Schindler 1944 : sortir du traumatisme et dépasser la spirale barbare
Je ne regarde pas beaucoup la télévision.
En plus les images pourtant filtrées de la guerre à Gaza et de la “pacification” sont particulièrement pénibles.
Cette semaine deux films importants passent sur France 2.
Dimanche “La liste de Schindler” de l’américain Steven Spielberg et mardi le film de l’israélien Amos Gitaï d’après la biographie “Plus tard tu comprendras” de Jérôme Clément.
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Ces deux films sont essentiels à la compréhension de l’histoire tragique du 20ème siècle.
Pour avoir visité récemment Cracovie et surtout Auschwitz, je mesure l’horreur, l’inhumanité qu’ont vécu des millions de femmes, d’enfants et d’hommes. Tout ceci a été infligé par un des pays les plus développés d’Europe à de populations bouc-émissaires, en particulier juives.
J’avais dans la tête au cours de cette visite glaciale la chanson que Jean Ferrat avait créée pour le film d’Alain Resnais “Nuit et Brouillard” et que j’ai depuis l’enfance dans la tête.
L’industriel allemand Oskar Schindler avait compris, en 1939, que l’occupation de la Pologne pouvait lui ouvrir la porte à de nouvelles richesses. Acoquiné aux militaires allemands et à proximité d’un camp de concentration, il assiste à la destruction du ghetto de Cracovie et à la mise en place de la “solution finale” dont le centre est à Auschwitz.
Ayant embauché, sur les conseils de son comptable, Itzhak Stern, des travailleurs juifs, il se trouve en contradiction d’intérêt avec cette machine d’extermination, il prend progressivement conscience de la barbarie du régime nazi.
Il transfère par la ruse 1100 ouvriers pour les amener dans une nouvelle usine en Tchécoslovaquie plus loin d’Auschwitz.
Ce film admirable si utile laisse sans voix. L’hommage rendu à la fin du film en 1993 par les acteurs du film et les Juifs de Schindler sur la tombe de l’ex-industriel nazi Schindler est magnifique. Elle montre combien chaque homme porte le meilleur et le pire.
Le témoignage de Jérôme Clément montre lui combien ces drames peuvent se vivre dans les familles mêmes et en France également.
Le livre puis le film documentaire raconte la recherche d’un homme sur le passé enfoui de sa famille maternelle juive russe, victime de la Shoah. Il montre la face intime de ce drame, pudeur, le non-dit, la douleur et combien les traumatismes ont été enfouis, refoulés, cachés.
La grande délicatesse, la grande sensibilité de Jérôme Clément directeur d’Arte et le grand talent d’Amos Gitaï, conscience lucide en Israël (Kadosh, Terre promise, Give peace a chance) construisent un grand film servi par une distribution de grande qualité (Jeanne Moreau, Emmanuelle Devos , …).
Ces deux films sont essentiels.
Je ne peux m’empêcher de penser à ce qui vient de se passer à Gaza ces trois semaines.
Ce n’est pas l’idée qu’un nouveau génocide est en route qui les relie, c’est la spirale de la violence comme mode de régulation.
Tuer des centaines ou des milliers de personnes ne doit pas être une activité banale qui se justifie au nom de la défense d’un état.
Au moyen-orient, que peut-on en retenir ?
C’est justement parce que la barbarie la plus achevée a été atteinte dans la Shoah, que l’écrasante invasion de Gaza par une armée hyper-sophistiquée dans un rapport de force si disproportionné ne se justifie pas. Schindler donne sa définition du pouvoir empruntée à un empereur romain à l’officier allemand. “C’est quand on a le pouvoir de tuer et qu’on ne tue pas”.
Il est explicable que la mémoire des horreurs nazies –qu’il faut entretenir- agisse pour tous mais d’abord certains juifs et certains israéliens comme un cauchemar et un traumatisme durables.
Mais l’agressivité verbale, des leaders du Hamas et même leurs roquettes lancées à nouveau depuis le 19 décembre ne sont pas des menaces militaires mettant en péril l’état d’Israël.
Elles sont inadmissibles comme les attentats suicides et constituent des crimes contre l’humanité, elles mettent en jeu le quotidien paisible des peuples minés par une occupation prolongée mais elles ne justifient pas des armées sur-informées et sur-équipées à faire même en dégâts collatéraux un nombre de victimes beaucoup plus élevé.
Contrairement à l’époque des nazis, il n’y a pas les bons et les méchants, même s’il y a des extrémistes des deux côtés, il y a concurrence de deux légitimités, de deux nationalismes et il n’y a pas d’autre choix que le compromis entre …. peuples en conflit.
Par contre il y a à certains moments des faibles (les juifs au lendemain de la guerre, les palestiniens depuis plusieurs décennies) qu’il faut protéger et des forts dont il faut tempérer la domination et l’irresponsabilité.
On peut déplorer certes que les palestiniens après tant d’années d’humiliation se laissent convaincre par le Hamas d’une ligne de désespoir : régression fondamentaliste, non-démocratie et archéo-fascisme. Mais cette émergence a été favorisée par l’abandon répété de la part de la communauté internationale et des calculs cyniques de gouvernements israéliens pour neutraliser le mouvement nationaliste, qui était alors celui qui était diabolisé. La diabolisation de l’adversaire, sa disqualification comme humain ou démocrate permet de verrouiller la situation indéfiniment
Le même argument était utilisé par les colonisateurs français, anglais ou espagnols contre les peuples qui ne voulaient pas être colonisés, puis par les américains contre les nationalistes vietnamiens qui …n’étaient en effet pas démocrates puisque communistes.
Schindler était finalement un juste. Qui sont les justes d’aujourd’hui ?
Pas les cadres du Hamas. Mais en Israël, on les trouvera plus certainement parmi ceux qui n’approuvent pas depuis tant d’années une politique unilatérale suicidaire. Cette habitante de Sderot qui s’exprime contre l’illusion d’une victoire militaire, qui décrit son quotidien, le marketing militaire de la guerre et les appels des gazaouites, elle qui porte tant d’humanité. Uri Uvnery avocat infatigable de la paix, David Grossman durement éprouvé par la perte de son fils lors de la désastreuse invasion du Liban. Eran Riklis par son film magnifique “Les citronniers”. Stéphane Hessel ami d’Israël et si capable de sévérité. Marek Halter qui parvient à parler avec un leader du Hamas qui lui dit que la paix se fera avec Israël dans ses frontières de 1967.
En Cisjordanie également des justes ne demandent qu’à exister, certains encore en prison. Il est à craindre que la politique d’étranglement, de dépossession de leurs terres et de leur impossibilité à circuler risque de leur enlever tout crédit dans leur recherche de coexistence pacifique entre deux états viables.
En Israël, en Palestine, ailleurs pour les soutenir, les justes de demain sont nombreux “Ils sont vingt et cent, ils sont des milliers”.
En cette semaine qui ouvre une nouvelle ère portée par de nouveaux responsables états-uniens, il est plus qu’urgent de rompre avec l’unilatéralisme, les guerres préventives, le règne du rapport de force et l’annihilation de l’adversaire. Il y a urgence à signer une paix courageuse.
"La peur des barbares est ce qui risque de nous rendre barbares.
Et le mal que nous ferons dépassera celui que nous redoutions au départ.
L’histoire nous l’enseigne : le remède peut être pire que le mal".
T. Todorov in "La peur des barbares".
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