Jusqu’où doit aller la liberté de la presse ?
La publication par une revue scandinave de caricatures du fondateur de l’Islam contribue à consacrer l’unité du monde musulman et à susciter de nouvelles haines orientales à l’égard de l’Occident. Cet évènement met en cause le comportement des médias dans le monde. « Jusqu’où trop loin » peut aller la liberté de la presse ? Y a-t-il dans ce domaine des droits et des devoirs ?
J’avais lu également, avec intérêt, dans la rubrique
"média" de notre agence citoyenne, un commentaire de Judith Ambert
qui, évoquant la perte de prestige, selon elle, du journalisme, citait le
rapport de Jean Marie Charon, en juillet 1999, sur la déontologie de
l’information. Selon ce rapport, les reproches envers les journalistes seraient
multiples : « l’atteinte à la vie privée et à la présomption d’innocence, la
multiplicité des inexactitudes, l’exposition du public à la violence, la
recherche du spectaculaire, l’irresponsabilité, et le refus de discuter. Ces
reproches mettent en évidence le manque de crédibilité des médias
».
Que nous ne soyons pas populaires auprès de tous nos
lecteurs, que l’opinion se méfie de nous, tout en enviant la liberté dont nous
prétendons jouir, qu’on nous vouent aujourd’hui aux gémonies pour crimes
sacrilèges, il n’en demeure pas moins que la « rigueur » devra demeurer la
règle fondamentale de notre métier, en dépit de l’acrimonie et de la
férocité des jugements et des appels à la mort lancés dans les rues d’Orient,
semblables à ceux de l’ Inquisition chrétienne, des disciples de Torquemada
qui brûlaient indistinctement « suppôts du démon » et leurs livres, au cours de
ce qu’ils appelaient « auto da fe », « actes de foi », en psalmodiant la toute-puissance du Très-Haut. Preuve supplémentaire de la lenteur avec laquelle
évolue l’esprit humain. Ma spécialité d’agencier international m’avait incité à
la rigueur de ma « production » et à l’obligation d’inspirer confiance. Ce fut
ma préoccupation dominante pendant tout le temps où j’ai été membre de cette
agence, et chef de ses bureaux à l’étranger. Ce fut, et c’est encore, la règle
absolue de quelque deux milliers de confrères qui participent en son sein à
cette mission quotidienne. Ces règles sont simples. En plaisantant, nous disons
même parfois qu’elles sont monacales. Comme c’est le cas pour beaucoup d’autres
journalistes ou reporters, nos articles ou dépêches sont rarement signés d’un
nom entier. Trois initiales suffisent à nous faire reconnaître par nos pairs, qui nous utilisent. Ainsi les agenciers, en particulier, travaillent, écrivent
dans l’anonymat, lequel est rompu seulement lorsque les médias qui sont les clients des
grandes agences de presse internationales l’exigent, pour donner plus « de
présence » à la copie qu’ils vont publier, ou pour donner l’impression que leurs
organes locaux sont assez puissants pour entretenir des « spéciaux » à
l’étranger. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas à être animés par le désir de
plaire et de faire du "racolage" parmi les centaines de millions de
lecteurs potentiels qu’une agence de presse peut avoir. Ce serait absurde. Bien
que nous soyons "encartés", en application d’une loi de 1947, nous ne
sommes pas des "gourgandines", nous ne devrions pas nous comporter comme telles.
Notre seul devoir est d’être au service de l’information,
c’est-à-dire des faits et évènements de toutes natures qui se produisent, à tous
moments, dans tous les pays où l’on se trouve en poste, en qualité d’envoyés
spéciaux ou de correspondants de guerre. Ces obligations sont sans équivoque :
Signaler l’évènement, en être le témoin, le décrire,
l’expliquer et le mettre en situation avec un strict souci d’honnêteté,
d’objectivité, d’exactitude et de rapidité. En fait, répondre aux questions qui
forment la colonne vertébrale de notre métier :
Qui, quoi, où, pourquoi, comment ?
Le commentaire n’est pas du ressort d’un reporter lambda
mais d’un éditorialiste ou d’un rédacteur en chef, militant. Le militantisme
n’est pas l’objectif de notre métier, sauf quand il s’agit de collaborer -
volontairement - à des organes représentatifs d’une politique, d’un parti,
d’une philosophie ou d’une religion.
Le cas est plus clair pour les agences de presse qui sont en
quelque sorte des fournisseurs grossistes d’une information brute à transmettre
en permanence à tous les médias qui sont leurs clients.
Dans tous les cas - le journaliste n’est pas, et ne doit pas
être, un accusateur, ni un policier, ni un juge, ni un pasteur ou un prêtre, et
certainement pas frère prêcheur. Seulement un témoin de son temps, et de
l’histoire immédiate du monde. Il doit s’inspirer de l’art de l’entomologiste
maniant sa loupe avec froideur, avec le sang-froid d’un homme de science.
Il faut exercer cet art avec clarté, précision, exactitude,
en étant à tout moment disponible, et sans passion, dans le respect d’autrui et
de ses convictions métaphysiques.
Ces règles devraient s’appliquer - dans toutes les langues -
aussi bien avec Gutenberg que sans lui. Elles doivent s’imposer aussi bien à
l’audiovisuel qu’à la presse écrite quotidienne ou périodique, et naturellement,
et avec encore plus de rigueur - en raison de l’instantanéité introduite dans
le métier par la télématique - à la « presse cybernétique » diffusée à travers
Internet à la vitesse de la lumière.
Une fois lancée dans l’espace, une information n’est plus
rattrapable.
© Bertrand C. Bellaigue (Paris février 2006)
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