Pourquoi Vladimir Poutine aime-t-il Bachar El Assad ?
La Russie soutient encore le gouvernement syrien qui tire sur son opposition.
Quelles sont ses motivations ?
L'opposition existe dans la Russie de Vladimir Poutine. La société civile créée par la Pérestroïka de Mikhaïl Gorbatchev existe toujours, mais le pouvoir vertical initié par Poutine au début des années 2000 a réduit son espace de vie.
Les manifestations de l'hiver dernier n'ont pas abouti car elles ont été contrôlées et les mouvement de jeunes contestataire russes qui s'opposent dans la rue ne dérangent guère le régime.
Ce régime qui s'appuie sur des élections régulières, même si elles sont entachées de fraudes plus ou moins importantes.
Le débat politique peut être organisé sur internet, mais qui s'en soucie dans les hautes sphères du pouvoir ?
C'est dans ce contexte qu'il faut situer la position russe face au massacre généré par une véritable guerre civile dans la Syrie de Bachar El Assad.
Pourquoi l'Etat russe soutient-il ce régime en s'opposant à toute tentative de l'ONU (dont la dernière impulsée par Kofi Annan et la ligue arabe) d'intervenir pour protéger les syriens opposés à Bachar El Assad et éliminés physiquement à l'arme lourde ?
Pourquoi en la matière le conservatisme russe s'exprime-t-il ?
Un conflit dur qui dure
Cela fait 14 mois que la révolution syrienne est en marche, dans la foulée des autres révolutions arabes. "L'état de barbarie" (expression de Michel Seurat, l'otage exécuté au Liban en 1986), est en place. Des crimes de masse sont perpétrés. Et il n'y a pas que les massacres répétés de Homs.
Les législatives organisées début mai comme pare-feu ont été, pour l'opposition, une mascarade. Le conseil national syrien n'en a naturellement rien retiré. Au contraire. Les journalistes qui dénoncent les errements du régime paient de leur vie leur courage, comme ce jeune homme de 19 ans tué le 4 mai dernier. Plusieurs milliers de morts sont comptabilisés. Le 3 mai, des étudiants d'Alep sont littéralement exécutés.
Et la position ferme de la Russie dans son soutien au régime en place fait grandir l'hostilité envers ce pays dans la population syrienne, qui lors des manifestations de février de cette année s'est exprimée ("la Russie tue nos enfants"), en brûlant les drapeaux russes et en y mêlant les drapeaux iraniens. Les intellectuels syriens ne veulent même plus lire Tchekhov.
La Russie dans la continuation de l'URSS
La Russie se montre là comme la puissance qui a succédé à l'URSS totalitaire.
Depuis des années, les diplomates russes arabisants sont confinés dans l'ambassade de Damas et ses 15 étages pléthoriques. Ils soutiennent le baassisme, mélange de socialisme et de nationalisme arabes. L'administration russe se fait moquer par la population avec ses jeans mal coupés.
L'armée syrienne est formée dans les académies militaires russes. Les universités russes ont reçu des centaines d'étudiants syriens, dont l'oncle du dirigeant qui est ressorti du pays avec un doctorat sur ... la lutte des classes.
Evgueni Primakov, qui fut premier ministre, patron des renseignements extérieurs, a été correspondant de la Pravda à Damas et au Moyen Orient dans les années 60, 70.
Les russes ont depuis longtemps équipé la Syrie en armes lourdes, en pensant notamment à Tartus et son "ouverture sur les mers chaudes", pour les sous marins russes en eaux profondes.
Bachar El Assad a largement favorisé cette ingérence. Les contrats syro-russes s'élèvent à 4 milliards de dollars.
Poutine et les occidentaux
Pour le Président Poutine, tout doit être fait pour s'opposer le plus possible aux occidentaux et à leurs alliés les pays du golfe. Après le déclenchement de la guerre anglo-américaine en Irak, il faudra attendre février 2003 pour qu'il se rallie tardivement à la coalition. En Libye, l'intervention franco-anglaise est jugée comme une ingérence intolérable malgré les feux verts internationaux.
Les vetos d'octobre 2011 et de février 2012 à l'ONU sont donc avant tout une manière de mettre des bâtons dans les roues de l'Occident alors que la Syrie est une alliée de longue date de la Russie.
Cette politique permet également de positionner clairement la Russie au sein des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et South Africa).
Il ne faut jamais oublier que le révolution orange dans l'Ukraine si proche a été vue comme l'œuvre des États Unis.
Pour le gouvernement russe, l'été 2012 est l'été de tous les périls au Moyen Orient et un scénario militaire est envisagé : en cas de bombardement des sites nucléaires iraniens, Bachar El Assad, allié de l'Iran, serait au coeur des représailles envers Israël, avec l'appui du Hezbollah libanais à la frontière nord d'Israël. Il faut que Bachar tienne.
La faiblesse d'Obama (en campagne pour sa réélection et ne voulant pas intervenir partout où il y a problème) fait des russes, sur la question iranienne, des acteurs majeurs, avec leur volonté de voir l'Iran suspendre l'enrichissement nucléaire.
On comprend mieux pourquoi l'ex Président Sarkozy avait annoncé, en cas de réélection, une action diplomatique forte de la France pour la paix entre Israël et l'autorité palestinienne.
Les Russes veulent apparaître fiables auprès du Président Assad, alors que les américains ont abandonné le Président Moubarak en Égypte.
La Russie regarde d'un mauvais oeil l'Union européenne qui a établi un véritable embargo sur la Syrie.
La peur de "printemps" en Russie
Depuis le déclenchement des" printemps" au Maghreb et au Moyen Orient, le pouvoir russe est inquiet de possibles contestations à Moscou, contre un régime autoritaire. Vladimir Poutine est au pouvoir depuis 14 ans (avec un régime quasi-dynastique, Poutine Medvedev, Medvedev Poutine), réélu pour 6 ans depuis peu.
En août 1999, on se rappelle lorsqu'il était premier ministre, le bain de sang en Tchétchénie qui avait osé parler sécession, bain de sang dénoncé en France par André Glücksman.
Le ministre des affaires étrangères Lavrov fait un parallèle entre la Syrie et la Libye. Les pouvoirs forts tentant de se maintenir, toute ingérence est illégitime.
La Russie veut le statu quo et ne peut se payer le luxe, face à la montée des périls intérieurs, d'une déstabilisation extérieure.
L'alibi religieux ?
Le pouvoir russe a toujours considéré qu'il y avait danger sunnite dans les pays arabes et a toujours pris parti pour le chiisme.
En Libye comme en Syrie, la peur du fondamentalisme et du terrorisme impose que les pays restent stables.
L'allié religieux du pouvoir russe, le patriarche orthodoxe Cyrille, s'est rendu récemment à Damas.
Ainsi, les raisons du soutien des russes au gouvernement syrien sont multiples.
La puissante URSS avait fait un million de morts en Afghanistan. À l'éclatement de cette même URSS, l'affaiblissement international du pays fut total, mais la Russie n'a eu de cesse depuis de retrouver un rang sur la scène mondiale.
Cependant on ne doit pas oublier que la moitié du territoire syrien échappe actuellement à l'armée syrienne. Combien de temps la Russie pourra-t-elle tenir cette position ?
Pour l'opposition syrienne sous un feu nourri, il est dommage que pendant la campagne présidentielle française, la Syrie, comme la politique internationale, aient été absentes (le candidat Hollande ne se sentant pas prêt sur ces questions).
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