DADVSI Code : l’arbre qui cache la forêt des traités OMPI en gestation
Puisque d’aucuns invoquent presque systématiquement les
engagements de la France au niveau international pour faire passer la pilule du
DADVSI Code, et qu’il vaut mieux nous réveiller avant d’être contraints
d’abdiquer d’autres libertés - en vertu des futurs engagements internationaux
que notre pays s’apprête à prendre, sans que nous ayons été véritablement
sensibilisés, éclairés ou consultés sur les enjeux qu’ils recouvrent -, autant
se préoccuper dès maintenant du prochain traité de l’OMPI (Organisation
mondiale de la propriété intellectuelle) déjà en gestation.
Il s’agit du traité des « casters » (broadcasteurs,
webcasteurs et cablocasteurs), qui vise à étendre les droits des diffuseurs aux
dépens des droits d’usage, ces derniers faisant décidément figure de dindons
de la farce chaque fois qu’une réforme des droits de propriété intellectuelle à
l’ère du numérique est envisagée au niveau mondial.
A plus d’un titre, ce traité en cours de négociation à
l’OMPI soulève les mêmes questions que le projet de loi DADVSI, qui sera voté
le 21 mars prochain. D’abord, parce qu’il concerne lui aussi les droits
d’auteur et les droits voisins, cette fois-ci en matière de radio et
télédiffusion numérique, mais également en matière de webcasting et de
simulcasting, si l’OMPI suit les propositions des Etats-Unis et de l’Union européenne
qui vont dans le sens d’un tel élargissement. Ensuite, parce qu’il est
également question, dans ces domaines, d’introduire une protection juridique
des mesures techniques de protection : en un mot comme en cent, de généraliser
les DRM sur les postes de radio et les magnétoscopes numériques, ainsi que dans
tous les logiciels multimédias.
Le rouleau compresseur des traités internationaux
Comme le fait remarquer Philippe Aigrain dans un article sur
le sujet publié sur le site Débatpublic.net, « l’expérience passée, notamment
celle du traité OMPI de 1996 sur les phonogrammes, montre que si de tels textes
ne sont pas arrêtés ou amendés pour le bien public au stade de la négociation à
l’OMPI, ils se transforment en rouleaux compresseurs dévastateurs, à travers
une séquence de transpositions européennes puis nationales, chacune pire que la
précédente ».
Dans une proposition faite en novembre dernier au SCCR
(Standing Committee on Copyright and Related Rights) de l’OMPI, le Brésil
rappelle que, dans sa déclaration de principe, le Sommet mondial de la société
de l’information a réaffirmé l’accès au savoir et à l’information comme
objectifs prioritaires de la communauté internationale, et constate que
certaines dispositions de ce nouveau traité vont à l’encontre de ces objectifs.
Il réclame notamment que soit supprimé son article 16, qui statue sur les
mesures techniques de protection. Cet article précise notamment que les pays
signataires « devront fournir les protections légales adéquates et des mesures
législatives efficaces contre le contournement des mesures techniques de
protection utilisées par les diffuseurs ». Un refrain bien connu, désormais,
pour ne pas dire une litote, dont il faut s’attendre qu’on nous la resserve à
toutes les sauces.
C’est d’ailleurs ce que font les Etats-Unis et l’Union
européenne, les premiers en cherchant à élargir les bénéficiaires de ce traité
aux webcasters. Derrière cette proposition, on retrouve notamment le puissant
lobby de la DiMA (Digital Media Association), qui regroupe des géants de la
nouvelle économie comme AOL, Microsoft, RealNetworks ou Yahoo. L’objectif est
bien sûr d’assurer la même protection aux webcasts qu’aux autres signaux
numériques émis sur le câble ou sur les ondes hertziennes, c’est-à-dire encore
une fois d’ouvrir la voie à une généralisation des DRM (mesures techniques de
protection) sur ce nouveau média comme sur les autres. L’Europe, quant à elle, se
soucie d’associer à ce blanc-seing les simulcasteurs (radios hertziennes qui
diffusent simultanément leurs émissions sur Internet).
Un domaine public qui se réduit comme une peau de chagrin
Un autre aspect inquiétant de ce traité, qui n’est
d’ailleurs pas du goût des industries du contenu, c’est qu’il accorde de
nouveaux droits aux diffuseurs sur leur signal, d’une durée de cinquante ans et
quel que soit son contenu, même s’il s’agit d’œuvres ou de matériaux sous copyright
diffusés sans autorisation. Le plus grave, c’est qu’en vertu du Traité de Rome
- dont la France est signataire, au contraire des Etats-Unis -, ces nouveaux
droits de propriété intellectuelle accordés aux diffuseurs, sans contrepartie
en matière de financement de la création, s’élargiront de fait aux émissions
constituées d’œuvres ou de matériaux puisés dans le domaine public, pour une
période de vingt ans que certains cherchent, à l’occasion de la négociation du
nouveau traité, à étendre à cinquante ans.
En clair, on assiste à une tentative, de la part d’un groupe
de puissants acteurs économiques privés, de s’arroger des droits de propriété
intellectuelle sur un patrimoine universel appartenant à tous. « C’est un
scandale », considère James Boyle, professeur de droit à la Duke Law Scholl,
membre du bureau des Creative Commons et co-fondateur du Centre d’études sur le
domaine public, dans une tribune au vitriol publiée par le Financial Times. Et
de conclure : « But at WIPO, this is business as usual [Mais à l’OMPI, ce sont
les affaires courantes]. »
Interpellés sur les enjeux de ce traité par une multitude d’ONG, de chercheurs universitaires et d’acteurs économiques, les négociateurs américains et européens ont refusé toute forme de consultation, probablement dans la crainte que plus les gens seront informés de son contenu, moins ils lui seront favorables.
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