Venezuela : la mauvaise touche ?
En retirant des ondes la chaîne privée de télévision RCTV, Hugo Chávez a-t-il fait un pas de trop ?
Semaine mouvementée au Venezuela : la « fermeture » par le gouvernement de la chaîne privée RCTV et son remplacement par la nouvelle chaîne gouvernementale TVes a provoqué un tollé de manifestations dans les grandes villes du pays et fait les choux gras des commentateurs, le tout au nom de la liberté d’expression.
Les choses sont en fait un peu plus compliquées que cela. Primo, plutôt que d’une fermeture brutale, c’est d’un non-renouvellement de la concession qu’il s’agit. On peut discuter de la façon dont la mesure a été annoncée (par le président Chávez lui-même et non par les autorités de tutelle de l’audiovisuel), mais la différence reste de taille. Tout État a le droit de réglementer l’accès aux ondes et le Venezuela ne fait pas exception.
Du reste, on se demande pourquoi et comment RCTV n’a pas été purement et simplement interdite au lendemain du coup d’État avorté d’avril 2002, alors qu’elle avait pris fait et cause pour les putschistes, se mettant littéralement à leurs services, avant, pendant et après le coup. Dans n’importe quel pays du monde, une telle attitude de la part d’un média de masse aurait valu à ses directeurs une condamnation exemplaire, voire une fermeture de la chaîne.
Au lendemain du coup d’État qui l’avait écarté du pouvoir pendant 48 heures, Hugo Chávez n’avait probablement pas les moyens d’une politique aussi radicale. Il a donc patienté et décidé de faire payer la facture à RCTV cinq ans plus tard. Trop tard sans aucun doute pour les mémoires courtes ayant oublié ce qui s’était produit en 2002. Aussi, dans le débat actuel, la question de l’attitude de RCTV durant le coup d’État est-elle totalement évacuée, malgré une série de preuves évidentes et accablantes.
Sacrosainte liberté d’expression
Par contre, ce qui est présentement monté en épingle, c’est la liberté d’expression, la sacrosainte liberté d’expression ! Mais parlons-en donc, de cette liberté ! De quelle liberté s’agit-il dans une chaîne privée, lorsque le propriétaire impose sans vergogne la ligne éditoriale et que les journalistes sont limités à un simple rôle de faire-valoir ?
Dans le cas des chaînes vénézuéliennes, tant privées que publiques, cette situation est totalement transparente : les journalistes ne sont là que pour illustrer une ligne éditoriale prédéfinie, qu’elle soit anti ou progouvernementale. Si bien que dans ce pays aux opinions publiques radicalisées, l’éthique journalistique est tombée à son plus bas niveau : une espèce de degré zéro du journalisme, en quelque sorte. La télévision, en particulier, est sans doute l’une des plus mauvaises qui soit.
Dans ce cadre peu enchanteur, les grands principes de liberté d’expression ou de pluralisme ne veulent plus dire grand-chose. Mais attention toutefois : ils restent malgré tout de très beaux étendards à utiliser, tant sur le plan national qu’international. Et précisément, l’opposition antichaviste ne cesse d’utiliser cet oriflamme, avec un certain succès d’ailleurs.
C’est ce qui explique les manifestations à l’intérieur du pays et les mises en garde diplomatiques à l’extérieur (de la part des États-Unis, bien entendu, mais aussi de l’Europe, de l’Espagne, du Brésil, du Chili...). Indéniablement, la pression s’exerce de plus en plus sur Hugo Chávez. Celui-ci, comme tout militaire qui se respecte, répond en attaquant : le voici qui lance des menaces, cette fois, contre Globovision, autre chaîne privée qui, à longueur de journée, crée et maintient la tension autour de l’affaire RCTV.
Nouvelle spirale
Nous entrons donc dans une nouvelle spirale de radicalisation, comme le Venezuela en a connues plusieurs depuis l’avènement de Hugo Chávez, en 1998. Jusqu’à présent, le président, bon stratège, a pratiquement toujours remporté la donne, profitant au passage de ces crises pour « approfondir la révolution » et mener le pays sur la voie du fameux socialisme du XXIe siècle tel qu’il l’entend.
Mais cette fois, il semble bien que de nouveaux éléments sont entrés en jeu et perturbent l’agencement habituel de l’affrontement politique :
- Le débat se joue autour du concept de liberté d’expression, principe démocratique ô combien sacré, que bien peu, dans le monde, seraient disposés à sacrifier, tout au moins en paroles (au niveau de l’application, on est plus large...). Cela explique que des présidents amis, comme Lula, n’ont pas hésité à remettre Hugo Chávez à sa place.
- La jeunesse vénézuélienne est devenue un acteur principal de l’affrontement. Ce sont en effet les étudiants qui manifestent aux quatre coins du pays. Lors des crises antérieures, c’était le patronat et le syndicat lié à l’« ancien régime » qui menaient l’action, appuyés par les médias privés, tandis que la bonne bourgeoise fournissait l’essentiel des troupes. Les jeunes en tant que force sociale significative étaient restés en dehors du débat principal, nombre d’entre eux manifestant, ici comme ailleurs, un certain dédain ou désintérêt pour la politique. Les voici maintenant aux premières lignes.
Cartes brouillées
Dans le cas actuel, la nature du débat autour d’un thème « sacré » tel que la liberté, ainsi que l’irruption de la jeunesse dans la bataille, brouillent résolument les cartes. On ne se trouve plus face à la confrontation classique entre gouvernement et opposition, avec les acteurs de toujours. La configuration sociale de l’affrontement a changé. D’autant plus que le petit peuple peu ou pas politisé, souvent acquis par omission au président, peut se sentir déstabilisé par la disparition des telenovelas de RCTV qu’il suivait assidûment. Il est loin d’être certain que la programmation de la nouvelle chaîne gouvernementale le capte aussi facilement.
Dans de telles circonstances, la réponse à donner à la crise se doit d’être différente. Un fuite en avant par la radicalisation - la solution classique de Chávez - pourrait cette fois être contreproductive, car elle risque de provoquer une perte sociale importante pour le gouvernement ainsi qu’un isolement accru sur la scène internationale. Des amis, des sympathisants, ou même des "ni-ni" (ni pour le gouvernement, ni pour l’opposition) pourraient s’éloigner.
Hugo Chávez a-t-il bien pesé les enjeux du moment ? A-t-il bien saisi la nouvelle dimension de cette crise ? Pourra-t-il y donner une réponse satisfaisante pour l’avenir du processus politique en cours au Venezuela ?
On peut en tout cas se demander si, au moment de déclencher la crise, par l’annonce il y a quelques mois de la fin de la concession accordée à RCTV, il n’a pas appuyé sans le savoir sur la mauvaise touche.
Pour plus d’informations en français sur le Venezuela, voir le site venezueLATINA.
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