OTAN en emporte mon député
Il y a quelques semaines, je signais une pétition en ligne invitant la France à sortir de l'OTAN à la veille du sommet de l'Alliance qui s'est tenu à Varsovie les 8 & 9 juillet dernier. Je suis en effet très critique envers la ré-adhésion de notre pays à cette organisation en 2009, qui ne nous attirera (et nous attire déjà) que des problèmes. Quelques jours plus tard je recevais une réponse de mon député à laquelle la pétition avait été transmise en même temps que mes coordonnées. Le texte de sa réponse figure ici. Sur la forme, déjà, il faut savoir que la réponse est commune à plusieurs députés socialistes. Sur le fond, sans réelle surprise, les arguments avancés ne me convainquent pas, se contentant de reprendre la bonne vieille rhétorique manichéenne et belliciste qui nous est déjà servie ad nauseam. Alors je me suis dit que je devais répondre à mon tour à mon représentant...
Monsieur le Député
Je vous remercie tout d’abord d’avoir pris le temps de répondre à un courriel que vous avez reçu à la suite de la signature, de ma part, d’une pétition en ligne invitant la France à quitter l’OTAN (même si j’ai su depuis peu qu’il s’agissait d’une réponse standardisée d’un certain nombre d’élus socialistes, et je n’aurai donc pas le fond de votre pensée personnelle sur ce sujet). Vous m’avez à cet effet fait part d’un certain nombre d’arguments, qui sont les vôtres (ou ceux de votre groupe), mais que je ne peux partager pour les raisons que je vais exposer ci-dessous.
Un point de vue partiel… et partial
Pour justifier l’utilité d’adhérer à l’OTAN et sa politique de défense commune, vous évoquez d’abord dans votre réponse les risques nés du « chaos en Syrie, en Irak et en Libye ». Dois-je vous rappeler qui sont les initiateurs de ce chaos ? L’Irak, dès 2003, était occupé pour les raisons fallacieuses que l’on connaît par une coalition menée par les Etats-Unis, certes sous mandat onusien mais après avoir largement outrepassé celui-ci, commis les exactions que l’on sait, et exagéré la menace que représentait alors ce pays où l’on cherche encore les « armes de destructions massives » agitées par Colin Powell devant le Conseil de Sécurité de l’ONU.[1] La France, alors souveraine et indépendante, flairant la tromperie, avait courageusement refusé de se joindre à ce politicide qui a conduit, à terme, à l’émergence de l’État Islamique. « Joli coup » du chef de file de la Rose des Vents !
De nouveau intégrée à l’OTAN depuis 2009, l’Hexagone, cette fois-ci en tête de pont, ne loupera pas celui de la Libye, allant là aussi bien au-delà du mandat onusien. Nous y entendrons des « responsables » (mais le sont-ils vraiment ?), notamment politiques et de votre groupe, se féliciter d’une manière aussi choquante que décomplexée de l’application d’une « justice » pour le moins expéditive.[2] Avec là encore, maintenant, un pays livré effectivement à un chaos largement prévisible.
Seule la Syrie a su résister, pour l’heure, à une telle agression, alors même que notre Président admettait avoir armé – au mépris du droit international – ceux que l’on désigne maintenant comme une menace. Cruelle ironie que cette histoire de pompier pyromane, qui pourrait prêter à sourire si elle ne générait pas tant de souffrance, surtout dans les pays concernés cibles des « bombardements humanitaires » de l’OTAN.
Mais ces tragédies ne concernent pas seulement le « flanc Sud de l’Europe » comme vous le soulignez, mais aussi notre pays. Toutes ces conséquences que nous subissons aujourd’hui ont été générées par la politique étrangère catastrophique menée par la France depuis plus de cinq ans, bien loin du « message de paix » que vous évoquez. Le fait d’avoir de nouveau inféodé le pays à une organisation otanienne y est évidemment pour beaucoup. La « souveraineté » et « l’autonomie de nos décisions » sont sérieusement altérées depuis ce retour dans le bloc atlantiste. Le pauvre Général De Gaulle avait au moins compris, par sa courageuse décision de 1966, le danger d’abandonner sa souveraineté à une entité finalement davantage belliqueuse que garante de la sécurité internationale.
