Saddam Hussein, plaidoirie posthume
Samedi 30 décembre 2006, à six heures du matin, un homme a été pendu. Allah ait son âme, si toutefois Il est aussi clément qu’on le dit !
Cet homme était incontestablement un grand criminel et méritait mille fois sa condamnation, voire beaucoup plus au prorata du nombre de ses victimes, si on compte les Kurdes gazés sur son ordre et les innombrables chiites victimes d’une impitoyable répression dans le Sud du pays après la première Guerre du Golfe.
Même si, comme moi, on est contre la peine de mort en règle générale, il est des exceptions qui s’imposent d’elles-mêmes.
Justice est faite. Un salaud de moins. Fin du chapitre !
Pourtant les choses ne sont pas si simples. Je note avec un certain étonnement que l’exécution a été vraiment rapide. Très, voire trop rapide, même. Comme si on avait voulu se débarrasser en urgence d’un clou sous la ranger des GI. On a choisi la pire des dates pour ce faire, le jour de l’Aïd, la « fête du Sacrifice » célébrée par tous les musulmans du monde en mémoire du sacrifice d’Abraham (sacrifice de son fils Isaac à la demande de Dieu et substitution au dernier moment d’un mouton). C’est par excellence le symbole qu’il fallait éviter !
Abdel-Barri Atwan, du quotidien Al Quds al Arabi, publié à Londres, n’hésite pas à écrire : L’opinion publique arabe se demande qui méritait d’être jugé et exécuté ? Saddam Hussein qui a préservé l’unité de l’Irak, son identité arabe et musulmane et la coexistence de ses différentes communautés (...), ou ceux qui ont plongé ce pays dans cette guerre civile sanglante ?
Certains médias français, dans la même veine que le journal londonien, annoncent la chose avec un titre équivoque : Sacrifié le jour du Sacrifice... Comme si l’exécution d’une sentence était un sacrifice ! Et dans ce cas, un sacrifice à qui, et pour qui ? Car un sacrifice comporte toujours un destinataire et une attente en retour. Qui veut faire de Saddam un martyr ?
Avoir choisi cette date n’est ni anodin, ni innocent. Il s’agit soit d’une incroyable maladresse, soit d’une provocation délibérée. On n’ose croire ni à l’une, ni à l’autre... Mais qui pouvait donc être pressé au point de se débarrasser ainsi d’un prisonnier si encombrant, ou d’utiliser cet événement sur un plan politico-religieux ? Déjà la Lybie a décrété trois jours de deuil national. Les Palestiniens, qui ont longtemps été soutenus financièrement par Saddam, manifestent leur hostilité. Même en Orient, les musulmans ont ressenti comme une gifle le choix de ce jour pour l’exécution. Souhaite-t-on véritablement mettre le feu entre les civilisations ? Et dans quel but ?
Je rappelle que ce même Saddam était l’interlocuteur privilégié des occidentaux (Français compris) lorsqu’il s’agissait de lutter contre l’islamisme flamboyant de l’Ayatollah Khomeyni dans les années 1980. Chacun y allait alors de sa plus grande considération : tapis rouge pour Monsieur Hussein, héros fédérateur des Arabes non extrémistes dans une république irakienne qui méritait encore son nom. Une république qui a sacrifié - là, le mot est juste - des millions de ses enfants pour nous servir de pare-feu. Ses immenses ressources pétrolières étaient alors mises à contribution pour lui fournir les armes les plus modernes, y compris les armes chimiques testées ensuite sur les Kurdes... Personne n’a bougé, à ce moment-là ! Curieusement, c’est après avoir fait subir à ce peuple dix ans de privations par embargo sur les produits essentiels qu’on va prendre prétexte de complicité avec de prétendus terroristes et y rechercher des ADM (armes de destruction massive) qu’on sait inexistantes, pour envahir un pays qui n’en pouvait plus.
Je ne veux pas amoindrir la responsabilité de Saddam Hussein dans toutes ces affaires, mais on peut tout de même légitimement se poser des questions : qu’est-ce qui, aux yeux de l’Occident, a fait changer à ce point quinze et vingt-cinq ans plus tard « l’estime » portée au raïs de cette époque ? Sont-ce ses méthodes expéditives pour éliminer ses rivaux au sein du pouvoir ? Dans ce cas, il aurait fallu juger énormément d’autres dictateurs dans le monde, à commencer par feu Pinochet et quelques autres, mis en place par la CIA... Sont-ce ses appétits de récupération sur le Koweït ? Mais ça n’était rien moins que légitime : le Koweït est un Etat très récent, aux frontières artificiellement détermitées par l’industrie pétrolière anglo-américaine — voir : http://www.tlfq.ulaval.ca/AXL/asie/irak.htm—. Avant la Première Guerre mondiale, le Koweït était irakien, comme Israël était la Palestine. Sa récupération relevait du même nationalisme que celui de nos Poilus de 14/18 partant, en chantant et la fleur au fusil, récupérer l’Alsace et la Lorraine. Ni plus bête, ni plus méchant, bien que peut-être un brin malicieux envers les puissances occidentales.
Mais un Bush, déjà, (le père) a vu ses intérêts menacés par de pied-de-nez (et pas seulement des intérêts « occidentaux » mais bien les siens personnels !). Les pays occidentaux se sont laissé entraîner dans cette première Guerre du Golfe avec l’excuse de « libérer » un pays indépendant menacé par son trop puissant voisin. Ne parlait-on pas de l’Irak comme de la seconde puissance militaire au monde à l’époque ? On a vu ce qu’il en était.
On aurait pu, à l’époque, destituer ce dictateur en poursuivant jusqu’à Bagdad. On ne l’a pas fait, laissant le tyran opprimer son peuple (particulièrement Kurdes et chiites) pendant dix années de plus. Trouvait-on alors un intérêt à laisser pourrir la situation ? Pourquoi, quinze ans plus tard, alors que le pays est occupé par des armées étrangères (et ressenties comme telles) qui ne parviennent pas à imposer la paix entre factions, pourquoi faudrait-il se réjouir de la mort d’un homme, fût-il le plus grand des criminels, qui en avait réalisé l’union dans une république laïque en plein empire musulman ?
Une vie est une vie, un mort est un mort. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise mort. Et qui, de Saddam ou des deux vagues de « libérateurs », en a provoqué le plus ?
Demain, jugera-t-on les Bush et les Blair ? Evidemment non ! Dans ces conditions, comment éviter que Saddam ne devienne un martyr aux yeux de ses fidèles ?
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