Tibet, un toit du monde bien convoité
« Mon rêve est que le plateau tibétain entier devienne un lieu de refuge libre où l’humanité et la nature pourraient vivre en paix dans un équilibre harmonieux. Ce serait un endroit où des gens du monde entier pourraient venir chercher le vrai sens de la paix en eux-mêmes, loin de la tension et de la pression du reste du monde. Le Tibet pourrait en fait devenir un centre créatif pour la promotion et le développement de la paix ». Sa Sainteté le XIVe Dalaï-Lama (Conférence du prix Nobel de la Paix, 11 décembre 1989 à Oslo).
Chine et Tibet... Des siècles de lutte entre les peuples chinois et tibétains pour obtenir ou conserver la mainmise sur ce territoire mythique, cette terre de légendes, de culture, de spiritualité... mais aussi disposant d’une géolocalisation stratégique, d’un sous-sol bourré de minerais recherchés, d’un potentiel de production d’énergies renouvelables exceptionnel... bref, une vraie aubaine pour la Chine, s’il n’y avait les Tibétains...
Dans cette première partie de mon analyse, je vais vous présenter le territoire tibétain, son histoire, les origines de la crise actuelle. Puis dans une 2e partie à paraître, nous étudierons plus précisément la révolte en cours, incendie qui tend à s’étendre à tout le Tibet, et que la Chine a bien du mal à éteindre cette fois... sous le regard attentif des démocraties occidentales... Dans le même temps, une opposition plus radicale et qui s’oppose à la voie non violente du Dalaï-Lama apparaît clairement. Que peut-il se passer maintenant ? (2e partie)

Géostratégie : le Tibet, un vaste territoire d’une grande richesse... convoité de longue date...
Situé sur la partie prédominante de l’Himalaya et de l’Hindou-Koush, le Tibet, 2 500 000 km² (Grand Tibet), est constitué de trois régions :
- l’Ü-Tsang (Dbus-Gtsang, en tibétain), au centre ; s’y trouvent notamment le grand plateau désertique du Chang Tang et les plus hauts lacs salés du monde ;
- l’Amdo (A Mdo) au Nord-est ;
- le Kham (Khams), à l’Est.
L’altitude moyenne du Tibet est de 4 200 mètres (75 % de la région est située au-dessus de 4 000 mètres) et la plus haute montagne est le Chomo Langma (Everest), qui culmine à 8 848 mètres.
Au Nord, le Tibet s’étend jusqu’au plateau de l’Asie centrale, et à l’Est il est essentiellement constitué de vallées fluviales.
Le climat rigoureux et l’altitude expliquent que le Tibet dispose de peu de forêts, mais en revanche il est riche en pâturages et prairies, qui constituent environ 45 % du territoire.
Ces pâturages sont parcourus par une population clairsemée de bergers-nomades, à la tête de troupeaux importants.
Le Tibet constitue le principal bassin hydrographique de l’Asie ; de nombreux fleuves et rivières y prennent naissance (Fleuve jaune, Fleuve bleu, Mékong, Brahmapoutre, Indus...) et il possède plus de 2 000 lacs naturels (Kokonor, Nam Tso, Tso Nganpo...). Son potentiel de production d’énergie d’origine hydraulique est très important (estimé à 250 000 MW).
Le Tibet possède également le potentiel de production d’énergie solaire le plus élevé du monde après celui du Sahara, ainsi que de ressources significatives en énergie géothermique.
En termes de biodiversité, le Tibet présente de vastes étendues de terres pas ou peu anthropisées (plus d’un million de km²) ; nombre de ces territoires constituent des habitats uniques, et le Tibet abrite de nombreuses espèces végétales et animales endémiques (drong ou yak sauvage, kiang ou âne sauvage, gazelle du Tibet, antilope du Tibet, singe au nez retroussé...).
En
1990, la zone protégée du Tibet comprenait vingt réserves sur une
superficie totale de 40 100 km2 ou 1,6 % de la superficie totale du
pays, ce qui est relativement peu important si l’on considère le
caractère exceptionnel de cette région du monde. Fin 1991, une nouvelle
et vaste réserve de 237 000 km2 a été ouverte,
Mais ce dont le Tibet a le plus besoin, c’est d’une politique de conservation officielle et efficace menée sur le terrain, pour lutter contre les actes de prédation et les braconnages en nombre grandissant.
De par leur culture et leurs croyances, les Tibétains, depuis des siècles, respectent la nature, évitent autant que possible de donner la mort, et vivent en harmonie avec leur environnement.
Le problème a donc essentiellement pour origine les mutations extrêmement rapides imposées à cette société traditionnelle et l’arrivée de populations chinoises envoyées par le gouvernement central pour coloniser et exploiter le Tibet, qui ne partagent pas les valeurs tibétaines de respect de la vie sous toutes ses formes, et utilisent des méthodes industrielles agressives, polluantes et destructrices.
Le Tibet dispose de ressources minières considérables ; les principaux minerais présents sont : la bauxite, le borax, l’uranium, le fer, le cuivre, le chrome, le charbon, le sel, le mica, le lithium (plus grosse réserve mondiale), l’étain, l’or et le pétrole. Leur exploitation à grande échelle va se développer à partir des années 1960, au fur et à mesure de l’expansion chinoise. La plupart des bénéfices retirés reviennent aux ouvriers et entreprises chinois.
Il s’agit d’une exploitation extrêmement prédatrice pour l’environnement, les forêts, l’agriculture locale, la qualité des eaux de proximité (eaux de surface et souterraines).
Fin
1949, les Chinois vont redécouper le Tibet qu’ils viennent d’envahir :
la plupart des provinces les plus riches vont être englobées dans les
territoires chinois limitrophes, et leurs noms tibétains vont être
remplacés par des appellations en langue chinoise ; le reste du
territoire - essentiellement l’ancienne Ü-Tsang - devient
L’intérêt
des Chinois pour le Tibet apparaît plus clairement si l’on considère la
richesse de ce vaste territoire, resté peu exploité par sa population
d’origine. Cuivre, lithium, uranium, entre autres, sont des minerais
recherchés et de plus en plus rares et/ou coûteux à extraire partout
ailleurs dans le monde, et dont
Face
à de tels enjeux d’ordre économique, les droits de l’homme et les
considérations d’ordre culturel et religieux n’ont que peu de poids. Il
est évident que
Le Tibet : une population, une langue, une culture...
Le peuple tibétain a une identité propre, soudée autour d’une langue, une religion et une culture communes.
D’un point de vue ethnique, les premiers tibétains étaient probablement d’origine tibéto-birmane, origines qui se sont enrichies au fur et à mesure des invasions successives (Mongols, peuples himalayens).
Si le bouddhisme a fortement influencé la culture tibétaine depuis le VIIe siècle, il s’y est mêlé à la religion locale antérieure, le Bön.
Le Bön est la religion de type shamanique qui était pratiquée au Tibet avant l’arrivée du bouddhisme. Il est probable que les deux croyances sont entrées en concurrence à un moment donné, mais finalement, même si le Bön est devenu minoritaire, il va continuer à cohabiter avec le bouddhisme tibétain, et même l’enrichir de quelques aspects de type ésotérique.
Selon les croyances du Bön, le monde est habité d’esprits que les activités humaines dérangent, d’où le recours aux prêtres Bönpos qui vont servir de médiums et pratiquer des rituels complexes d’apaisement de ces esprits-divinités. La religion Bön, qui disposait de nombreux temples avant l’arrivée des Chinois, a subi de nombreuses persécutions du fait de ces derniers ; elle est encore pratiquée par quelques adeptes réfugiés pour l’essentiel en Inde ou au Népal et le gouvernement tibétain en exil soutient un projet de création d’institut international du Bön au Népal, afin de préserver cette doctrine indissociable de la culture et de la spiritualité tibétaines.
Actuellement, environ 6 millions de Tibétains vivent au Tibet, et 150 000 en exil, sont installés en majorité en Inde (environ 100 000 personnes), au Népal (environ 20 000) et au Bhoutan (communauté d’environ 2 000 réfugiés). Ils sont bouddhistes à 90 %.
Les Tibétains sont majoritairement des éleveurs (pasteurs nomades) et des agriculteurs qui pratiquent une agriculture montagnarde de subsistance (culture de l’orge principalement) ; l’administration, les commerces et les services étant habituellement gérés par les Chinois.
La capitale du Tibet est Lhassa.
Le drapeau tibétain[1] représente une montagne avec deux lions des neiges, un soleil avec des rayons rouges et bleus.
Le chef de l’Etat, qui est en même temps le chef spirituel du Tibet, est Tenzin Gyatso, XIVe Dalaï-Lama[2], qui vit en exil à Dharamsala, en Inde depuis 1959.
Le gouvernement tibétain en exil est une démocratie ; les élections ont lieu tous les cinq ans, et le Parlement, qui siège à Dharamsala, compte 46 membres.