(Source Le Republicain Lorrain - 10 mars 1966)
OTAN : les Etats-Unis et… les autres
Ne nous voilons pas plus longtemps la face. Derrière l’OTAN se cachent évidemment les Etats-Unis, qui en dirigent l’Organisation depuis sa création. Comment appeler autrement une entité bicéphale déséquilibrée composée d’un commandant suprême des forces alliées en Europe systématiquement américain et d’un secrétaire général tournant entre les pays d’Europe ? Partant de là, ça ne serait pas très gênant si le pays de l’Oncle Sam était gouverné par des dirigeants vertueux, responsables, impliqués dans le respect du droit international, et respectueux de la souveraineté des autres états. Malheureusement, les dernières décennies, et spécialement le début du XXIème siècle, ont montré que ça n’était pas le cas. Au point que l’on peut légitimement considérer que ce pays constitue à lui seul l’une des plus grandes menaces pesant sur la paix mondiale compte tenu de la schizophrénie régulière et de plus en plus marquée de ses dirigeants.
Un sondage réalisé fin 2013 (Gallup) auprès de plus de 66 000 personnes dans 65 pays avait d’ailleurs révélé que 24 % des sondés, et le tiers des pays (y compris européens), considéraient les Etats-Unis comme « menaçant le plus la paix dans le monde », loin devant d’autres nations.[3]
Deux poids, deux mesures
J’en profite pour en venir au cas de la Russie, puisque vous évoquez également les « démonstrations de puissance » de ce pays, et « ce qui s’est passé en Crimée en mars 2014 ». Vous omettez là encore de préciser les événements qui se sont déroulés dans ce pays un mois plus tôt et que beaucoup d’avis éclairés qualifient – à juste titre - de coup d’état. Mais vous préférerez sans doute parler de « coup d’état démocratique », de « révolte pacifique et spontanée », de « révolution colorée » ou de « printemps » de rose, de jasmin ou autre douceur qui sonnent tellement mieux aux oreilles des opinions publiques qu’il convient de manipuler rassurer un peu. Les drapeaux agités sur la place Maïdan annonçaient pourtant la couleur que risquait de prendre le pays une fois émancipé par le « monde libre ». Quant-à la Crimée, certes le procédé Russe est cavalier, mais l’OTAN n’a rien à envier à l’Ours russe en la matière, plongeons-nous là encore dans l’Histoire. Et d’ailleurs l’Alliance peut-elle se vanter de « libérations » aussi peu meurtrières ?
Pour poursuivre sur ce sujet de la crainte des visées hégémoniques prêtées à la Russie, j’aimerais attirer votre attention sur le fait que les études sérieuses prêtent aux Etats-Unis l’occupation de près de 700 bases hors de leur territoire, sur au moins 63 pays, répartis sur tout le globe (chiffres de 2002 selon Hugh d’Andrade et Bob Wing « U.S. Military Troops and Bases around the World » and « The Costs of « Permanent War »). A cela nous pourrions d’ailleurs ajouter les bases de l’OTAN. Les estimations les plus alarmistes de nos jours doublent quasiment ces chiffres, mais tenons-nous en à ces éléments optimistes quelque peu datés.[4] En comparaison la Russie disposerait de bases dans moins de 15 pays étrangers, et encore s’agit-il majoritairement d’ex-pays de l’URSS.[5] En terme de dépenses militaires, entre ces deux puissances il n’y a pas photo non plus : en 2015, les Etats-Unis à eux-seuls dépensaient près de 10 fois plus que la Russie, avec près de 600 Mds de $.[6] Alors moi, je veux bien être naïf, et considérer que la Russie présente une « menace » que seul l’OTAN serait susceptible de juguler. Mais les faits montrent davantage le contraire. Et ils sont têtus.
