Tibet, Chine et JO : tordre le cou aux idées reçues
L’appel au boycottage des JO de Pékin fait couler un flot d’encre. Sur ce flot, surfent certaines idées fausses à la vie dure. Ecrit en réaction d’un chat publié récemment en ligne dans le quotidien Le Monde, cet article tente de tordre le cou à certaines d’entre elles.
Le Tibet, suite à son soulèvement voire son insurrection, suscite pléthore de réactions et de commentaires. Certaines idées fausses ont la vie dure et il est navrant de les entendre dans la bouche de personnes dites autorisées.
Un tout récent exemple nous est fourni par un certain Pascal Boniface, au titre ronflant directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques. Excusez du peu. Dans un chat du quotidien Le Monde, l’expert, car qui saurait douter qu’il fût un expert, s’exprime le lundi 31 mars. Bonne occasion de tordre le cou à quelques poncifs ressortis pour l’occasion.
Premièrement au sujet de la tarte à la crème du boycott olympique : « un pays qui prendrait l’initiative du boycott... en paierait un prix économique et commercial très lourd ». Comme le reconnaît lui-même l’auteur de ce jugement hâtif, « un boycott, pour être efficace, ne peut pas se faire de façon individuelle, il doit être fait de façon collective ». Voilà le bon sens même.
A l’aune de ce bons sens qui tombe sous l’évidence, que pourrait faire Pékin face à un boycott en règle ourdi de conserve par certains de ses principaux partenaires commerciaux ? Au hasard, les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne. La Chine a-t-elle les moyens, même devenue 4e puissance économique mondiale, de faire « payer » un « prix » commercial quel qu’il soit à ces trois grandes puissances réunies ? Mieux, la Chine aurait-elle un quelconque avenir en tournant le dos de manière ou d’autre à ces trois majors de l’économie, du commerce et de la technologie ?
Quant au boycott d’un seul pays, serait-ce l’Amérique ou l’Allemagne, sa portée se verrait réduite à une bien inutile peau de chagrin.
En conclusion, boycottons en cœur !
Où l’écueil se situe-t-il néanmoins ? L’écueil réside dans le fait que les 4 autres grands membres permanents du Conseil de Sécurité, Amérique, Russie, Grande-Bretagne et France, se voient contraints de jouer d’une diplomatie molle de peur que Pékin ne joue, lui, de son droit de veto à l’ONU.
Tout est là. Et sans l’aval de ces 4 Grands, le Japon, l’Allemagne, le Canada ou autres risquent-ils de se mouiller seuls ? En résumé, le problème revient à dire « on y va tous ensemble ou bien on n’y va pas ».
Le hic, c’est le droit de veto de la Chine au Conseil de Sécurité de l’ONU, pas d’improbables sanctions commerciales.
Deuxièmement, « je n’entends encore personne proposer un boycott économique de la Chine », s’étonne benoîtement Pascal Boniface. La patrie de Mao étant devenue un acteur majeur sur la scène économique mondiale, vouloir la boycotter reviendrait à vouloir boycotter économiquement l’Amérique, le Japon ou l’Allemagne. Inconcevable sur le plan pratique. De plus, boycotter les produits « made in Chine » relève de l’utopie, comme d’ailleurs il en serait de même pour des produits « made in Japan » sachant que les entrepreneurs occidentaux et asiatiques se bousculent pour délocaliser dans l’Empire du Milieu.
Le boycott ne peut donc être que civil et/ou politique.
Troisièmement, plus grave, sur l’indépendance du Tibet, l’expert maintient que « les Tibétains ne la demandent pas », confondant la position officielle, politique et tactique, du Dalaï-Lama avec les aspirations légitimes de son peuple. Pire, pour cet analyste auquel Le Monde donne la parole, « la majorité des Tibétains ne demandent pas l’indépendance : quelques éléments isolés peuvent la réclamer ».
Là, manifestement, une grossière erreur s’est immiscée dans le discours policé de l’orateur.
Si Lhassa et le « Grand Tibet » jusqu’au Gansu, au Si Chan et au Yunnan se sont récemment soulevés dans un mouvement quasi insurrectionnel, c’est bien pour clamer des revendications viscérales qui dépassent la seule « autonomie » que les Tibétains savent d’ailleurs être un leurre.
Que ce soit au Tibet, en Chine, au Népal, en Inde ou dans les grandes capitales de la planète, les Tibétains ont brandi bien haut le symbole de leur identité et de leur indépendance nationale, le drapeau tibétain forgé par le XIIIe Dalaï-Lama au début des années 1910 au moment où il proclamait l’indépendance de son pays face aux velléités d’agression et d’invasion des Anglais, d’un côté, et des Chinois, de l’autre.
Qui plus est, le parti d’opposition démocratique réuni dans la diaspora tibétaine autour du Tibetan Youth Congress sis à Dharamsala en Inde milite résolument en faveur de l’indépendance du Tibet.
Et le Dalaï-Lama a publiquement reconnu auprès des médias internationaux qu’il ne pouvait les faire changer d’avis et respectait leur position sans pour autant y adhérer.
Les éléments qui demandent l’indépendance du Tibet ne sont donc pas isolés, mais bel et bien organisés et identifiés. C’est eux qui organisent les manifestations à Dharamsala et partout en Inde ou au Népal. C’est eux qui inspirent les Tibétains du Tibet et de Chine comme de toute la diaspora, tout en étant inspirés par les aspirations légitimes des mêmes à la liberté et l’indépendance de leur pays souverain lors de l’invasion et de l’annexion chinoise au début des années 1950.
Là où le directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques ne se trompe guère, c’est en affirmant que « Rêver que la Chine respecte définitivement les droits de l’homme à court ou long terme sur injonction des pays occidentaux relève de l’illusion ». Certes, mais fallait-il ajouter, toute évolution positive ne se fera que sous la pression conjuguée des populations chinoises, l’intérieur, et de la Communauté internationale, à l’extérieur comme l’a très bien vu et dit le dissident chinois Wei Jingsheng.
Le Dragon chinois vit dans la crispation permanente d’un régime dictatorial monolithique dont les autocrates restent rivés sur leurs objectifs expansionnistes, colonialistes et hégémonistes.
Les jeux Olympiques ne sont pour eux qu’un outil de propagande, un outil offert sur un plateau par le Comité international olympique avec la complicité de la Communauté internationale qui, depuis, plus d’un demi-siècle déjà, ferme les yeux complaisamment sur le « génocide culturel » perpétré au Tibet.
Cf. Pascal Boniface dans Le Monde le 31 mars 2008.
Rangzen avec Libre opinion.
35 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON