Denis Robert debout, Philippe Val couché
Je suis universitaire, j’habite à Metz et Denis Robert est mon ami. Cela fait des années qu’avec d’autres proches on est « tricotés serrés ». On partage des moments de vie. On rigole, on boit des coups, on fait du sport, on va au stade, on s’intéresse à ce que les uns et les autres font, on s’écoute, et là on s’inquiète.
Ce n’est pas la descente en L2 du FC Metz qui nous ennuie plus que cela. On s’y était préparé depuis septembre. C’est plutôt de voir un homme dans la tourmente subir un acharnement dont on ne parvient toujours pas à expliquer la violence. Sur cela, inutile de s’appesantir. Vous lisez les journaux : procès, visites d’huissiers, intimidations, isolement, etc. Depuis près de huit ans, les coups arrivent de partout et, malgré tout, jamais il ne montre d’accablement. Une leçon pour ses confrères : « Ça va Denis ? ». A l’autre bout du fil : « J’ai connu des jours meilleurs, mais ne vous faites pas de soucis ». Si on s’en fait ! Pour lui d’abord, l’intégrité de l’engagement politique en France aussi, l’indépendance des journalistes enfin.
Ce qui arrive aujourd’hui à Denis Robert est le signe inquiétant d’une crise de la démocratie polluée par des collusions d’intérêt, où prétendre d’une totale liberté de penser se paie au prix cher. Lorsque ces coups viennent d’adversaires déclarés, il s’y prépare. C’est le combat en face-à-face, d’homme à homme. C’est comme ça. Il défend son travail, rassemble un matériel d’enquête que les médias d’opinion ont peine à relayer. Comment puis-je encore être crédible auprès de mes étudiants à qui je tente de démontrer qu’une information non traitée n’a aucune valeur, et à qui je conseille par principe la lecture du Monde pour acquérir une culture du sujet et une meilleure compréhension de la complexité du monde ? Il faut bien qu’une vérité se confronte à une autre. Bien que notre cercle amical tienne aussi par la critique de soi, on serait assez tenté d’adhérer à la sienne, tellement il a travaillé pour cela.
Mais, cette semaine, en découvrant l’éditorial de Philippe Val dans Charlie Hebdo, la nausée nous a submergés. On reste autant interdit devant tant de mauvaise foi, que surpris par la haine qui semble avoir guidé l’écriture de cette diatribe. Pourquoi ? Que veut signifier cette fine et productive plume à ses lecteurs ? A-t-il oublié l’héritage de Choron, Reiser, Gébé, Cavanna (Réveillez-vous !!!) ? Comment les Charb, Siné ont-ils réagi à l’égarement narcissique de leur patron ? Peut-être, écrit-il trop facilement et trop partout ? Sans doute, ne prend-il pas le temps de se relire. L’attaque est vraiment disproportionnée, un peu lâche pour tout dire, car donnée dans le dos, après le gong de l’arbitre. C’est d’autant plus révoltant, que quelques semaines auparavant, nous étions quelques-uns à rencontrer Richard Malka, le grand ami de Val, à l’occasion d’une signature dans une librairie de Metz.
Richard Malka est à la fois l’avocat de Clearstream et de Charlie Hebdo. Soit, c’est sa liberté, c’est son droit, mais ça peut se discuter. Au cours du débat, nous avions échangé fort courtoisement de la meilleure manière d’en finir et de permettre à Denis Robert de sortir de ce long tunnel de procédures. La réaction de Malka a été encourageante : « Je suis de votre avis. Tout le monde en a assez, moi, la banque, tout le monde ». Et Denis, alors… Son sourire, son teint hâlé, sa bonne mine laissaient à penser qu’on avait progressé, et qu’au final cet homme n’était pas si vindicatif. Tout cela s’était terminé autour d’un verre aimablement offert par le libraire. Sauf que « finir », il fallait le prendre au sens « d’achever ». Achever Denis Robert qui s’était désarmé peu de temps avant en annonçant son silence.
On l’engage « pour gagner » avait-il déclaré à l’assistance. Tant que Denis Robert bouge encore, le combat n’est donc pas terminé à ses yeux. À travers son édito, Philippe Val s’est donc révélé complice de cette attaque surprise. Qui l’eût cru ? Ceux qui le connaissent bien, paraît-il.
À bien le lire, on remarque qu’il a une propension à réécrire l’histoire au travers de lentilles déformantes. Celles que lui tend son conseiller le plus proche, son ami. Celles façonnées par ses conflits intérieurs. En privilégiant arbitrairement un scénario parmi d’autres, Philippe Val a donc échafaudé une intrigue, où se confondent sur un même plan, le mythe du protocole des Sages de Sion (il fallait oser !), les deux affaires Clearstream, sa vision de la justice et celle d’un homme, Denis Robert, dont on apprend qu’il connaît vaguement les écrits. Faut-il que ce leader d’opinion accorde si peu de valeurs aux mots, pour se laisser emporter par sa verve et sa manie ? Qu’il nous permette de lui conseiller de ne pas confondre palabre et parole, de ne pas penser tel L’Idiot de Dostoïevski, qu’il a le monopole du bien sur le mal. Sans doute, lui faudrait-il, comme Denis Robert l’a décidé, de résister à la parole et d’éviter de s’exprimer avec des mots empruntés à d’autres.
Nous en arrivons donc au cœur du problème posé par cet éditorial : la confusion entre la preuve et l’argument. Il plante le décor, convoque les personnages dans une sorte de court-circuit sémiotique où étant sur scène (l’art d’occuper le terrain médiatique tout en étant sarcastique, là et ailleurs), et metteur en scène (voilà ce que j’aimerais que soit l’affaire Clearstream au nom des forts liens qui me lient à mon ami). Sur ce point, Philippe Val est un peu out of focus, au sens où il essaie de faire tenir ensemble des éléments disparates. Faut-il rappeler qu’il n’est pas acteur de cette affaire opposant un homme seul à des puissances ? Il a choisi son camp, à la grande surprise de ses collaborateurs, mais aussi des lecteurs de Charlie, qui ne doivent plus savoir quoi penser de cette logique éditoriale. En plus d’être un intrigant, on apprend à cette occasion qu’il est un courtisan doué pour l’argumentation. Quelque part, une preuve est une preuve. Et Denis Robert a pu en présenter dans ses livres, et aux audiences des tribunaux. Mais un argument voit forcément se dresser devant lui un contre-argument. C’est le récit qu’en donne Philippe Val où le résultat prime sur la manière : la photographie d’un Denis Robert renonçant aujourd’hui occulte les raisons qui ont provoqué cette situation.
L’histoire de Denis Robert est celle que Paul Veyne définit comme un roman, un roman vrai avec de vrais coups reçus qui font mal. Philippe Val en a fait « une histoire partielle » fondée sur une intrigue. On aimerait connaître les raisons profondes qui l’ont poussé à écrire cet éditorial. Dans tous les cas, ce n’est ni élégant ni glorieux ni argumenté ni drôle ni pertinent. C’est, disons-le, journalistiquement très fâcheux.
Crédit photo : Intervention de Denis Robert aux premières Rencontres du Cinquième Pouvoir organisées par AgoraVox le 23 mars 2007 (Tendencies).
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