées par des entreprises commerciales ou proposées gratuitement par des geeks pro-démocrates, maintes applications sont accessibles par téléphone mobile, par PDA et par ordinateur.
Résultat intermédiaire : en février 2008, la machine Clinton pourtant savamment huilée - fut ruinée et ne put concourir les onze primaires suivantes toutes remportées par Obama qui réunissait déjà plus de 55 millions de dollars apportés par 1,2 million de donateurs. Résultat final à l’automne 2008 : 650 millions de dollars engrangés auprès de 63 millions de donateurs issus de toutes les couches sociales contre seulement 350 millions pour la machine McCain plutôt orientée vers les revenus aisés et les grandes richesses. Dans les deux cas, on est loin des 27 millions de dollars amassés par Howard Dean en 2004. Par ailleurs, 91 % des dons obtenus par l’obamachine s’élevaient à moins de 200 dollars.
Par bien des aspects, le duel Clinton-Obama fut nettement plus âpre que le duel McCain-Obama.
Databuzz physique
MyBarackObama.com est aussi un moteur de stratégie électorale open source fournissant aux militants patentés ou volontaires l’accès à des bases de données accumulées depuis plusieurs campagnes électorales démocrates, constamment réactualisées lors de chaque porte-à-porte ou coup de fil à un électeur potentiel ou indécis. Ce dernier obtenait par courrier/e-mail/MyBo des informations détaillées sur le programme de Barack Obama, une comparaison point par point avec celui de John McCain et la localisation des bureaux de vote les plus proches.
Afin d’atteindre jusqu’aux poches rurales les plus reculées d’Amérique, l’obamachine offrit d’excellents manuels de 40-80 pages – gratuitement téléchargeables au format PDF – du militant volontaire. Comment attribuer des rôles précis à ses proches (trésorier, gestionnaire de bases de données, postmaster, VRP, graphiste, pancartiste, colleur d’affiches, etc.) en fonction de leurs compétences ou aptitudes respectives ? Comment répondre clairement à diverses interrogations de l’électeur indécis : race, enjeux fiscaux, couverture médicale, récession économique, terrorisme, guerre en Irak/Afghanistan, libertés électroniques, etc. ? Comment transmettre le rêve américain « barackobamisé » sans pour autant être soi-même un orateur talentueux ? Comment contacter les militants pro-démocrates 2.0 des quartiers/districts voisins afin de former des groupes – de 40 à 300 – partageant les informations et les tâches, affinant leurs modes opératoires et même évitant le surmenage ?
Grâce à ce cybermarketing 2.0 centré électeur, les données – et les rumeurs négatives au sujet du candidat démocrate ! – obtenues sur le terrain par ces groupes de militants sont quotidiennement retournées à MyBo qui, consécutivement, adapte et raffine d’autant son mailing et ses tactiques de campagne selon chaque localité. Efficace. Équipements informatiques et télécoms, mobilier, locations-gérances immobilières, café, boissons, biscuits : les quartiers généraux et les offices de campagne de l’obamachine ont carrément bénéficié de massifs apports volontaires en biens et en industrie.
Voilà comment un média participatif ultime permit de recruter, de fédérer, de coordonner et d’appuyer plus de 3 millions de militants sur l’immense territoire américain... Et, last but not least, de générer cette fameuse Obamania qui eut un incroyable impact médiamétrique et buzzimétrique, tuant dans l’œuf toute McCainmania et étouffant rapidement la Palinmania.
L’appareil républicain ne cacha guère son admiration pour l’imparable organisation électorale de son adversaire, de loin plus percutante et plus régulière que les heures de publicité télévisée achetées par le Parti démocrate. En comparaison, les matraquants robocalls du Parti républicain firent effectivement pâle figure. Téléphoniquement matraqués, de nombreux électeurs indécis protestèrent auprès des offices ou des VRP républicains : « si vous m’appelez encore, je voterai démocrate ! »
Du marketing politique à la gouvernance réelle
La marche triomphante de Barack Obama vers la Maison-Blanche doit moins aux technologies intrinsèques qu’à la convergence de cybernautes, d’abord au sein de l’obamachine, avec une masse croissante d’homo digitalus ensuite. Tout porte à penser que the Black President usera massivement des médias 2.0 durant son mandat : bases de données googléennes et transparentes sur les dépenses fédérales, postage en ligne des projets de loi non urgents, blog et chat de la Maison-Blanche. Telles sont trois propositions qui séduisirent Silicon Valley et cybercitoyens.
D’ores et déjà, de nombreux députés démocrates recourent massivement aux e-mails et aux pétitions en ligne pour faire pression sur leurs colistiers et/ou sur leurs opposants républicains. Avec une obamachine prouvant amplement qu’une force politique peut surgir de la toile, assistera-t-on également au sacre de quelque cyberdémocratie participative ou d’une gouvernance en ligne ?
D’une certaine façon, le sénateur de l’Illinois est le vrai premier homme politique de la Matrice. En effet, il ne voulait pas simplement utiliser les technologies de l’information à l’image de Howard Dean auparavant, il tenait à exploiter pleinement leurs effets de levier à des fins pécuniaires et mercatiques... Et enfoncer Karl Rove dans les cordes. Terreur de l’appareil démocrate depuis la seconde élection de W, ce redoutable stratège de campagne du Parti républicain n’a cessé de paniquer à mesure que l’échéance fatidique du 4 novembre approchait.
Symptôme flagrant : le choix de Sarah Palin comme candidate à la vice-présidente afin de contrer l’incontournable Obamania. S’embourbant dans sa profonde inculture en politique étrangère et dans ses convictions ultra-conservatrices avant d’être décrédibilisée par la crise économique, la très convivale et ravissante gouverneure de l’Alaska épouvanta littéralement les électeurs républicains modérés et les conseillers d’un John McCain, plus centriste que son appareil politique porteur malgré les apparences. François Mitterrand avait affirmé : « une élection, c’est d’abord la rencontre d’un homme et de circonstances ».
Durant ces présidentielles américaines 2008, n’a-t-on pas eu affaire à deux candidats : l’un affrontant son rival, l’autre combattant l’Histoire ?
En savoir plus :
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Presse Meldungen : Internet Marketing - The Amazing Barack Obama
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Norman J. Ornstein, American Enterprise Institute : Obama’s Fundraising Success May Herald a Whole New Model
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Resource Nation : How Obama Raised 87 % of his Funds through Social Networking
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Wired : Obama, Propelled by the Net, Wins Democratic Nomination
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Wired : Obama’s Secret Weapons : Internet, Databases and Psychology
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Grokdotcom : Obama : The Online Persuasion Architect in Action
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Webprofits : 6 Lessons We Can Learn From Barack Obama’s Online Marketing Strategy
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Time : Obama’s Viral Marketing Campaign
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Xplane : How Obama Reinvented Campaign Finance (PDF)
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The Atlantic : The Amazing Money Machine
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