Pacte des migrations et Aquarius : les routes du sud
L’intention des rédacteurs du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières est certainement bienveillante. On pourrait le résumer ainsi : sécurité pour les émigrants, liberté pour les accueillants. Alors pourquoi tant de résistances ?
Avantages
Le pacte dit de Marrakech, non contraignant juridiquement, reconnaît la souveraineté des États. Certes l’ONU ne peut pas faire autrement. Mais c’est ici posé comme une base de réflexion sur la question migratoire, sans que des anathèmes moraux ne viennent polluer le débat. Pour l’ONU la souveraineté n’est pas le Mal.
Il affirme par ailleurs ceci : « Les réfugiés et les migrants jouissent des mêmes libertés fondamentales et droits de l’homme universels, qui doivent être respectés, protégés et exercés en toutes circonstances. »
Il invite à poser un cadre pour traiter les mobilités non désirées, c’est-à-dire l’immigration illégale. Il recommande d’en faire davantage pour atténuer les défauts structurels qui poussent les émigrants au départ, et pour améliorer leur retour au pays d’origine.
Ce Pacte des migrations use d’un langage surprenant pour un texte onusien. On peut lire par exemple :
« Nous nous engageons à donner aux migrants et aux diasporas les moyens de renforcer leur contribution au développement, ainsi qu’à tirer parti des avantages que présentent les migrations pour le développement durable, et réaffirmons que les migrations recouvrent des réalités multiples qui revêtent une grande importance pour le développement durable des pays d’origine, de transit et de destination. »
En quoi le départ de milliers de cerveaux et de bras est-il un avantage pour le pays d’origine ? Et pour les pays de transit ? Que vient faire le développement durable dans cette affaire, sinon introduire l’angoisse climatique dans cette problématique ?
Conditions favorables
L’ONU n’en dit rien mais insiste :
« Collecter, analyser et exploiter les données sur les effets des migrations et les avantages qu’elles présentent et sur les contributions des migrants et des diasporas au développement durable … »
L’agence insiste sur les avantages et veut « optimiser l’ensemble des avantages de la migration, tout en tenant compte des risques et des difficultés auxquels elle donne lieu pour les individus et les communautés des pays d’origine, de transit et de destination. »
On parle cependant peu des problèmes soulevés par le grand nombre de migrants et par la voie d’illégalité choisie et perpétuée. Certains y voient l’établissement d’une autoroute à l’immigration, comme le suggère par exemple le libellé de Wikipedia :
« Le texte indique qu’il faut « créer des conditions favorables qui permettent à tous les migrants d’enrichir nos sociétés grâce à leurs capacités humaines, économiques et sociales ». Il souligne le fait que les États doivent porter secours aux migrants empruntant des itinéraires dangereux. »
Parmi les conditions favorables le pacte propose d’organiser mieux les départs, de baliser les grandes routes des migrations, de faciliter le regroupement familial, de dispenser des aides diverses, entre autres. Les besoins sont énormes – infrastructures, formation, santé – qui conditionneront le développement de l’économie et donc de la véritable indépendance des nations africaines.
Harcèlement
Ce pacte est qualifié « d’immigrationniste » par les opposants, dont Marine Le Pen qui le qualifie d’ignominieux (décidément je déteste la rhétorique grailleuse et martyroïde de MLP). Il faciliterait trop les déplacements illégaux, la solution proposée paraissant être de légaliser l’illégalité, qui ainsi ne serait plus un problème.
L’ONU a tort de mentionner à plusieurs reprises les avantages de l’immigration. Elle n’a pas à en faire la promotion. Elle doit se contenter de proposer l’organisation des conditions matérielles des populations en mouvement, et de tenir compte des populations d’accueil. Cette promotion faite par l’ONU est un biais majeur du texte. Plus : une sorte de contrainte morale déguisée.
Pourtant la mobilité et les migrations ont toujours existé, par les échanges commerciaux entre autres. Il semble logique que les personnes disposent de la même liberté de mouvement que les biens.
Il faut cependant faire une distinction entre les départs choisis, même s’ils sont dûs à une mauvaise situation économique du pays, et les réfugiés qui quittent leur maison sous la menace des armes. Tendre la main à un réfugié d’un pays voisin, lui offrir l’hospitalité jusqu’à ce qui puisse retourner dans son homeland, c’est normal et c’est bien.
L’immigration économique n’entre pas dans ce cadre. Les migrations économiques doivent être traitée en amont, dans le pays de départ, par les ambassades des pays d’accueil. C’est une règle planétaire. Forcer la main, outrepasser ces règles, venir en masse aux frontières, c’est une forme de harcèlement. On ne respecte pas les décisions souveraines des européens.
