Qui est responsable du paludisme ?
1 à 3 millions de morts et 500 millions d’humains sont gravement touchés par le paludisme. Est-ce le fait d’un manque de médicaments, de conditions de vie misérables ou de l’injustice globale qui détruit tous les systèmes de santé publique ? Les ONG peuvent-elles intervenir efficacement à l’échelle planétaire dans un système économique qui, sous la bannière de la bonne gouvernance, privatise et transforme la santé et l’éducation en une marchandise comme une autre ?

Avec le réchauffement et la pauvreté grandissante des populations fragiles, le paludisme va-t-il faire sa réapparition au Nord ?
Paul Benkimoun écrit dans un article du Monde 2 (6 septembre 2008, Paludisme, le tueur de pauvres) : « Qui est responsable du paludisme ? … l’anophèle est le moustique dont la femelle transmet le plasmodium lorsqu’elle pique un humain ; la pauvreté qui fait le lit de la maladie en créant les conditions propices à la reproduction du parasite… » Une explication exacte qui oublie l’essentiel : la cause de la pauvreté.
Selon l’OMS « … 40 % de la population mondiale est touchée dans les pays les plus pauvres… chaque année 500 millions de personnes sont gravement atteintes… ». Entre 1 et 3 millions en meurent, plus particulièrement des enfants de moins de 5 ans et des femmes enceintes dans l’Afrique subsaharienne. Plus loin, on peut lire « … les pays à forte transmission perdent 1,3 % par an de croissance économique… cette perte accroît les difficultés de la population à accéder aux moyens de prévention et de traitement… »
Question. Sachant que la majorité des pays subsahariens remboursent une dette, le plus souvent illégitime voire odieuse en y consacrant, depuis vingt-cinq ans 30 à 40 % de leur budget, combien de points de croissance économique ont-ils perdu ? Combien de morts doit-on compter ? Faut-il rajouter les morts de faim et de maladies causés par la pauvreté et la malnutrition. La disparition d’une structure sanitaire gouvernementale efficace, imposée par la BM et le FMI au nom de la bonne gouvernance et du remboursement de la dette, ne doit-elle pas être mise au premier plan dans les dégâts causés par le paludisme ?
L’application stricte des lois du marché et du libéralisme le plus faussé (dumping et subventions au Nord, ouverture des frontières au Sud) est ainsi imposée aux pays en développement. Les conditionnalités pour recevoir de nouveaux prêts sont de véritables chantages au libéralisme. Ces pays ont été mis sciemment en faillite par le jeu de la finance internationale - crise de la dette des années 80 - et de la corruption des décideurs africains. C’est la continuité de la colonisation par les puissances industrielles. Comment ne pas voir le cynisme de l’obligation, faite, par la même BM, aux populations les plus pauvres, de payer soins et médicaments au nom de la vérité des prix.
Les contrats léonins permettent aux transnationales du nord, et maintenant à celles du sud, d’exploiter les immenses richesses fossiles, sylvicoles et agricoles de ces pays en partageant le gâteau exclusivement avec les bourgeoisies au pouvoir. Dans certains énormes contrats miniers signés dernièrement en RDC (Congo Kinshasa) avec les Chinois, il n’y a pas le moindre dollar qui ira aux populations les plus pauvres. Cette terrible réalité est l’aboutissement de la mise sous tutelle par l’économie capitaliste des populations des pays en développement.
« Heureusement, une solution thérapeutique au paludisme est apparue (ACT)… à base d’artémisine… La fondation Drugs for Neglected Diseases, créée par Médecin sans frontières et l’Institut Pasteur… » avec l’aide de Sanofi–Aventis distribue ce médicament sans brevet et à prix coûtant. Par ailleurs, le Fonds mondial Europe a contribué à financer 109 millions de moustiquaires, devenant « le principal financier de moustiquaires imprégnées au monde », dixit Michèle Barzach, sa présidente.
Il est intéressant de mettre ces propos en miroir dans un article du Monde 2, les idées défendues par Bernard Hours : « Derrière les évidences humanitaires » (Le Monde diplomatique, septembre 2008).
« L’humanitaire est un élément central de la globalisation morale en cours. L’économie de marché, le capitalisme doivent impérativement blanchir les profits nés de leur exploitation mondialisée. Le travail des enfants, les cadences productives, les heures supplémentaires non payées, toutes les exactions, dans un univers de dérégulation multiple, doivent être maquillées. » Plus loin, « L’univers de l’action humanitaire est postpolitique. C’est celui des gadgets de la bonne conscience lancée par les ONG, entreprises de moralité aujourd’hui dépassées par leurs créatures. » Plus loin encore, « … les vaincus se révoltent, mais les victimes font beaucoup pleurer… L’émotion humanitaire produit au mieux de l’indignation. Elle empêche la rébellion. »
De nombreuses analyses très brillantes sur les causes des révoltes de la faim, de la malnutrition, des maladies qui affectent les pays pauvres sont lisibles ou visibles dans de nombreux médias. La Banque mondiale nous fait croire que les causes de la faim sont dues à un manque d’engrais, de pesticides et d’OGM même si elle reconnaît enfin l’impact négatif des agrocarburants. Mais elle oublie qu’elle a poussé tous ces pays à faire des cultures d’exportation au détriment de la souveraineté alimentaire. Le remboursement de la dette a fortement contribué à la faim et à la pauvreté dans les campagnes. Les thèses de Stephen Smith mettent la responsabilité de la pauvreté en Afrique sur les Africains eux-mêmes et oublient les raisons politiques qui ont abouti à l’esclavage économique de la moitié des habitants de la terre. Les ONG font appel à notre esprit de solidarité pour une tentative impossible de régler des problèmes dont les véritables causes sont en dehors de leurs préoccupations.
Le système capitaliste libéral qui permet l’enrichissement d’une minorité doit produire toujours plus d’analyses économiques, en réalité idéologiques, pour détourner l’attention. Les fondations type Bill Gates, Unitaid : la taxe Chirac sur les billets d’avion, et les autres grandes ONG sont excellentes pour communiquer sur leurs succès. Les mini victoires sur la pauvreté et la maladie des plus pauvres associées à de gros mensonges sur l’état réel du monde sont des tentatives de désinformation plutôt réussies. Elles maintiennent les populations des pays riches dans une ignorance nécessaire au succès de l’entreprise consumériste globale et font rêver tous ceux qui, dans d’autres pays, pensent qu’un jour prochain, ils y accéderont.
Grâce à l’« effet de ruissellement », il est dit que les pauvres réussiront à s’enrichir quand les riches auront acquis les moyens suffisant pour faire des investissements productifs. Une théorie économique tellement libérale que, au fil des années et de la fragilisation d’une part croissante des populations de la planète, elle découvre son visage idéologique et mensonger. Oui, le paludisme, le sida, les diarrhées causées par l’eau non potable et la faim sont des maladies de pauvres. Il n’y a là aucune fatalité, seulement une immense injustice sociale résultant d’un capitalisme globalisé super prédateur. Elle est aujourd’hui accentuée par la financiarisation et la privatisation de tous les services et les biens publics dont l’endettement est le vecteur principal.
Le paludisme est un problème politique avant d’être une question humanitaire. Il ne sera vaincu par les ONG étrangères que si elles prennent clairement position contre l’économie de pillage des transnationales et de leurs gouvernements qui les assistent. Il ne sera vaincu que si elles soutiennent les mouvements des sociétés civiles du Sud qui se battent démocratiquement pour obtenir une véritable répartition des richesses de leur pays entre tous les habitants.
Nicolas Sersiron
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