Des méfaits du Web 2.0
ll peut sembler paradoxal de vouloir pointer les méfaits du Web 2.0 et de tenir soi-même un blog ; pourtant, à mesure que je connais ce milieu, je sens poindre des dangers importants qui menacent l’information et la démocratie. Aujourd’hui l’heure est davantage à l’émerveillement devant l’émergence d’un nouveau type de média avec ses « cyber-journalistes » et ses « cyber-citoyens » capables de tout vérifier, de tout remettre en question et donc de briser les vérités officielles. Mais le monde du Web 2.0 n’est pas si idyllique, et trois dérives peuvent être mises en avant : la désinformation, la violence des propos et l’hypersurveillance.
La France du général de Gaulle avait l’ORTF comme source unique
d’information, les internautes d’aujourd’hui lui ont substitué
Wikipédia. Bien entendu l’argument est un peu court, car Internet permet
une grande variété de points de vue et de sources d’information, mais
comme sur chaque marché, on assiste à la constitution de regroupemements, d’oligopoles, voire de monopoles. Wikipédia n’est pas une encyclopédie
citoyenne, c’est surtout une collection de subjectivités. Nombreux sont
ceux qui ont compris l’intérêt de maîtriser ce qui se disait sur eux,
sur leurs domaines d’activité ou sur leurs adversaires. Il est si
facile de mettre de l’idéologie dans un discours qui se veut objectif.
Bien entendu, des systèmes de vérification et de contrôle existent,
mais ils sont tous basés sur la démocratie et donc sur l’avis de la
communauté, il n’existe pas d’institution, comme c’est le cas pour la
presse. Ainsi certaines informations fausses circulent, et se répandent
rapidement sur le Web, ce qui les rend crédibles. Autre
dysfonctionnement important : le Web 2.0 défend une information
subjective, ceux qui ne sont pas présents pour se défendre en sont pour
leur frais, ils laisseront sans réponse les attaques dont ils sont
l’objet. Un blogueur se rapproche d’un procureur, tandis qu’un
journaliste qui fait bien son métier doit plutôt s’inspirer d’un juge
d’instruction en menant son investigation à charge et à décharge, en
allant chercher l’opinion de ceux qui sont mis en cause. Comme dans la
démocratie participative, il existe donc un biais idéologique, ceux
qui passent leurs journées sur les forums ou les blogs politiques ne sont pas
représentatifs du reste de la population, ils sont plus impliqués dans
les débats du moment, et les néo-marxistes y sont sur-représentés. De
toute façon, il y a un problème, si l’on admet que les personnes
politisées ne sont plus représentatives (je ne le suis plus moi-même)
du reste de la population, pour le dire autrement, en reprenant les
mots du philosophe Alain, les gens qui ne sont ni de droite ni de
gauche (donc faiblement politisés) sont de droite, pourtant ils ont le
même poids démocratique que les autres.
Le deuxième risque du
Web 2.0 est très bien décrit par le philosophe Alain Finkielkraut, bien
qu’il maîtrise mal, selon ses propres termes, ces nouvelles
technologies. Il y a une violence permanente sur les blogs ou dans les
forums qui s’explique par l’anonymat des gens qui y écrivent, mais
également par l’absence du visage du destinataire. Comme nous l’apprend
Lévinas (trois philosophes en un article, ce n’est pas mal), quand je
rencontre autrui, je reste interdit devant son visage. Qui n’a jamais
prévu de dire tout le mal qu’il pensait d’une autre personne et qui, se
trouvant face à elle, a perdu tous ses moyens ? Cet interdit créé par
le visage est une des bases de la vie sociale et de la civilisation, la
communication virtuelle fait sauter cet interdit, ce qui peut libérer
un torrent de haine. Les concepteurs du site AgoraVox en sont eux-mêmes
conscients, puisque dans chaque mail qu’ils envoient à un rédacteur, il y
a la mention : "Parfois, sur certains sujets -sensibles-, les réactions
des lecteurs peuvent être très violentes et apparemment
disproportionnées. Essayez toujours de calmer le jeu en répondant de
manière factuelle et courtoise, afin d’éviter tout dérapage ou toute polémique
interminable." Ce garde-fou ne suffit évidemment pas.
Le dernier
point que je voudrais signaler et qui explique l’anonymat de ce blog
est l’hypersurveillance qui est à l’oeuvre sur Internet. La nouvelle
arme absolue pour surveiller les autres est de taper leur nom sur
Google pour avoir ainsi accès aux propos qu’ils ont tenus, aux actions
qu’ils ont menées ou aux commentaires dont ils sont l’objet. Il n’y a
plus de distinction entre privé et public ; dans la démocratie totale
prônée par certains, tout le monde est en droit de tout savoir. Les
plus exposés médiatiquement sont littéralement traqués par la
blogosphère, comme les hommes et femmes politiques qui voient surgir des
vidéos pirates ou des attaques personnelles. Loïc Le Meur, pape du Web
2.0, l’annonce d’ailleurs avec enthousiasme : les hommes politiques ne
pourront plus mentir, il y aura toujours un portable qui pourra
enregister une vidéo clandestine ou un blogueur caché qui pourra
retranscrire des propos off. Finie donc l’hypocrisie qui règne entre
les journalistes et les responsables politiques. Ces hymnes à la vertu,
ont les a déjà entendus lors de la Révolution française et plus
particulièrement sous la Terreur. Qui ne voit aujourd’hui
qu’Internet peut devenir l’outil par excellence du flicage, de
l’hypersurveillance, de la dénonciation et de la calomnie ? Ensuite, il
ne reste plus qu’à laisser agir le fameux adage : "Il n’y a pas de
fumée sans feu", et le tour est joué, la réputation de la personne
impliquée est définitivement salie.
Il faut d’urgence
réintroduire des institutions et des instances de régulation dans le
monde de liberté infinie qu’est Internet. On pourrait d’ailleurs
s’interroger sur le fait qu’autant d’anticapitalistes investissent un
moyen de communication et d’information aussi libéral, c’est le mariage
de la carpe et du lapin !
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