Ukraine : Histoire d’une guerre (1)
LES ACTEURS - 4 Juillet 2014
Les acteurs immédiats sont les Ukrainiens : les forces légales du pays d’un côté et les rebelles indépendantistes de l’autre. Il faut préciser que la désignation de légal ou rebelle est fragile dans le sens où, il y a quelques mois, les actuelles forces légales étaient des émeutiers hors la loi. Ce n’est pas exclusivement une guerre civile, d’abord parce que ce passage du statut d’émeutier à celui de force légale a été opéré par la communauté internationale et celle-ci porte donc une responsabilité de fait dans l’existence du conflit ainsi que dans la recherche de la paix. Ensuite, tout indique que le conflit n’est pas local : militairement, les risques d’extension du conflit sont patents puisque la Russie et l’OTAN sont face à face ; économiquement, ce conflit a été internationalisé dès les premiers jours avec des sanctions à l’encontre de la Russie, notamment son exclusion du G8 (mars). Enfin, il y a dans cet affrontement des conséquences économiques et politiques majeures pour l’avenir de l’Ukraine et de l’Europe.
Pour ces raisons, et quelques autres, les acteurs principaux de premier plan sont également la Russie, les Etats-Unis, l’Union Européenne, l’Allemagne, la France, l’OSCE et l’ONU. Sans oublier l’OTAN. Et au second plan, on trouve la Pologne, l’Italie… et la Chine. Le Royaume Uni semble rester prudemment en retrait.
Remarque : effet ou cause de la mondialisation, il n’y a plus de guerre aujourd’hui où les seuls acteurs d’une bataille seraient ceux qui se battent sur le terrain. Par exemple, il y a ceux qui leur fournissent les moyens de se battre mais sans se battre eux-mêmes, ceux qui les encouragent publiquement ou secrètement à se battre, ceux pour qui les combattants se battent (sans toujours le savoir), ceux qui ont manigancé pour les amener à se battre, etc. Ces groupes de combattants peuvent être des nations, des alliances de nations ou des groupes d’individus ne constituant pas une entité officiellement reconnue.
Deux exemples : De 1950 à 1953, la Corée du Nord et la Corée du Sud s’affrontent. Le Nord est soutenu et armé par l’URSS puis la Chine, pendant que le Sud est militarisé par les troupes d’une alliance autorisée par l'ONU et emmenée par les USA. Dans cet exemple, URSS et Chine se sont ouvertement battus contre les USA et leurs alliés dans une guerre volontairement circonscrite sur un territoire étranger. Bilan estimé : 3,5 millions de morts dont deux tiers de civils, 3 millions de réfugiés et un pays ravagé par les bombardements pour un statu quo 60 ans plus tard (situation actuellement pacifique mais tendue).
En 1979, l’URSS envahit l’Afghanistan. Elle rencontre une telle résistance qu’elle se retirera sans gloire en 1986 de cette guerre ingagnable. Les résistants à l’envahisseur sont des combattants islamistes. On apprendra plus tard qu’ils étaient armés et soutenus par les USA et l’Arabie Saoudite. On dira même que l’un de leurs principaux chefs, Oussama Ben Laden, était un agent de la CIA ; c’est une façon abusive de signifier qu’il recevait des USA l’aide nécessaire pour mener son propre combat. Du côté afghan, les morts seront estimés à 1,2 million (dont 80% de civils) et 4 millions de réfugiés pour une population totale de 15 millions. 30 ans plus tard, le pays est toujours en guerre. Dans cet exemple, les USA ont affronté l’URSS par le biais secret des moudjahidines Saoudiens et Pakistanais car ils s’étaient trouvés un intérêt commun.
La question-clé est bien de savoir précisément qui fait quoi dans et autour de la guerre. On ne peut évidemment pas compter sur les acteurs pour nous le dire, d’autant qu’eux-mêmes ne savent pas non plus forcément quels sont le rôle, les objectifs et les projets des autres acteurs. Il faut donc les écouter et les observer attentivement pour les débusquer, en se méfiant des idées simples ou des a priori hasardeux, et en gardant en mémoire un principe valable en tous temps et en tous lieux : « chercher à qui profite le crime ».
Le seul objectif de cette démarche est de comprendre la situation pour tenter de mettre fin au malheur et à la mort qui s’abattent aujourd’hui sur les populations civiles du Donbass, qui ne savent pas elles-mêmes pourquoi on les attaque, et d’éviter qu’elles soient le prélude à un drame plus étendu. La tâche est d’autant plus difficile que les enjeux ne nous sont pas non plus connus avec précision. Pour en citer quelques-uns : la fourniture d’énergie (le gaz russe), l’éloignement de la Russie de l’UE, la position géostratégique de l’Ukraine, le retour d’une opposition est/ouest sous l’angle de la civilisation (comme par exemple les valeurs morales ou la conception de la pratique du pouvoir). Sans oublier l’OTAN. De plus, il existe peut-être des enjeux secrets mais fondamentaux comme la suprématie du dollar US.
Les évènements de Kiev qui ont renversé le pouvoir ont eu pour objet de sortir l’Ukraine de l’influence russe pour la diriger vers l’Europe (on peut d’ailleurs se demander pourquoi il semble si important « pour l’ouest » d’arracher l’Ukraine de la sphère d’influence de la Russie). Les accords UE/Ukraine signés le 27 juin n’ont pas réglé cette question car s’il ne s’agit que d’emmener les restes d’un pays dont seraient sortis l’est et le sud, outre que les accords pourraient devenir caducs, ce ne serait pas une victoire pour l’UE et les USA sur la Russie. Garder l’est après avoir perdu la Crimée est donc aussi un enjeu de taille pour la position des acteurs sur la scène internationale. Au final, l’enjeu de la crise ukrainienne est peut-être un nouvel ordre mondial. Mais unipolaire, bipolaire ou multipolaire, la question est toujours de savoir quels en sont les pôles.
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