Syrie, cette fois c’est la bonne ?
Après un premier appel à manifester resté lettre morte les 4 et 5 février, les Syriens sont sortis dans la rue, bravant l’état d’urgence vieux de près de 50 ans. Un nouvel appel lancé sur Facebook et les échos des violentes répressions en Lybie au Yémen et à Bahreïn ont attisé un mécontentement latent qui n’attendait que l’étincelle.

Une cinquantaine de personnes ont manifesté mardi 15 mars dans un souk de la vieille ville de Damas avant de se faire chasser par les marchands et des supporters du régime baassiste. Le lendemain se tenait un deuxième rassemblement de faible ampleur demandant la libération de prisonniers politiques à proximité du ministère de l’intérieur. Ces deux rassemblements, ponctués par de nombreuses arrestations, ont donné le ton et les Syriens se sont retrouvés en nombre vendredi vers 13h à la fin de la prière. A Damas, des opposants au régime s’étaient rassemblés au sein de la mosquée des Ommeyades mais les forces de police les ont rapidement dispersés. Si la capitale n’a pas été le théâtre de rassemblements de grande ampleur jusqu’à maintenant, la simple idée d’une manifestation est un événement.
C’est à 100 km au sud de Damas, à Daraa, que la plus violente manifestation a éclaté. Plusieurs voitures et des magasins ont été incendiés avant que les forces de sécurité n’interviennent, faisant 4 morts et des dizaines de blessés. Plusieurs vidéos montrent des hommes portant un corps ensanglanté. D’autres villes ont suivi le mouvement et les estimations, difficiles à confirmer, oscillent entre 1000 et 5000 manifestants pour les plus gros rassemblements, principalement à Ohms, Deir Ez Zour et Banias.
« Il ne se passera rien »
Il y a peu, des Syriens me disaient, « il ne se passera rien, les gens aiment Bashar et si ils ne l’aiment pas, ils ont peur ». Et c’est vrai, Bashar est partout, sur les pares-brises arrières des voitures, les immeubles, drapeaux et autres cendriers. Une majorité des Syriens que j’ai rencontré m’ont dépeint le Raïs non sans fierté ; homme éduqué, réformateur et surtout proche de la population. Cette popularité est savamment entretenue lors de sorties publiques comme celle du 15 février dernier, date anniversaire de la mort du prophète où l’on voit Bashar Al Assad serrer quelques mains au milieu de la foule à la sortie de la mosquée des Ommeyades dans la vieille ville de Damas. Si la mise en scène de la télévision d’état et les effets de caméra sont grossiers, les démonstrations de sympathie ne sont pas uniquement issues d’une manipulation étatique.
Si Bashar Al Assad jouit d’une image positive, ce n’est ni le cas de son gouvernement, ni celui d’hommes d’affaires liés à la famille Assad qui contrôlent bon nombre des grandes entreprises du pays comme Rami Makhlouf, cousin de Bashar Al Assad et président de la principale compagnie téléphonique du pays Syriatel.
Pour conserver cette image d’homme proche de son peuple et afin d’éviter que la Syrie ne suive l’exemple de la Tunisie et de l’Egypte, l’administration syrienne a lancé une offensive en matière de communication. Le 31 janvier, alors que Ben Ali vient de quitter le pouvoir en Tunisie, le président Syrien donne une longue interview au Wall Street Journal, il y parle des difficultés de mener à bien les réformes sociales, de la lenteur de ses dernières et de la confiance que son peuple lui voue. Le 17 février, le gouvernement annonce un fond d’aide au population les plus démunies de 250 millions de $ et des baisses conséquentes sur les prix de l’huile (-53%) ou encore du sucre (-25%).
Une manière de montrer à la société syrienne que son président est là, attentif, ou la preuve que malgré la tranquillité présentée face aux médias, les inquiétudes sont vives à Damas ?
La société syrienne en mutation
Depuis l’arrivée de Bashar Al Assad au pouvoir en 2000 la Syrie s’ouvre peu à peu l’occident. Les enseignes étrangères comme récemment Monoprix s’implantent, les banques disposent d’une plus grande marge de manœuvre. Les investisseurs étrangers sont désormais autorisés à disposer de plus de 60% d’un établissement et les particuliers étrangers sont également autorisés à acheter maisons et appartements de manière plus facile que par le passé.
Mais l’ouverture aux capitaux étrangers entraine aussi un fort nivellement des niveaux de vie. Le salaire minimum dans les secteurs public et privé est estimé à 5500SP (environ 90 euros), le salaire moyen entre 10 et 15000SP (250 euros) alors que depuis quelques années une petite part de la population commence à bénéficier de très hauts salaires. Cet écart est un facteur non négligeable du mécontentement populaire. A cela s’ajoute une inflation annuelle aux alentours de 7%, un taux de chômage estimé à 12% mais probablement bien plus élevé en particulier chez les moins de 30 ans, qui représentent la moitié de la population. Outre le chômage, ce sont les difficultés pour financer un mariage et acheter une maison qui suscite de nombreuses inquiétudes chez les jeunes. Au delà des questions sociales, les composantes ethniques de la société syrienne pourraient avoir un fort rôle à jouer dans les jours et les semaines qui viennent.
Une minorité au pouvoir
La population syrienne est à 90% arabe, les 10% restant principalement kurdes. Il y a quelques semaines, l’armée a renforcé sa présence autour de plusieurs villes, principalement dans le nord (Alep, Qamishli), où la population kurde, profondément dénigrée par le régime baassiste pourrait être tentée de prendre part à la contestation. C’est dans ce contexte que se tiendra lundi le nouvel an kurde (Nowruz) qui rassemble chaque année des milliers de personnes et donne souvent lieu à des tensions avec la police. En 2010, la police était intervenue durant les festivités dans les alentours de Damas, stoppant notamment un concert. Un ami kurde m’avait alors confié, « ces brimades sont quotidiennes, les Syriens n’aiment pas les Kurdes ».
Quant à l’aspect religieux, il est difficile de savoir quel poids il peut avoir dans la contestation. Si la grande majorité de la population est sunnite (74%), le pouvoir est dans les mains de la minorité alaouite. Cette dernière a su s’entourer de personnalités de différentes confessions afin de satisfaire la population, comme le sunnite Mustafa Tlas. Déjà ministre de la défense lorsqu’Hafez Al Assad était au pouvoir, il occupa ce poste jusqu’en 2004. La minorité chrétienne (10%) ainsi que les autres minorités musulmanes n’ont a priori pas de raisons particulières d’en vouloir à la gourvernance. Si les rassemblements venaient à prendre de l’ampleur sur un plan religieux seuls les sunnites semblent en mesure de peser sur l’état. Cependant, malgré leur majorité au sein du pays, ils ne disposent pas d’un leader dont le charisme pourrait nuire à Bashar Al Assad.
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