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Regards sur l’Amazonie : Dossier Acre

« Ceux qui vendent du soleil à tempérament, les cocotiers, les palaces, le sable blanc, ne viendront jamais par ici [...]. Ici, il n’y a rien ! »

Quand Bernard Lavilliers parlait ainsi du Brésil, il y a plus de 30 ans, il nous parlait de la région centrale du Nordeste appelée le Sertão. Mais le regard sur l’Amazonie que je vous propose ici, n’est pas non plus en vente chez les marchands de soleil...

Mais d’abord, qu’est-ce que le Sertão a à voir avec l’Amazonie ?

Et bien c’est de cette région semi-aride perpétuellement affligée de longues périodes de sécheresse – mal auquel les politiciens n’ont jamais trouvé moyen d’apporter de solution durable – que l’on recrute généralement la maind’œuvre à bon marché pour les plus diverses finalités. Les grandes constructions des cinquante dernières années à Rio, Iguaçu, São Paulo ou Brasília ont, notamment, déplacé des milliers de Nordestins, mais ce creuset de main d’œuvre a été utilisé au XIXe siècle pour le développement de la production de latex et c’est par milliers que ces travailleurs ont été envoyés coloniser l’Amazonie, tel un eldorado pour ces gens, chez eux démunis de tout.

Rien moins que 400 000 âmes ont ainsi migré vers cette région au cours dudit cycle du caoutchouc. Dans la région du fleuve Juruá, à l’extrême-ouest du pays, à la frontière du Pérou et des États du Acre et d’Amazonie, au Brésil, les travailleurs nordestins se sont retrouvés face aux tribus amérindiennes, habitants naturels de ces régions et le résultat a été des combats violents pour s’octroyer la possession de ces terres où l’hévéa est spontané.

Ce détour historique nous amène à la source du conflit actuel dont les racines remontent donc au XIXe siècle. Et c’est dans cette région d’Amazonie Ocidentale que nous retrouvons aujourd’hui Lindomar Padilha, coordinateur du Conseil Indigéniste Missionnaire, le CIMI, que j’ai présenté dans mon précédent article [1] alors que son bureau avait été l’objet d’un saccage.

Dans une interview de Radio Mundo Real – RMR [2], du réseau international des Amis de la Terre, Lindomar expose quelques conflits existant dans la région dont il s’occupe et auquels il prend part pour appuyer les communautés indiennes. Il dénonce notamment que ce lundi 13 octobre un groupe de « pistoleiros » (miliciens à la solde de fazendeiros) sont allés intimider les indiens d’une tribu Jaminawa en entrant dans leur village et tirant des coups de feu en l’air, tribu qui est en conflit pour la démarcation de ses terres sur lesquelles 7 grands propriétaires, (fazendeiros) sommés par la Justice de se retirer, refusent de partir. Dans la même région du haut-Juruá, un autre groupe indigène Jaminawa, du sous-groupe Kayapuca, est en conflit avec des exploitants forestiers qui retirent des arbres illégalement de la réserve et les emmènent par le fleuve vers des lieux où ils ont les autorisations. Sur un autre lieu, des groupes de non-indiens ont envahis des portions de terres de la réserve et refusent de se retirer. On constate également des coupes illégales de bois qui vont vers le Pérou voisin, ainsi que de la chasse illégale. Dans une autre région, un autre groupe d’indiens, jusqu’alors isolés, a fait récemment un contact avec les blancs pour tenter d’échapper à la pression des exploitants forestiers et des narco-traficants.

Bref, nombreux sont les conflits existants et, pour autant, les origines possibles des menaces et des agressions subies par le CIMI Amazonie Occidentale, agression relatée dans mon article précédent et qui s’est reproduite dans la nuit de ce dimanche 12 octobre, soit trois semaines après la précédente avec, cette fois beaucoup plus de dégats, dont des documents brûlés et du matériel sérieusement endommagé. Lindomar souligne dans cet entretien qu’il a déjà été victime de menaces de mort par téléphone, tout comme la coordinatrice de la Comission Pastorale de la Terre (CPT), autre organisation liée à la CNBB [3], plus spécifiquement tournée vers les communautés paysannes.

Cela devient plus grave encore dans ces contrées où la « loi » est souvent aux mains des puissants qui intimident et musèlent même les médias locaux, comme le dénonce encore récemment ce journal régional en ligne (Folha do Juruá) [4] dont je vous livre quelques extraits : « Mais cela [la liberté de la presse] n’est pas vu par les dictateurs du Acre. Leandro Altheman [journaliste mis à pied pour avoir critiqué le budget de rénovation d’une place de la ville] n’est pas le premier à passer par ce genre d’arrogance de la part des puissants de la politique et de la communication du Acre. [...] les gestionnaires n’acceptent pas que les professionnels disent la vérité. »

Comme le souligne également Lindomar, qui a visité le village Jaminawa fin septembre [5] et rapporte les faits, « Les autorités possèdent les noms et adresses des principaux fazendeiros responsables de l’engagement de pistoleiros [...] La région de Sena Madureira, État du Acre, ne peut pas s’affirmer comme une terre sans loi. »

Voilà pourquoi, entre autres et dans la mesure du possible, nous relayons ces informations dans les réseaux nationaux et internationaux .