Le grand troupeau
La régulation de l’immigration a pour objectifs de choisir les compétences et l’origine d’immigrants potentiels ainsi que d’assurer que l’on dispose des conditions et infrastructures nécessaires à leur bon accueil et intégration. Cela suppose d’en limiter le nombre. Il n’y a rien de mal à cela. Tous les pays font pareil. Le problème migratoire est avant tout un problème de nombre de personnes. Plus celui-ci est important plus le risque de communautarisation est grand. Or en invitant à protéger les routes migratoires le pacte onusien semble valider cette immigration illégale et veut la rendre légale.
Il manque un pan majeur et des moyens pour que le pacte soit autre chose que la chronique du grand troupeau ou l’aménagement des routes de l’exil. Je fais référence au titre d’un roman de Jean Giono. Ce roman parle de la guerre 1814-1918.
Selon Wikipedia :
« Le titre du roman joue sur la métaphore du bétail humain qu’est devenue la masse de soldats broyés dans la guerre et qui fonctionne en miroir avec l’immense troupeau de moutons qui dans les premières pages du roman descend à marche forcée de l’alpage car les bergers sont mobilisés pour aller à la guerre. (…) … un récit qui alterne les scènes au village où les femmes et les vieux assurent les travaux agricoles dans l’affrontement à la nature vivante et dans la frustration des désirs, et les scènes au front dans la violence des combats ponctués par les morts, les mutilations volontaires ou encore les désertions dans la recherche de la survie primitive. »
Age of Aquarius
En Afrique ou en Amérique du Sud les émigrants sont comme ce grand troupeau. Ils laissent les femmes et les vieux au village et partent sans savoir s’ils arriveront, comme à une loterie. Leurs routes sont creusées par cette étrange transhumance. Ils dépensent des milliers d’euros pour leur exil.
De l’argent qui va aux mafias et non au pays, des bras et des cerveaux qui partent en masse, la nouvelle traite négrière qui s’est développée en Libye, la noyade pour beaucoup d’entre eux, la zone pour ceux qui arrivent en Europe. Bref : les migrations illégales sont une plaie pour tous les acteurs.
L’Aquarius, le bateau de SOS Méditerranée et MSF a cessé ses activités faute de pavillon. Les déboires qu’il connaît servent encore à accuser les européens. Il faut être prudent avec ce jeu des accusations : elles ne font que durcir les positions et préparer d’autres vagues de Gilets jaunes ou assimilés.
L’Aquarius a sauvé nombre de personnes migrantes de la noyade (30’000 selon les estimations). Mais combien de morts a-t-il provoquées par appel d’air, en incitant implicitement les candidats à la traversée ? On l’ignore.
Que l’on me comprenne bien. À la place des responsables de l’Aquarius il me serait insupportable de voir des gens jetés à la mer et se noyer dans l’inaction générale. Mais en conduisant les rescapés vers des ports européens on a laissé ouverte la route du supposé Eldorado. Pourquoi l’Europe ? On aurait pu conduire ces rescapés dans un port africain, en Égypte ou au Maroc, qui vient justement d’organiser la conférence de signature du Pacte des migrations.
Tutoyer les grands
Les amener en Europe est une manière de forcer la main au point où l’on se demande si l’association a un intérêt dissimulé à réaliser ses sauvetages. S’il n’y avait aucun bateau le flux cesserait probablement rapidement. Avec des morts, hélas oui, mais pas forcément plus que maintenant. Peut-être même moins. Nos indignations étant limitées dans le temps on s’accommoderait vite de ces derniers morts.
Si l’on ferme l’Europe le flux va probablement se tarir. Et fermer l’Europe n’est pas un mal si sa population se sent menacée. Ce n’est évidemment ni du racisme ni de la xénophobie. C’est la souveraineté, c’est du ressenti, c'est la liberté.
L’Europe donne 20 milliards d’euros par année aux pays africains au titre d’aides publiques au développement. Deux autres programmes totalisent plus de 3,5 milliards d’euros. Sans compter toutes les petites associations qui ont des circuits peu dispendieux – presque tout l’argent récolté auprès de proches va à destination – et des projets locaux traçables.
À cela s’ajoutent les revenus du sous-sol, les taxes carbones payées par les pays émetteurs, les locations de terres vivrières, etc. Pourtant le continent africain donne habituellement une image d’assisté, de dépendant, de non autonome. Où va l’argent ? Quelles sont les politiques de développement propre à chaque pays ? Questions presque sans réponse.
L’émigration depuis Afrique ou en Amérique du sud sont des mauvaises réponses au mal-développement local. L’accueil en masse en Europe est une forme d’égoïsme : on a besoin de bras pas chers pour le business tout en se donnant bonne conscience.
Avant de sécuriser et pérenniser les routes migratoires, et de légaliser l’illégalité, attendons de voir ce que l’ONU suggérera de concret pour encourager les populations autochtones à rester dans leur pays et s’y développer.
Et malgré ses faiblesses diverses, l’Afrique, pour parler d’elle, aura un jour les moyens de tutoyer les grands.
Enfin, peut-être, si tous n’en partent pas...
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