Histoire du Tibet, traits majeurs :
Les premières traces de peuplement découvertes au Tibet remontent au mésolithique, entre 12 000 et 6 000 avant J.-C.
Depuis 127 avant J.-C., le Tibet a été gouverné par une monarchie héréditaire ; au VIIe siècle de notre ère il est unifié par le roi Songtsen Gampo qui y règne de 620 à 640.
L’empire tibétain rayonnera bien au-delà de ses frontières, étendant son influence au Népal et au Turkestan.
En 821, le Tibet signe un traité de paix avec
Au début du XIIIe siècle et jusqu’en 1350, le Tibet se soumet aux Mongols, qui ont également conquis la Chine.
En 1652, le Ve Dalaï-Lama se rend à Pékin ; le Dalaï-Lama devient guide spirituel de l’Empereur de Chine qui, en échange, promet de protéger le Tibet.
A partir du XVIIIe siècle, les Chinois, venus pour libérer le Tibet des invasions mongoles puis népalaises, en profitent pour s’introduire dans l’administration tibétaine, installer une garnison militaire et imposer une tutelle impériale, commençant ainsi à restreindre l’indépendance de la région.
Le début du XXe siècle est marqué par une rivalité entre les Anglais et les Russes qui veulent étendre leur influence en Asie. En 1904, les Anglais entrent à Lhassa avec pour objectif d’instaurer dans la région une voie commerciale ; leur arrivée provoquera la fuite du XIIIe Dalaï-Lama.
Mais en 1911, la dynastie des Qing s’effondre, la première République chinoise est proclamée. Le XIIIe Dalaï-Lama revient, et le Tibet va profiter des 18 années d’instabilités qui vont se succéder en Chine pour chasser les Chinois de Lhassa et retrouver son autonomie.
C’est en 1913, que le Tibet, qui dispose d’un peuple, d’un territoire, d’une monnaie et d’un gouvernement, proclame son indépendance, qui durera jusqu’en 1950.
En effet, dès 1949, Mao Ze Dong envoie des troupes reconquérir la région.
En mai 1951, le Tibet est soumis et un accord en 17 points est signé, sous la contrainte, avec
En mars 1959, le XIVe Dalaï-Lama, alors âgé de 24 ans, et dont la vie semble en danger, doit fuir et se réfugie en Inde, avec quelque 85 000 Tibétains. La répression au Tibet sera terrible.
A ce jour le Dalaï-Lama, qui n’est jamais retourné au Tibet, vit toujours en exil à Dharamsala en Inde.
Durant la révolution culturelle chinoise (1966-1976), des exactions atroces seront perpétrées à l’encontre de la population tibétaine, dont le bilan n’a pu encore être dressé faute de pouvoir accéder librement à cette région, mais on peut sans crainte d’erreur ni d’exagération évoquer la notion de génocide...
Des centaines de milliers de Tibétains vont mourir, déportés dans les camps de travail, emprisonnés, torturés, violés, poussés au suicide, victimes de famines organisées.
La quasi-totalité des 6 000 temples et monastères vont être pillés et détruits ; et ce n’est que depuis que
Après la mort de Mao en 1976, le Tibet va bénéficier d’un peu plus de tolérance, au niveau religieux notamment, mais cela ne va pas durer.
A partir de la fin des années 1980, les Tibétains vont commencer à organiser des rassemblements spontanés dans les espaces publics de grandes villes, pour manifester leur opposition à l’occupation chinoise au Tibet. Les moines et les nonnes tibétains deviennent les leaders de ce nouveau type de résistance pacifique.
En 1987, un renouveau du nationalisme tibétain sera à l’origine de nouvelles émeutes, qui se répéteront à différentes reprises entre 1988 et 1989. La réponse des occupants chinois sera brutale et se fera dans le sang ; des centaines de victimes seront dénombrées, il y aura de nouvelles vagues d’arrestations. En 1989, le pouvoir chinois instaure la loi martiale à Lhassa.
Les journalistes ne pouvant s’y rendre, la ville restant gardée sous étroite surveillance, il sera difficile de connaître l’ampleur de la répression.
En décembre 1989, le prix Nobel de
A
la fin des années 1990, de nombreux moines et nonnes seront arrêtés et
emprisonnés, pour avoir pris part à des manifestations non violentes ou
tout simplement pour avoir fait connaître publiquement leur attachement
au Dalaï-Lama. On leur fait suivre des séances de « rééducation
patriotique », durant lesquelles ils sont amenés à s’engager à se
montrer loyaux envers le Parti communiste chinois, à accepter que le
Tibet soit considéré comme étant une partie de
Nombre d’ONG ayant participé à des campagnes en vue de la libération de religieux emprisonnés, les entendront leur décrire ces mêmes motifs d’arrestation, ces mêmes moyens de pression, ajoutés à la privation de liberté, de communication avec l’extérieur, et même à la torture.