Le 17 octobre, une manifestation de solidarité est prévue dans la capitale de l’État, Rio Branco, à l’appel de plusieurs organisations locales, dont l’Université Fédérale du Acre, aussi bien par ses étudiants que ses enseignants, le CIMI et la CPT, dans le but de demander une action énergique des autorités pour préserver l’intégrité physique et matérielle de ceux qui travaillent auprès des plus défavorisés, souvent pour combler le vide laissé par les pouvoirs publics, et pour ces communautés elle-mêmes. Cette manifestation sera couverte par la radio du MEC (Ministère de l’Éducation et de la Culture) de Rio de Janeiro, avec une interview spéciale de Lindomar Padilha au programme « Planeta Lilás » [6].

Cela peut sembler dérisoire, au vu des conflits armés qui sourdent un peu partout sur la planète, mais là aussi des femmes et des hommes sont menacés, agressés ou tués [7] et il est temps, je crois, de dépasser la médiatisation de la guerre et essayer de favoriser, tout simplement, le bien-être de l’homme, à l’échelle monde. Mis à part les potins, la grande presse est absente. Aussi, il est de notre devoir de citoyens, nationaux ou planétaires, de nous lever contre l’arbitraire, où qu’il soit et quelle que soit la manière dont il s’exprime.

[1] http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/attaque-contre-le-cimi-amazonie-157349

[2] http://www.radiomundoreal.fm/pt

[3] Conférence Nationale des Évêques du Brésil. La CPT travaille auprès des communautés paysannes, notamment « les femmes et les hommes qui luttent pour leur liberté et leur dignité sur une terre libre de la domination de la propriété capitaliste » comme le signale son site Internet [http://www.cptnacional.org.br/index.php/quem-somos/-historico]

[4] http://www.folhadojurua.com.br/2014/10/radio-e-tv-jurua-jornalista-e-obrigado-a-tirar-ferias-forcadas-por-fazer-comentarios-de-uma-praca-em-cruzeiro-do-sul/

[5] http://lindomarpadilha.blogspot.com.br/2014/09/jaminawa-da-aldeia-sao-paolino-voltam.html

[6]Le programme quotidien (du lundi au vendredi) « Planeta Lilás » est un espace de débats sur les questions de genre et de développement durable qui a vu le jour lors d'une réunion de femmes de plusieurs réseaux ayant participé du Sommet des Peuples lors de la Conférence de Rio+20 en 2012 à Rio de Janeiro. [http://radios.ebc.com.br/planeta-lilas]

[7] http://lindomarpadilha.blogspot.com.br/2012/04/indigena-jaminawa-e-ameacado-de-morte.html


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3 réactions à cet article    


  • howahkan Hotah 17 octobre 2014 08:44

    Encore un des effets dramatiques des mythes du meilleur et de la compétition, en fait ce sont des faux semblants qui cachent ceux qui dirigent cette planète,qui sont bien humains, les plus salopards d’entre nous que nous laissons faire par crainte d’être debout ne pas vivre avec la mort implique de ne pas vivre du tout et de toujours fuir mentalement comme physiquement..

    alors le bandit, le voleur dirige par la violence, la soumission ils sont peut être 10% de bien barjots....
    oui mais voila les 90% sont tous en conflit les uns contre les autres...

    je suis interloqué ,atterré par cette phrase

    Et bien c’est de cette région semi-aride perpétuellement affligée de longues périodes de sécheresse – mal auquel les politiciens n’ont jamais trouvé moyen d’apporter de solution durable – que l’on recrute généralement la main d’œuvre à bon marché pour les plus diverses finalités.

    mais je n’expliquerais pas pourquoi .

    salutations..


    • Lucas Matheron Lucas Matheron 18 octobre 2014 00:11

      En effet, 10% de malfaisants semble une proportion raisonnable ; et encore ! Mais vous le remarquez très justement, les autres 90% « laissent faire », sans doute par peur de la mort, en tous cas, d’éventuelles représailles. On m’a déjà conseillé de ne pas « me mettre dans ces histoires », que c’était risqué... et je suis pourtant loin de la « zone de combats »... Mais cette culture de la rétorsion est si présente dans la société brésilienne que la peur est latente. Et ça se comprend (un peu) dans un pays où dans l’actualité la police elle-même est l’objet de représailles de la part de bandits (trafiquants).

      D’ailleurs, c’est peut-être, par intuition, ce qui vous choque dans la phrase que vous citez : le Nordeste est aussi le lieu privilégié de recrutement de tueurs à gages... En fait, je crois que la vie y est si difficile qu’elle a perdu toute notion de valeur.

    • Lucas Matheron Lucas Matheron 18 octobre 2014 20:21

      En effet ! smiley

      La question que me propose ce conte c’est pourquoi ces gens de Stanford (ou de l’ENA) ne se font pas tout simplement pêcheurs. Ça nous éviterait tellement de désagréments...

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