Tourisme : quid des droits de l’homme ?
Le tourisme faisait la Une cette semaine. Le Salon mondial du tourisme, qui se tenait à Paris, porte de Versailles, a attiré un grand nombre de visiteurs venus préparer leurs vacances. La presse a largement couvert cet événement. On a parlé de pays ensoleillés, de nouvelles tendances, de tourisme écologique ou équitable.
Mais il est un sujet dont on n’a pas ou peu parlé : les droits de l’homme !
Pour partir se faire bronzer, les Français plébiscitent deux destinations à l’étranger : l’Espagne, premier pays visité par les touristes hexagonaux, et la Tunisie.
Tunisie ! Rien que ce nom fait rêver la majorité des Français : Djerba, Sousse, Hammamet ! La mer bleue, le soleil, les plages... Qui n’a pas souhaité faire un séjour là-bas ? Pourquoi s’en priver d’ailleurs : Tapez Tunisie sur n’importe quel moteur de recherche et on vous proposera une semaine à Djerba pour 200 euros par personne vol compris ! C’est presque donné !
En Tunisie, en 2006, le tourisme a compté pour 6,49% du PIB, soit près de 1 370 millions d’euros (1). 1,2 million de touristes français (18% du total) y ont séjourné.
Le slogan de l’office du tourisme tunisien est « Tunisie amie ».
Mais la Tunisie est-elle vraiment amicale pour tout le monde ? Pas vraiment si l’on en croit les ONG internationales :
Amnesty International (Extrait du Rapport Annuel 2007) : « Plusieurs dizaines de personnes poursuivies pour activités terroristes ont été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables. De nouveaux cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés. Des centaines de prisonniers politiques, dont certains étaient des prisonniers d’opinion, restaient incarcérés. Un grand nombre d’entre eux étaient détenus depuis plus de dix ans. Bien que le gouvernement ait promis de mettre un terme aux placements prolongés à l’isolement, des informations faisaient toujours état du recours à cette pratique ainsi que de la privation de soins médicaux. La liberté d’expression et d’association demeurait soumise à de sévères restrictions. »
Human Right Watch (Extraits du Rapport Annuel 2007) : « Les autorités ont refusé d’accorder un agrément à toute organisation de défense des droits humains véritablement indépendante en ayant fait la demande au cours des dix dernières années. Elles ont ensuite invoqué le statut « illégal » de l’organisation pour entraver ses activités. Le 21 juillet 2006, les forces de police ont encerclé à Tunis le bureau du Conseil national pour les libertés en Tunisie, organisation non reconnue, et ainsi qu’elles l’ont déjà souvent fait auparavant, elles ont empêché ses membres de se réunir, recourant à la force contre ceux qui ne se dispersaient pas assez vite. La police a aussi fait obstruction à des réunions de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques, organisation elle aussi non reconnue ... Le pouvoir judiciaire n’a pas d’indépendance. Les juges d’instruction interrogent souvent les accusés en l’absence de leurs avocats. Les procureurs et les juges ferment souvent les yeux sur les allégations de torture, même quand elles font l’objet de plaintes officielles déposées par des avocats. Les juges condamnent les inculpés uniquement ou principalement sur la base de confessions arrachées sous la contrainte, ou de dépositions de témoins que l’accusé n’a pas la possibilité de confronter au tribunal. »
Reporters sans Frontières (Extrait du Rapport Annuel 2007) : « Dans le pays du président Zine el-Abidine Ben Ali, les journalistes indépendants ou d’opposition sont empêchés de travailler par tous les moyens. Surveillés et harcelés, leur liberté de mouvement est chaque jour un peu plus restreinte »
Le discours officiel est lui très différent : voici ce que l’on peut lire sur le site « Invest Tunisia », site officiel du gouvernement tunisien cherchant à attirer les investisseurs étrangers :
« A bien des égards, la Tunisie fait figure de pays exemplaire dans le bassin méditerranéen et le monde arabe et africain : par sa stabilité politique et le dynamisme de son économie. C’est aussi un pays qui concilie à merveille la tradition et la modernité. Enfin, c’est un pays à la fois déconcertant par son charme indéfinissable mais si proche de l’Europe. »
« Depuis son indépendance, en 1956, la Tunisie a connu une longue et profonde mutation politique. Des réformes fondamentales ont été introduites depuis 1987 pour promouvoir le processus démocratique et consacrer l’état de droit et des institutions. »
« La Tunisie a adhéré aux conventions internationales sur les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant. »
Ne soyons pas dupes ! Si la Tunisie peut se vanter de sa stabilité, c’est qu’elle est un pays totalitaire ! Et ça, tout le monde le sait...
Alors comment se fait-il que ce pays soit l’une des destinations favorites des touristes français ? Ces même Français qui se targuent d’être les enfants de la déclaration universelle des droits de l’homme et qui sont fiers de leurs valeurs démocratiques héritées de la Révolution française.
Il ne viendrait pas l’idée de la majorité de nos compatriotes d’aller se faire bronzer sur les plages de l’Iran ou de la Syrie, mais aller à Cuba ne leur pause aucun problème. Ils ne vont certainement pas aller au Belarus ou en Birmanie, mais partir en Chine ou en Egypte ne les choque pas. La Libye devient même une destination à la mode.
Pourtant, faire du tourisme dans un pays totalitaire, c’est en financer le régime, c’est en cautionner le régime ! De nos jour il est difficile de dire « je ne savais pas ! » L’argument « moi, je ne fais pas de politique » ne tient pas : se rendre dans un pays bafouant les droit de l’homme, c’est indirectement approuver la politique de ce pays et c’est donc faire de la politique !
Alors, les touristes français soutiennent-ils des dictatures ? Sont-ils favorables au régime tunisien ? Apprécient-ils les dictatures pour leur « stabilité » ?
Pas vraiment : à décharge de ceux qui choisissent de passer leurs vacances en Tunisie ou à Cuba, il faut reconnaitre que le gouvernement français n’y voit aucune objection. Au contraire, les relations économiques et diplomatiques entre la France et la Tunisie sont au beau fixe ! Tout va très bien ! Alors pourquoi le simple citoyen devrait-il agir différemment de l’Etat ? Si la Tunisie ou Cuba étaient des pays à éviter, le Quai d’Orsay ne manquerait sans doute pas de le signaler. A moins qu’il n’y ait de « bons » dictateurs et de « mauvais » dictateurs ?
Le fait est que, au moment de choisir leurs vacances, les Français regardent d’abord et avant tout le prix du séjour. Ce qui les intéresse ensuite c’est le cadre, la destination, le voyage. Pour la majorité d’entre eux, situation politique du pays concerné importe peu. Il n’y a pas, au moment du choix des vacances, de réflexion sur l’état des libertés individuelles dans le pays concerné.
C’est bien dommage !
Mais comment s’en étonner ? Ni le gouvernement, ni les professionnels du tourisme ou les médias ne communiquent sur cette question. La priorité c’est le tourisme et l’argent qu’il génère. Pas question de tuer la poule aux œufs d’or alors on ferme les yeux... On va même chaque année faire des reportages complaisants sur certaines chaînes de télévisions où l’on vantera les plages de Tunisie ou la Grande Muraille.
Fermer les yeux c’est pourtant être complice ! A quand une campagne pour un tourisme « politiquement responsable » ?
(1)Source République tunisienne, site internet « Invest Tunisia » 2007.
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