Depuis 1995, la situation s’est encore durcie : simplement détenir une photo du Dalaï-Lama, même dans la sphère privée, est interdit ; le gouvernement chinois cherche à s’introduire dans les monastères afin d’intervenir dans la formation et l’ordination des moines, et plus largement dans la pratique du culte bouddhiste.
Il est stipulé que les fonctionnaires d’Etat n’ont pas le droit de pratiquer de religion. Le chinois mandarin est devenu la langue officielle, ce qui pénalise les Tibétains qui ne le maîtrisent pas.
Par ailleurs, un autre événement s’est produit durant cette même période : la disparition du XIe Panchen Lama.
Le Panchen Lama est le deuxième leader religieux du Tibet, derrière Dalaï-Lama. Dans la tradition bouddhiste tibétaine, on les compare souvent au couple formé par la Lune et le Soleil ; enfin, ils ont, entre autres, pour rôle de participer à la reconnaissance du nouveau leader religieux Panchen Lama ou Dalaï-Lama, après que la précédente incarnation fut décédée. Il est donc très important que les deux charges coexistent.
En 1995, le Dalaï-Lama identifie
Parallèlement,
le gouvernement chinois va introniser son propre Panchen Lama et
veiller à son éducation. Mais malgré diverses tentatives pour l’imposer
au peuple tibétain comme étant la seule véritable incarnation du
Panchen Lama, le jeune Chinois ne sera jamais accepté ni reconnu par
les Tibétains. Il vit toujours sous étroite surveillance policière
chinoise, n’ayant que très peu de contacts avec l’extérieur. Du reste
on ne sait pas grand-chose de lui.
Brimés dans la libre expression de leur culture, ayant l’interdiction d’utiliser leur langue, ou de simplement évoquer leur attachement au Dalaï-Lama, les Tibétains subissent une assimilation et une acculturation forcées, et n’ont plus la possibilité de pratiquer leurs anciens rites que dans le cadre de représentations à visées touristiques.
... Pourtant, l’opinion internationale continue à fermer les yeux sur cette situation dramatique, car
... Et le temps presse : la population tibétaine est devenue minoritaire sur ses terres, où
[1] Le drapeau actuel du Tibet a été créé par le XIIIe Dalaï-Lama (début XXe siècle). Le triangle blanc central représente la montagne enneigée (pour rappel, le Tibet est aussi appelé le Pays des Neiges) ; le soleil au centre représente la liberté et le bonheur spirituel du peuple tibétain ; les 6 rayons rouges représentent les 6 tribus d’origine du peuple tibétain ; l’alternance de rayons rouges et bleu foncé symbolise la détermination des deux déités séculaires du Tibet à défendre les traditions spirituelles du pays ; les deux lions des neiges symbolisent la victoire du pouvoir spirituel au Tibet ; ils portent les 3 joyaux qui représentent les trois sources de refuge spirituel, soit le Bouddha, sa loi (dharma) et la communauté monastique (sangha), et en dessous ils présentent un motif circulaire à deux couleurs, symbolisant l’adhésion volontaire aux vertus divines et aux codes de la morale humaine.
[2] Né en 1935 dans une famille de paysans du nord-est du Tibet, le XIVe Dalaï-Lama, 72 ans, est l’héritier d’une dynastie spirituelle qui remonte au XIVe siècle. Il a été reconnu à l’âge de 4 ans comme étant la 14e incarnation du Dalaï-Lama, chef religieux suprême du bouddhisme tibétain.
Il a alors été conduit au palais du Potala, à Lhassa, afin d’y recevoir les enseignements religieux nécessaires à sa charge.
A l’âge de 15 ans, il est intronisé précipitamment car les troupes chinoises viennent d’envahir le Tibet. Pendant neuf ans, il va essayer de faire prévaloir une réponse non-violente, mais des émeutes anti-Chinois vont éclater ; elles seront réprimées dans le sang et le Dalaï-Lama doit fuir son pays en 1959, avec quelques compagnons. Après un périple de treize jours, il arrive en Inde, où il se voit offrir l’asile politique dans la ville de Dharamsala. C’est dans cette ville qui va voir affluer au fil des ans de nombreux réfugiés tibétains, que le Dalaï-Lama constitue son gouvernement tibétain en exil.
En 1989, il se voit décerner le prix Nobel de
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