Comment Google a tué le web-journalisme
Dans notre monde moderne, si prompt à pointer du doigt les coupables de tout et de rien, il semble que certains poids lourd du monde économique soient hors d'atteinte. Rien de bien nouveau la dedans pourriez-vous penser. En fait, lorsque la puissance commerciale d'un géant en vient à tuer un métier, un décryptage s'impose.
Enquête sur un assassinat.
Commençons notre analyse par un exemple très concret. Il y a quelques jours paraissait aux Etats-Unis une "étude" dont les résultats semblaient indiquer que la cigarette électronique n'était pas un moyen efficace d'arrêter de fumer. Dès lors la presse numérique française s'en empare, et quasiment tous les sites vont publier leur article propre pour faire part des résultats de l'étude. Voici quelques exemples en vrac, mais il y en a bien d'autres sur la même étude, et parue le même jour :
- La cigarette électronique ne faciliterait pas le sevrage (La Depeche.fr)
- La e-cigarette serait inefficace pour arrêter de fumer (La Depeche.fr)
- La cigarette électronique n’est pas le remède pour arrêter de fumer (Les Echos.fr)
- Cigarette électronique : L'arrêt du tabac serait inefficace avec elle ! (Melty.fr)
- Une étude suggère l'inefficacité de l'e-cigarette pour arrêter de fumer (20 Minutes.fr)
Arrêtons la liste ici, inutile de continuer puisque la lecture de l'un ou l'autre de ces articles vous permettra de comprendre le problème. En effet, tous les articles annoncent, déjà par le titre, que la cigarette électronique ne serait pas un remède efficace contre le tabagisme. Hors, dans le dernier paragraphe de chacun de ses articles, vous apprenez que :
- En réalité, le sérieux statistiques de l'étude relève du ridicule (sur 1000 fumeurs suivis, seulement 88 étaient passé à la vapote). Les résultats ne sont donc en aucun cas généralisables. Rappelons qu'un sondage par exemple, doit reposer au moins sur 495 personnes pour assurer une marge d'erreur correcte (autour de 5%).
- De plus, les vapoteurs de l'étude ont exactement le même taux d'arrêt du tabac que le reste de l'échantillon de fumeur. Du coup dire que la cigarette électronique est inefficace est faux, puisqu'elle peut est peut être tout aussi efficace que nombreux substituts pharmaceutiques.
- Les directeurs de cette étude indiquent clairement une volonté d'action politique, "interdire les publicités pour les cigarettes électroniques en tant que substitut du tabac". On peut donc se douter que le biais idéologique était présent dans la formulation même de l'étude.
Tous les lecteurs conscients des problèmes suscités par ce genre d'article pourront se poser les bonnes questions. Qui a financé cette étude ? Quelles sont les publications des chercheurs en question ? Quelles étaient les modalités statistiques du suivi ? Le lecteur néophyte par contre, sera forcé de prendre les belles paroles de chacun de ces articles pour argent comptant.
En conclusion, on pourra donc affirmer que ces articles n'auraient jamais été publiés dans un journal écrit sérieux, dont les lecteurs auraient remis en cause l'absence totale d'analyse de la part de l'auteur. Dès lors, les dégâts sont là. Cette fausse étude, servant de toute évidence l'un ou l'autre des lobbys qui luttent contre la cigarette électronique, a été relayé par tous les médias numériques pendant deux jours, elle a inondé la "bulle" internet.
La question qu'il faut donc de poser est la suivante : pourquoi un tel acharnement à offrir de la publicité à une non-information aussi grossière ? Le coupable ici, est Google.
En effet, depuis que Google existe et exerce son monopole sur la navigation web, tous les sites qui vivent du nombre de visiteur quotidien qu'ils arrivent à drainer se doivent d'assurer une présence web sur toutes les requêtes en vogues. La démarche du journaliste est donc la suivante :
- Le rédacteur se renseigne sur le nombre de requêtes pour un certain mot clé. La cigarette électronique est un mot clé en vogue, qui représente beaucoup de recherche de la part des utilisateurs de Google.
- Conscient du nombre de visite sur le site que peut drainer un tel mot clé, le rédacteur va systématiquement, dès que l'occasion se présente, publier sur le sujet.
- Dès la parution de l'étude américaine, il se doit donc de publier un papier qui lui permettra de caser son mot clé, et donc d'améliorer son référencement, sa "visibilité" sur le web.
Tous les journaux en ligne tirent une part conséquente de leur revenu du trafic global qui circule sur leur site, notamment par le biais de la publicité. Ils adoptent donc tous la même démarche.
Ainsi, pour "plaire" à Google et attirer des visiteurs sur le mot clé "cigarette électronique", ils reprennent tous la même étude, rédige un titre aguicheur, et publient peu ou prou le même papier, qui n'offrent aucune analyse ni aucun recul sur la véracité des faits avancés. Voilà comment l'effet de masse pollue la toile, et offre à penser aux internautes qu'une vérité fondamentale sur un sujet précis vient d'être révélée.
Tant que Google privilégiera le volume de publication à la qualité de ces dernières, le journalisme numérique sera l'affaire de robot. Tant que ce sera le cas, l'information sur les journaux en ligne sera biaisée et de faible qualité. Nos médias français, toujours si prompts à décrier les grands groupes, pourraient donc s'intéresser un peu plus au géant Google, qui, indirectement, leur dicte une façon de travailler.
L'avenir nous dira s'ils sauront un jour affronter leur pire ennemi.
22 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON