Jean-Luc Mélenchon face à l’arrogance des stars du journalisme
Dans cette note, je reviens sur une polémique qui a agité le monde médiatique pendant tout le mois d’octobre : la fameuse « affaire Mélenchon » — ou « affaire Pujadas », selon le point de vue —, déclenchée suite à la diffusion d’un extrait du nouveau film de Pierre Carles, intitulé "Fin de concession", sorti cette semaine dans les salles. Son point de départ ? Une courte vidéo où l’on voit Jean-Luc Mélenchon, président du Parti de Gauche, visionner et commenter une interview de deux minutes trente grâcieusement accordée à Xavier Mathieu, délégué syndical CGT de l’usine Continental de Clairoix, par David Pujadas, présentateur vedette du 20 heures de France 2, dans son J.T. du 21 avril 2009. Je ne vais pas trop m’attarder sur le contenu de ce grand moment de journalisme, car d’autres l’ont déjà décortiqué avec beaucoup de pertinence... J’en dis toutefois quelques mots, avant de me pencher sur la polémique proprement dite, et surtout sur la façon l’a relayée une majorité de journalistes.
Une interview proprement scandaleuse
Le 21 avril 2009, dans un accès de colère, les ouvriers licenciés par Continental s’en prennent aux bureaux de la sous-préfecture de Compiègne, où ils commettent des dégradations matérielles. David Pujadas, soucieux de comprendre les motifs de cet acte désespéré, choisit alors de donner la parole à Xavier Mathieu, dès l’ouverture de son journal télévisé. Il lui laisse ainsi la possibilité de s’expliquer, lui posant des questions cruciales, destinées à éclairer au mieux les téléspectateurs : « Bonsoir Xavier Mathieu, vous êtes le délégué CGT de Continental à Clairoix. On comprend bien sûr votre désarroi mais est-ce que ça ne va pas trop loin ? Est-ce que vous regrettez ces violences ? ». Peu satisfait, visiblement, de la réponse donnée par le leader syndical, qui affirme ne rien regretter, il réitère, mais sous la forme d’une semi-affirmation (exempte de tout mépris) : « Pour vous la fin justifie les moyens ? ». Puis, n’ayant toujours pas obtenu les regrets et aveux tant attendus, il se décide à en remettre une troisième couche : « Xavier Mathieu, on entend votre colère, mais est-ce que vous lancez un appel au calme ce soir ? ». C’est sur la réponse (toujours aussi peu satisfaisante) à cette ultime tentative que s’achève l’interview. Devant un tel spectacle, on est amené à se poser la question suivante : s’agit-il d’une interview, ou bien d’un interrogatoire ? En effet, chacune des interventions du présentateur de France 2 n’a d’autre but que de sommer Xavier Mathieu de culpabiliser, d’exprimer des remords, bref de se désolidariser de ses camarades de lutte...
Bien avant que le film de Pierre Carles ne la remette sur le devant de la scène médiatique, cette interview avait suscité de vives critiques, à l’image de celles d’Henri Maler et Mathias Reymond, publiées le 4 mai 2009 sur le site d’Acrimed. Dans un article consacré au traitement télévisuelo-journalistique des « violences » des salariés, ils donnaient à lire une transcription de l’interview, accompagnée de ces commentaires, acerbes mais justifiés : « David Pujadas, plutôt que d’interroger les salariés sur les motifs de leur colère, les somme de s’expliquer sur leur "violence". (...) Un regret ? Que David Pujadas ne demande pas plus souvent au patronat si la fin justifie les moyens, et s’il déplore sa violence ». Revenant sur le sujet suite au déclenchement de la polémique, la rédaction d’Arrêt sur images arrive à ce constat : « A plusieurs reprises, dans cette interview, Pujadas laisse transparaître dans ses questions sa condamnation implicite de l’action des ouvriers » (09/10/10). Il n’est donc pas très étonnant de voir Jean-Luc Mélenchon s’emporter contre David Pujadas lorsque Pierre Carles et son équipe lui montrent les images de cette interview :
Suite à de nombreuses réactions de journalistes outrés, Nicolas Poincaré a jugé bon d’inviter les deux protagonistes de la « polémique » — créée de toutes pièces par les médias — à s’exprimer dans son émission du 11 octobre sur France Info, donnant d’abord la parole à Jean-Luc Mélenchon, puis à David Pujadas. Après les explications du premier, qui explique et déclare assumer ses propos, le journaliste vedette de France 2 vient « répondre à ces attaques », pour alimenter ce que Nicolas Poincaré qualifie de « bras de fer » entre l’homme politique et le journaliste, histoire de rendre les choses un peu plus juteuses. Les explications de Pujadas, pour qui il y a de la « confusion » et de la « provocation » chez Mélenchon, méritent d’être reproduites en entier :
« Si vous voulez c’est là qu’il est quand même un peu à côté de la plaque, Jean-Luc Mélenchon, il a pas dû bien voir ou il a pas dû bien comprendre, parce que ce jour-là on fait huit minutes sur le social (...) et on choisit, ce qui est une chose assez rare — il y a quand même peu de journaux qui l’ont fait — de recevoir en direct, de donner une exposition donc de deux minutes trente, en ouverture du journal, non pas à Bernard Thibault ou à François Chérèque, non pas au patron d’une confédération, mais à Xavier Mathieu, qui est donc le leader syndical des Continental. Il a deux minutes trente en direct ! Ce jour-là, on n’a pas donné deux minutes trente au sous-préfet dont le bureau... dont le mobilier avait été en partie dévastés, on n’a pas donné deux minutes trente au patron de l’usine, on l’a donné à Xavier Mathieu (...), et il a eu beaucoup de temps pour s’exprimer ce soir. Alors les questions, c’est des questions de base, c’est école de journalisme numéro un (...). Il n’y avait évidemment aucune agressivité, et encore une fois il a bénéficié d’une exposition assez exceptionnelle (...). Donc je pense qu’il y a un contresens même de Jean-Luc Mélenchon, qui est un peu étrange ». Et lorsque Nicolas Poincaré lui demande s’il est allé revoir le journal en question, l’intéressé s’empresse de répondre : « Bien sûr, bien sûr, j’ai revu le journal du coup ce week-end, et honnêtement enfin c’est un journal, alors, pour le coup très social ».
Un journal très social, effectivement... Car à défaut de permettre aux téléspectateurs de saisir les motifs du désespoir des ouvriers licenciés par Continental, il aura tout de même permis à Xavier Mathieu d’obtenir son « portrait en dernière page de Libé » ! Tout de même, excusez du peu ! Sur la pitoyable défense du journaliste de France 2, qui renonce visiblement à toute remise en question, j’incite à consulter la "Supplique pour être interrogé par David Pujadas" rédigée par Henri Maler d’Acrimed, qui désamorce avec ironie chacun des arguments avancés par le journaliste : « Merci, Monsieur Pujadas. Si nous ne le savions déjà, nous sommes désormais informés des « questions de base » que l’on apprend à formuler dans les écoles de journalisme ».
Et le fond dans tout ça ?
Mais ce n’est pas tout, car David Pujadas a plus d’un tour dans son sac ! Selon lui — et il est loin d’être le seul à avancer cet argument pour couper court à toute discussion sur le fond — « on voit bien que Jean-Luc Mélenchon se fait un peu de pub aussi sur notre dos ». Mais qui a fait tout un foin autour de l’extrait du film de Pierre Carles ? Est-ce Mélenchon, ou bien les journalistes qui se sont mis à pousser des grands cris d’effarouchement, après en avoir diffusé des extraits savamment tronqués ? Est-ce Mélenchon, ou bien la direction de France Télévisions, qui s’est même fendue d’un communiqué pour défendre son présentateur vedette ? [Elle ne prend visiblement pas le soin de faire pour tous ses journalistes, car le syndicat SNJ-CGT l’a aussitôt accusée de faire preuve d’une indignation « à géométries variables »...] Il serait temps que cessent de se multiplier, chez les médiacrates, les affirmations un peu faciles du genre « Mélenchon ne sait plus quoi faire pour se rendre intéressant », car dans les faits ce sont eux qui déclenchent les « buzz » et nourrissent les « polémiques », ce sont eux qui ont décrété que « pour taper sur Jean-Luc Mélenchon, tous les moyens sont bons » (et c’est un journaliste de Marianne qui le dit !), ce sont eux qui choisissent de n’évoquer que les petites phrases — en les dénaturant totalement — au détriment des idées (et c’est un autre journaliste de Marianne qui le dit !). Ce qui importe dans l’extrait du film de Pierre Carles, ce ne sont pas les mots « salaud » et « laquais » prononcés par Mélenchon, car il s’agit là d’une réaction tout à fait normale de la part d’un téléspectateur qui, visionnant cette interview, comprend ce qui se joue alors sur le plateau télé : Pujadas, du haut de son piédestal médiatique, somme l’ouvrier Xavier Mathieu de s’excuser pour les violences commises. Ce qui aurait mérité d’être davantage médiatisé, c’est l’analyse de ce mécanisme, développée dans la suite de la vidéo. Est-ce le rôle d’un présentateur du journal télévisé que de se comporter en procureur ? Ce type de comportement est-il admissible sur une chaîne publique ? Pas un journaliste n’a profité de l’opportunité que représentait ce « buzz » pour soulever l’une ou l’autre de ces questions. Et pour cause : admettre que l’on puisse critiquer impunément Pujadas, c’est ouvrir la porte à d’autres critiques... et peut-être même des critiques concernant son propre travail !
En fait, tous ces procédés visent à nier le fait qu’il existe un réel problème dans la façon dont les médias dominants sélectionnent et présentent les informations... Et un problème de fond, car, n’en déplaise à Guy Carlier, ce n’est pas la durée de l’interview qui pose problème, mais l’angle d’attaque choisi par David Pujadas pour la mener, les intentions du journaliste. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé par la suite Xavier Mathieu, en allant jusqu’à reprendre à son compte les mots de Mélenchon. Et pour en convaincre définitivement le brillant chroniqueur d’Europe 1, quoi de mieux qu’une petite citation de notre David Pujadas national, interviewant Bernard Thibault de la CGT au soir d’une journée de manifestation plutôt réussie ? « Avec cette culture du blocage, ne craignez-vous pas d’être la risée de l’Europe ? ». Non, décidément, il faudrait être diablement mal intentionné pour voir dans cette question la moindre teneur idéologique ! Avouons-le : c’était véritablement la première des questions qui s’imposait ! Le reste après tout... Eh bien j’en profite au passage pour signaler à M. Pujadas qu’un chercheur américain y a répondu dans le journal britannique "The Guardian", bien que cela n’ait pas été jugé digne d’être mentionné dans le J.T. de France 2 : « Les Français se battent pour l’avenir de l’Europe — et c’est un exemple ». J’emprunte la conclusion de ce paragraphe à Alexis Corbière, conseiller de Paris, et membre du Bureau national du Parti de Gauche : « Et vous, M. Pujadas, avec une telle question, ne craignez vous pas d’être la risée de votre profession ? ». Malheureusement, la réponse est non...
Contexte, où es-tu ?
Comme je le disais, ce que les médiacrates ont mis en avant, c’est la réaction du téléspectateur Mélenchon, et pas l’analyse politique qui lui succède, évidemment bien moins croustillante, bien moins vendeuse que les fameuses insultes. Heureusement pour nous, de courageux journalistes veillent au grain, prêts à intervenir sur moults plateaux télévisés, pour que triomphent toujours à la fin la morale et la vertu : de tels écarts de langage ne sauraient rester impunis ! Cette fois, c’est Canal+ qui s’est dévouée pour organiser le tribunal médiatique de la bienséance, et flinguer Mélenchon en bonne et dû forme... Et on peut dire qu’ils ont mis le paquet ! Sur le plateau du "Grand Journal" — vous savez, cette émission totalement dépolitisée de la quatrième chaîne, qui se donne des airs impertinents... mais n’a pas son pareil pour lécher les bottes des puissants — Michel Denisot s’est offert le luxe d’accueillir, en plus de son équipe de choc, trois des plus grandes stars de l’information : Arlette Chabot pour France 2, Laurence Ferrari pour TF1, et Anne-Sophie Lapix pour Canal+. La crème de la crème, que du bon ! Alors que leurs confrères s’étaient déjà donné un mal fou pour sortir les propos de Mélenchon de leur contexte, le "Grand Journal" les a battus à plate couture.
En plus de zapper totalement l’interview de Xavier Mathieu, donc les questions scandaleuses de David Pujadas, les extraits diffusés par l’équipe de Denisot font l’impasse totale sur le contexte : le téléspectateur n’a droit à aucun aperçu des images commentées par Mélenchon, on ne lui donne aucun élément permettant de comprendre sa réaction... Les propos tirés du film de Pierre Carles se limitent à la question de Pujadas : « Pour vous la fin justifie les moyens ? », immédiatement suivie des commentaires — eux aussi tronqués — de Jean-Luc Mélenchon : « Salaud va... (...) Larbin... Arrête, ça me dégoûte ». Le téléspectateur du « fortin du pouvoir de l’audiovisuel » ne sait ni à qui s’adresse la question de Pujadas, ni dans quel cadre s’insérait l’interview. Il ne faut pas non plus compter sur la fine équipe du Grand Journal pour témoigner de la qualité des questions posées par leur « confrère » de France 2, dont une transcription est donnée plus haut.
Cette photo des trois stars est tirée du blog de Michel Soudais.
L’extrait vidéo a aussitôt été suivi d’une pluie de réflexions frisant l’injure. Le comportement de Jean-Luc Mélenchon, totalement gratuit, serait « absolument navrant, consternant » aux yeux d’Arlette Chabot, brandissant de façon théâtrale la dédicace qui lui a été adressée — non sans un certain humour — par le président du Parti de Gauche :
Il est écrit : « ça vous concerne évidemment ! » - Source : ibidem.
Laurence Ferrari prend ensuite le relais, en insinuant que Jean-Luc Mélenchon se contente d’insultes parce qu’il n’a ni idées ni programme : « Encore une fois, où sont les arguments politiques et quels sont les programmes ? Moi je dis les téléspectateurs sont pas dupes, et quand il faudra juger, ça ne sera pas sur des insultes, ça sera sur des programmes et des idées ». J’ai vu l’émission, mais je ne m’en rappelle plus en détail, et elle a disparu depuis dans le cimetière de la V.O.D. canalplussienne, où elle mérite d’ailleurs de rester jusqu’à la fin des temps. Je ne suis donc en mesure de commenter précisément que les quelques extraits préservés par Arrêt sur images (cf. le lien ci-dessous), mais tout le reste était du même tonneau. Si l’on cherche des traces de cette mémorable émission, où trois stars des médias et la bande à Denisot ont tiré à boulets rouges sur Mélenchon pendant quinze bonnes minutes... eh bien on ne trouve rien du tout : visiblement, aucun journaliste n’a été indigné, ni par son procédé, ni par son contenu. Heureusement que Sébastien Rochat d’Arrêt sur images est là pour relever le niveau, puisqu’il a publié un article intitulé "Denisot organise le procès de Montebourg et Mélenchon", avec le sous-titre "à coup de pièces tronquées", dont voici un petit extrait : « Ce vendredi 15 octobre, les trois invitées n’étaient pas venues par esprit de corporatisme, vraiment pas, mais simplement pour défendre la veuve et l’orphelin (la première chaîne et le présentateur du 20 heures de France 2) face à des voyous multirécidivistes de la provocation sans fondement. (...) Pourquoi Montebourg a-t-il traité TF1 de chaîne délinquante ? Quelle mouche a piqué Mélenchon pour qu’il s’en prenne à Pujadas ? Les téléspectateurs de Canal+ n’en sauront rien. Le Grand Journal de Canal+ s’est d’ailleurs fait une spécialité de ces procès d’absents, avec pièces d’instruction tronquées » (sont alors cités les exemples récents de Didier Porte et Ségolène Royal). En complément de cet article, il est également possible de lire un compte-rendu de l’émission sur le blog de Jean-Philippe Veytizoux, hébergé par Mediapart, ainsi que cette récente tribune de Daniel Schneiderman, publiée dans "Libération".
La réplique de Mélenchon ne s’est pas faite attendre, puisqu’il a répondu d’assez savoureuse façon aux invectives sur son blog : « Les quarante secondes à propos de Pujadas déchainent une hystérie pitoyable des gros bonnets des médias. C’est à peine croyable. En même temps, à la base, techniciens, cadreurs, pigistes, cdd, intermittents du spectacle, maquilleuses, personnel de sécurité, administratifs, en nombre croissant expriment leur sympathie et renseignent nos militants. J’avais dit que nous ferons la révolution citoyenne dans les médias. J’estime que nous avons commencé à en réunir une condition de base : faire craquer la banquise de la résignation des petits, augmenter leur confiance en eux et stimuler leur détestation des chefs arrogants et méprisants qui les dominent et les humilient. (...) Le pire c’était cette perruche de Laurence Ferrari pérorant que je n’ai "ni idée, ni programme" et donc que je voulais juste qu’on parle de moi. Mais c’est elle qui en parlait ! Et qui aurait osé lui dire, sur ce plateau de fruits de mer, que, précisément, le livre que je viens de publier en est un, à sa façon, et que de toutes façons j’en ai déjà écrit dix autres, des livres, et quelques milliers de pages de blog ! On me dira d’accord mais il n’y avait aucune page à colorier dedans. Je le reconnais. Et ce n’est pas écrit en corps 92 comme sur un prompteur. Tout s’explique ! ». Mais bien entendu, de tout ceci — comme de tout ce qu’a pu dire et écrire Mélenchon à propos des médias — les journalistes ne retiennent que ce qui les arrange... C’est-à-dire qu’ils évacuent le fond, pour ne garder que le croustillant ! C’est pratique, ça évite tout risque de remise en question !
Renaud Revel, combien de divisions ?
Puisqu’il est question de croustillant, il m’est impossible de passer sous silence l’infâme billet que Renaud Revel, rédacteur en chef de l’Express, a posté sur son blog le 11 octobre, sous le titre (un tantinet provocateur) "Jean-Luc qui ?". En voici quelques morceaux choisis. Selon lui, Jean-Luc Mélenchon « a fait de la provocation un outil de marketing ». Ce « gugus » est « un homme politique virtuel », un « pur produit du petit écran », il est « celui que le médias (sic) devraient tout simplement boycotter ». car « cet huluberlu (sic), qui ne représente, peu ou prou, que lui-même, est partout », prêt à « arpenter les plateaux de télés et les studios de radios, au premier claquement de doigt, sans discontinuer : pourfendeur d’une télévision vendue aux puissances de l’argent, ayatollah patenté aux sentences définitives et sans nuances, executeur de journalistes, une profession dont il a fait une cible et qu’il abhorre ». Mais « quelle audience aurait-il sans ses numéros d’aboyeur que les médias sont bien stupides d’accueillir en tendant la joue ? ». Et puis « que serait (...) Mélenchon sans la télé ? ». Eh bien « rien : un obscur militant venu du PS représentant d’un courant politique confidentiel, plongé dans la pénombre, sans audience ni assise électorale ». La conclusion de ce pamphlet mérite d’être citée en entier :
« Je ne vois pas pourquoi l’on s’obstine à convier un homme politique, dont le discours se résume à un chapelet d’oukases et d’invectives. Mélenchon, qui n‘existe que par la grâce de ceux qui ont la bêtise de l’inviter, est tout ce qui rend la politique détestable : un nauséeux mélange de poujadisme rampant et de démagogie poisseuse. Les journalistes, qui ne cessent de se plaindre de l’appauvrissement du discours politique à la télévision et de la difficulté qu’ils ont à monter des débats de bonne tenue, s’honoreraient à faire un sérieux tri ».
Heureusement qu’il se trouve encore dans notre pays de vaillants journalistes comme M. Revel, toujours prêts à prendre la plume dès qu’il s’agit de relever le niveau du débat. Sa colère est juste, il y en a marre de toutes ces invectives qui polluent l’espace médiatique ! Pour commencer à faire le ménage, je suggère que l’on cesse de se focaliser sur les dites invectives au détriment des idées, notamment dans les émissions (et pourquoi pas les blogs) qui se prétendent politiques, puis que l’on arrête de publier des textes qui les condamnent mais en sont remplis. Car franchement, si l’on retire les « oukases » et les « invectives » du texte de M. Revel, qu’en reste-t-il ? En dehors d’un appel au boycott pur et simple de Mélenchon, pas grand chose... Je me propose d’examiner un à un les arguments invoqués par le rédacteur en chef de l’Express, pour en mesurer la pertinence et la validité. Premièrement, c’est aux journalistes qu’il critique tant que Mélenchon doit son exposition médiatique et donc sa notoriété. Faut-il déduire de cette leçon du professeur Revel que tout homme politique qui se respecte devrait se prosterner face aux médias, pour leur témoigner son immense gratitude ? Faut-il également en conclure que la popularité de Mélenchon ne repose que sur le fait que sa tronche passe régulièrement à la télévision, sans que les idées qu’il défend n’aient aucun rôle à jouer dans tout cela ? Décidément, M. Revel, vous prenez vraiment les gens pour des abrutis... Et votre deuxième argument ne fait que confirmer cette impression, puisque selon vous Jean-Luc Mélenchon « ne représente, peu ou prou, que lui-même ». Quel mépris ! Quelle arrogance ! Quelle suffisance ! Figurez-vous, M. Revel, que Jean-Luc Mélenchon a été élu député européen en juin 2009, avec 8,16% des suffrages exprimés dans sa circonscription, soit 214.079 voix, qu’il se trouve à la tête d’un parti politique qui compte plus de 7.000 militants, qu’il est l’un des principaux initiateurs du Front de Gauche, lequel a obtenu entre 6 et 7% des voix lors des dernières élections, et qu’il représente un énorme espoir pour nombre de nos concitoyens qui n’ont jamais rien attendu — ou n’attendent plus rien — du Parti dit « socialiste ».
Et vous M. Revel ? D’où tirez vous votre légitimité à vous exprimer, qui semble bien plus grande que celle de Mélenchon ? Puisque vous proposez des méthodes dignes de staliniens pour en finir avec lui, j’ose poser cette question provocatrice : « Renaud Revel, combien de divisions ? » Qui êtes-vous, ou plutôt pour qui vous prenez-vous, pour vous ériger de la sorte en donneur de leçon ? Vous illustrez parfaitement le problème posé par ces médiacrates qui se croient tout-puissants, qui se sentent investis de la mission de définir la norme, alors qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes et n’ont de comptes à rendre à personne. Mais ce qui est amusant avec vous, c’est que vous ne faites décidément pas le poids pour arriver à la hauteur de vos ambitions. La preuve, c’est que — contrairement à l’obscur Mélenchon qui doit tout aux médias et ne représente de toute façon que lui-même — personne ne sait qui vous êtes, ce dont témoignent les réactions de bon nombre d’internautes (souvent outrés par vos propos) sur votre blog : la moitié d’entre eux vous confond avec un autre Revel, celui qui se prénomme Eric et travaille pour la chaîne LCI. Même Acrimed est tombé dans le panneau : j’ai dû les avertir pour que le tir soit rectifié. Tout ceci prête plutôt à sourire quand on relit le titre du billet assassin du rédacteur en chef de l’Express... Renaud qui déjà ?
Quand Noël Mamère s’emmêle...
Avant de conclure ce billet, je tiens à signaler la lamentable réaction de Noël Mamère, qui m’a franchement bien déçu sur ce coup. En voici des extraits, rapportés par le site "Télé 2 Semaines" : « C’est trop facile de s’en prendre à un journaliste, de s’inventer des boucs émissaires. (...) Cela participe d’une politique qui rejette les élites et transforme la presse en responsable de tous les problèmes. (...) L’invective n’est pas une politique. Jean-Luc Mélenchon s’enfonce ainsi dans la spirale de la démagogie et du popularisme ». Noël Mamère donne tout bonnement l’impression de ne pas savoir ni de qui il parle — Mélenchon, ancien sénateur, député européen, auteur d’une dizaine de livres, fustiger les élites ? c’est une blague ? — ni même de quoi il est question... Du moins j’ose l’espérer ! Car comment peut-on se prétendre de gauche et ne pas voir le problème posé par la façon dont David Pujadas a interviewé Xavier Mathieu dans son journal télévisé ?
Oui, la presse n’est pas « responsable de tous les problèmes », c’est une évidence que de le dire. En revanche, il est clair que certains journalistes ne se contentent pas d’informer les citoyens en toute objectivité — la sacro-sainte mission dont ils aiment tant se prétendre investis, lorsqu’ils cherchent à mettre en valeur leur profession — et orientent considérablement le traitement de l’information, que ce soit par leurs questions ou leurs choix éditoriaux. On est à même de se poser des question sur la légitimité de ces véritables médiacrates, qui n’ont bien souvent aucun contradicteurs face à eux, et n’ont de comptes à rendre à personne : ni à leurs auditeurs, ni à leurs téléspectateurs, ni à leurs lecteurs. Quand un journaliste fait de la propagande, que ce soit dans un sens ou dans un autre, quand ses convictions influencent notoirement la façon dont il présente une information, il est tout à fait salutaire de le signaler et de le dénoncer. Il ne s’agit pas de « s’inventer des boucs émissaires », mais de regarder les choses en face et de pointer du doigt de véritables dysfonctionnements du système médiatique.
Les propos tenus par Alain m’inquiètent...
Bien que personne ne s’en soit offusqué, Alain Minc a sous-entendu que David Pujadas était une lopette, devant tout plein de caméras, sur le plateau de l’émission "Salut les Terriens". En effet, suite à une intervention musclée de Xavier Mathieu, il s’est exclamé : « Je suis capable d’élever la voix autant que vous. Si vous croyez que vous m’impressionnez, je suis pas Pujadas hein... » (voir cet extrait vidéo, aux alentours de 5’30). Ayant été très choqué par cette attaque en règle, vraisemblablement homophobe — et peut-être même antisémite : il faudrait demander une expertise à Philippe Val ou Bruno Roger-Petit — de l’un des fleurons du journalisme français, je me tourne vers la direction de France Télévisions, dans l’espoir qu’elle condamne immédiatement et sans réserve les propos tenus par le conseiller de Nicolas Sarkozy. Bon, trêve d’humour, il est temps de revenir à des considérations un peu plus sérieuses...
Le journalisme est malade, oui mais de quoi ? Le diagnostic du bon docteur Pujadas...
Je laisse le mot de la fin à David Pujadas, via son intervention dans l’abject documentaire "Huit journalistes en colère", diffusé sur Arte le 9 février 2010. Je l’avais vu dès sa première diffusion et son contenu m’avait fait bouillir de rage, du début à la fin :
Oh et puis non ! Venant tout juste d’écouter l’émission "Là bas si j’y suis" du 26 octobre 2010, dans laquelle Daniel Mermet recevait le président du Parti de Gauche, je change d’avis. Finalement, le dernier mot, je le laisse à Jean-Luc Mélenchon, qui pose un tout autre diagnostic :
« Une démocratie — et qui plus est une République surtout — ne peut pas bien fonctionner si ses deux piliers fondamentaux ne sont pas solides. Le premier, c’est l’éducation, qui forme à l’esprit critique, à la connaissance qui permet d’être en phase avec le monde dans lequel on vit, et donc de l’apprécier, de le connaître et de dire quel est l’intérêt général. Et le deuxième c’est l’appareil médiatique, parce que c’est lui qui donne l’information, qui illustre le réel, le monte, le met en scène, et donc permet normalement au peuple souverain de se tenir informé régulièrement pour donner son avis. Donc un appareil d’information qui est aussi bestialement partisan qu’il l’est aujourd’hui dans ses élites pose un problème gigantesque à la démocratie. C’est pas les points de vue, je veux dire qu’il y ait des libéraux, c’est normal, qu’il y ait des gens de centre-droit, bien sûr. Mais ce qui ne va pas c’est qu’ils soient tous de centre-droit, et tous libéraux, et tous en train de répéter le catéchisme du matin au soir, à quelques exceptions héroïques qui le payent chèrement ».
Liens à consulter :
- "Jean-Luc Mélenchon et les vaches sacrées du journalisme" (Acrimed - 26/10/10).
- "Supplique pour être interrogé par David Pujadas" (Acrimed - 14/10/10).
- "Des journaux télévisés face aux « violences » des salariés" (Acrimed - 04/05/09).
- "Denisot organise le procès de Montebourg et Mélenchon..." (Arrêt sur images - 18/10/10).
- "Xavier Mathieu : Mélenchon a parfaitement résumé ma pensée" (JDD - 11/10/10).
- "Mélenchon casse la baraque, mais il réfléchit aussi" (Marianne2.fr - 13/10/10).
- "Mélenchon peut dire merci à ses meilleurs ennemis" (Marianne2.fr - 26/10/10).
Vous pouvez retrouver cet article et d’autres sur mon blog personnel : http://leblogdumexicain.over-blog.com/
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