Bloguer anonymement

Bloguer anonymement, c’est le choix que j’ai fait et à propos duquel je me suis brièvement expliqué.
Ce choix obéit également à une ligne de conduite qui a été maintes fois exposée par nombre d’estimés Confrères. Voici par exemple ce qu’en dit Juan des Coulisses de Sarkofrance dans un billet publié il y a très exactement un an :
« L’anonymat permet d’éviter les arguments d’autorité. Quand je lis Dagrouik, Nicolas, Vogelsong, Mrs Clooney ou Olympe, je lis leurs écrits, sans penser à qui il sont. Bloguer anonyme permet d’attirer l’écoute sur ce que l’on dit, pas ce que l’on est. Yann Savidan dit la même chose. »
Ce point me parait en effet capital. Il constitue, à mon avis, la motivation suprême qui légitime l’anonymat. Ce qui importe, c’est le contenu – bon ou mauvais – de ce qui est publié. L’identité réelle de l’auteur est accessoire.
Il suffit de considérer le journalisme contemporain et plus particulièrement le petit monde des éditorialistes jouissant d’une certaine notoriété. Généralement, on accorde moins d’importance à ce qu’ils peuvent dire et écrire qu’au fait que ce soit précisément eux qui le disent et l’écrivent.
Mais on pourrait élargir ce constat à la politique.
Combien de lois votées annuellement portent le nom de celles et ceux qui en ont été les rapporteurs et les promoteurs ?
Aujourd’hui, il est courant de parler de la loi Carrez, de la loi Bachelot, de la loi Perben, de la loi Wauquiez, etc., sans même prêter attention à leur contenu.
Dans quelle mesure l’initiative du sénateur Jean-Louis Masson, visant à mettre un terme à la pratique du blog anonyme, ne s’inscrit-elle pas d’abord dans une volonté de donner son nom à une loi éventuelle ?
Sur le fond, la volonté du parlementaire est d’aligner le blogueur sur le régime de responsabilité civile et pénale des directeurs de publication de la presse écrite. Sauf que c’est déjà le cas.
Tout éditeur de contenu, qu’il soit anonyme ou pas, est responsable de ce qu’il publie. Par conséquent, tout blogueur sait qu’il peut faire l’objet de poursuites pour diffamation, pour atteinte à la vie privée, pour injure ou pour tout autre délit commis dans le cadre de la loi de 1881 relative à la liberté de la presse.
Des blogueurs en ont déjà fait l’amère expérience et s’en sont sortis avec des fortunes diverses.
Je pense notamment au blogueur Fansolo qui fut en délicatesse avec le Maire d’Orléans et qui a été malheureusement condamné.
Je pense aussi à Abadinte qui a eu des démêlés judiciaires avec le Maire de Puteaux ou bien encore à Olivier Bonnet qui a été poursuivi par un magistrat pour injures. Tous deux ont été relaxés.
Fansolo et Abadinte ont écrit sous leurs pseudonymes. Olivier Bonnet, non.
Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, ces blogueurs, titulaires ou non de la carte de presse, ont dû faire face à des plaintes en justice.
A chaque fois, le juge procède à une pondération entre, d’une part, la liberté d’expression qui vaut également pour les idées qui heurtent, choquent ou inquiètent, et d’autre part, l’atteinte alléguée à des droits fondamentaux tels, par exemple, la protection de la vie privée ou la protection de l’individu contre la diffamation ou l’injure publique.
Anonymes ou non, les blogueurs n’agissent donc pas en dehors du champ de la loi. Ils y sont soumis même s’il est vrai que nombre d’entre eux n’en ont pas toujours conscience.
Il n’y a donc pas de vide juridique. Il n’existe pas de zone de non droit dont profiteraient cyniquement les blogueurs, lesquels sont en réalité la partie faible du système médiatique contemporain.
Ne nous leurrons pas : on veut s’attaquer aujourd’hui à l’anonymat des blogueurs pour mieux éventuellement remettre en cause demain la protection du secret des sources à laquelle les journalistes sont si attachés.
Les précédents juridiques existent : je rappellerai le célèbre contentieux qui avait opposé, dans les années 90, Jacques Calvet, l’ancien PDG de PSA au Canard Enchaîné représenté par son directeur Roger Fressoz.
Bloguer anonymement permet enfin d’aborder des sujets que l’on ne pourrait certainement pas traiter sous sa véritable identité.
Je songe à Maître Eolas par exemple. S’il devait être contraint à se dévoiler, peut-être n’aurait-il pas d’autres choix que de fermer son « Cabinet virtuel » et de réserver ses analyses à sa seule conscience ?
Et ce d’autant plus qu’en cas de dévoilement forcé, certains de ses Confrères ne manqueraient pas alors de lui reprocher de faire via son blog une publicité commerciale larvée.
Toute confraternité professionnelle s’apparente souvent (hélas…) à une haine vigilante.
Dans une société dite de « transparence », il est donc important, sinon primordial, de défendre la nécessité du secret et de l’anonymat.
La démocratie est aussi à ce prix.
(Billet publié initialement sur Le Blog de Gabale)
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