Vous évoquez également des « déploiements notables de moyens » russes au large des « approches maritimes européennes », lors d’exercices ponctuels que l’Alliance pratique à plus grande échelle encore. Par contre comment ces mêmes Russes doivent-ils prendre l’implantation de bases permanentes et l’expansion de l’OTAN dans les ex-pays de l’URSS, à quelques centaines de kilomètres de la capitale du pays ? En faisant preuve d’un peu d’empathie, peut-on imaginer la réaction des dirigeants américains en cas d’implantation de bases russes au Mexique ou au Canada, au besoin après des « regime change » dont le bloc atlantiste s’est montré si friand ces dernières années ? C’est pourtant bien ce qu’il s’est produit depuis une vingtaine d’années autour du plus grand pays du globe.
(Source Les Crises)
Si on se souvient un peu de l’Histoire, on retiendra aussi de l’Alliance ses quelques « barbouzeries » au sein des réseaux de type Gladio, dans le but d’anticiper un déferlement soviétique (déjà !) en Europe de l’Ouest… qui ne viendra jamais. Cette schizophrénie otanienne valait sans doute bien quelques ingérences par ci et quelques attentats par là. Sitôt cet épisode dévoilé, l’empire soviétique s’effondrait. Et avec lui le Pacte de Varsovie signé en 1955 par la plupart des pays du bloc communiste, lequel avait vocation à contrer l’Alliance Atlantique, née 6 ans plus tôt. On devinait déjà bien, dans cette genèse, quel bloc répondait à quel bloc. La disparition du premier aurait dû entraîner assez logiquement la disparition du second. Las. Au mépris des engagements pris alors entre les parties[7], l’OTAN n’a cessé de se déployer dans les anciens pays de l’Est avec une attitude paranoïaque certaine, les Etats-Unis ayant visiblement du mal à se passer d’un « ennemi ».
Vous pourriez penser que je suis « pro-russe » ou « anti-américain », pour reprendre une terminologie médiatique emprunte d’un manichéisme quasi-religieux. Rassurez-vous, je suis bien plus nuancé et bien moins « croyant » que cela. Mais l’analyse objective des faits est malheureusement bien peu favorable à l’OTAN et à ses actions « pacificatrices » dans le Monde.
L’OTAN prise au piège du terrorisme
Sans trop forcer le trait, on peut légitimement dire que l’OTAN, ou certains de ses membres pris isolément, sont régulièrement impliqués dans l’ « utilisation ou la menace d'utilisation illégale de la force ou de la violence (...) contre des personnes ou des biens avec l'intention d'intimider ou de forcer des sociétés ou des gouvernements, souvent pour des raisons idéologiques ou politiques. » Les politicides de l’Irak et de la Libye (réussis), ainsi que celui de la Syrie (tenté) sont à cet effet flagrants.
Malheureusement la définition ci-dessus correspond à celle du terrorisme (selon l’American Heritage Dictionary). S’agissant de terrorisme étatique ou organisationnel, on pourrait d’ailleurs ajouter de nos jours des raisons économiques.
Il est patent que l’OTAN, et spécialement son chef de file que sont les Etats-Unis, s’est appuyée depuis plusieurs décennies sur des groupes radicaux, islamistes ou autres, pour parvenir à ses fins. De l’Afghanistan des années 1980 avec un certain Oussama Ben Laden considéré alors comme « le héros de l’Amérique »[8] (avant qu’on ne lui désigne le rôle de « grand méchant »), à la Syrie des années 2010 et sa rebellion-modérée-coupeuse-de-têtes qui fait du « bon boulot », les exemples ne manquent pas. Et vous invoquez maintenant la nécessité de combattre ceux-là même que nous avons armés et formés, nous ou nos « partenaires » ? Avez-vous perdu la tête (sans vilain jeu de mot) ou prenez-vous vraiment les « sans dent » pour des imbéciles ?
Le seul point où je vous rejoins finalement concerne votre dernier paragraphe : il vaut effectivement mieux siéger aux sommets que de pratiquer la politique de la chaise vide, pour essayer « d’exercer une influence favorable sur l’action de nos alliés. » Les inquiétudes suivantes me gagnent cependant : la France veut-elle vraiment, maintenant, exercer une « influence favorable » au sein de cette organisation ? Et d’ailleurs qu’entendez-vous par « influence favorable » ? Considérez-vous que la France a exercé une « influence favorable » en Libye et en Syrie, pour ne citer que ces deux pays ?
(Source Courrier International)
Pour toutes ces raisons, il me semble urgent que la France quitte définitivement l’OTAN, dont elle se trouve prise au piège. Cette organisation est de nos jours davantage une menace pour la paix que porteuse de cette valeur. Elle nous attire davantage de problèmes (terrorisme intra-national de grande ampleur) qu’elle ne nous en évite. Elle associe finalement assez logiquement notre pays à ses membres les moins vertueux et à l’impérialisme (n’ayons pas peur de la réalité) américain, avec les injustices que ces pays génèrent. On ne doit pas s’étonner, par la suite, d’être éclaboussés ça et là par quelques représailles qu’une certaine neutralité nous éviterait aisément. La chronologie des événements terroristes survenus en France, au développement rapide et à l’ampleur croissante, est d’ailleurs flagrante depuis le retour de la France dans l’Organisation de la Rose des Vents en 2009. Il est là l’avenir de la France dans l’OTAN, nous le découvrons mois après mois. Le bloc atlantiste est en définitive en mesure de nous défendre uniquement dans une relation de type mafieuse, où il (ou certains de ses membres et « alliés ») crée et entretient la menace contre laquelle il prétend d’un autre côté nous protéger.
Je vous prie de croire à votre tour, Monsieur le Député, en l’expression de mes sincères salutations.
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Notes :
[1] Discours daté du 05 février 2003 (voir résumé ICI). Colin Powell avouera par la suite avoir été à la fois poussé à agir dans la précipitation et trompé par les agences de renseignements, mais aussi par des membres éminents du gouvernement Bush Jr, dont Dick Cheney (voir ce lien).
[2] Voir un florilège de ces déclarations ICI (internationales) et LA (nationales).
[3] Voir à ce sujet le site qui expose la méthodologie, les questions posées et les résultats pays par pays. Voir également une représentation sur une carte mondiale du pays considéré par ses habitants sondés comme le plus menaçant pour la paix mondiale. Les Etats-Unis sont majoritairement cités, y compris par certains pays européens (notamment l'Espagne, l'Allemagne, la Suède). La France, alors en pleine hystérie "anti-bachar", était alors le seul pays (avec la Bulgarie) à citer la Syrie comme constituant cette plus grande menace.
[4] Voir ce lien évoquant notamment les estimations de Hugh d’Andrade et Bob Wing (2002) mais également l'évolution de la militarisation américaine dans les années qui ont suivi. Voir également cette interview de Julian Assange sur RT le 09/12/2015 où il évoque l'implantation de 1400 bases américaines dans 120 pays différents.
[6] Voir ce lien.
[7] Le site même de l'OTAN évoque cette "promesse non tenue", en la qualifiant de mythe. Sans nul doute, rien d'officiel n'a manifestement été ratifié entre les parties, mais suffisamment d'éléments et de témoignages font état du fait que James Baker, alors secrétaire d'Etat de Georges Bush (senior), avait promis à Mickaël Gorbatchev que l'OTAN ne s'étendrait pas après la chute de l'empire soviétique et la disparition du Pacte de Varsovie (voir notamment ce lien). George Kennan lui-même, pourtant considéré comme le père de la doctrine du containment de 1947, admettra à la fin des années 90 que cette extension est une erreur et ne fera au final qu'exacerber la Russie.
[8] Oussama Ben Laden sera à la tête des moudjahidines en Afghanistan durant les années 80 pour lutter contre l'occupation soviétique. Il sera en cela naturellement bien soutenu outre-Atlantique. Al-Qaïda sera le prolongement de ce mouvement, au point que beaucoup, comme Hillary Clinton l'a déclaré en 2009, considèrent aujourd'hui que l'organisation de Ben Laden a plus ou moins été créée par les Etats-Unis. Aujourd'hui nous avons l'Etat Islamique né des errements américains mais cette fois-ci en Irak. Comme le suggérait si bien Albert Einstein, « la folie c’est de répéter les mêmes erreurs et espérer des résultats différents. »
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