L’improbable argument de vente sexuel
Il y a des secteurs où l’argument est banal et justifié. La lingerie, par exemple, n’investit que très rarement la pub sans faire du sexe son argument de vente. Il existe toutefois un faisceau de possibilités. Du mannequin très sage posant en dessous fins à la mise en scène clairement sexuelle, la publicité pour la lingerie investit des degrés différents, souvent relatifs à l’image de marque que veut se construire l’annonceur. Anti-flirt, le magasin « de Lingerie française » et de « collections de dessous pour femme sexy » a clairement choisi la seconde catégorie, celle de la sexualité plutôt que de l’érotisme.
Dans les années 1990, la publicité pour les gels douche, shampooings et autres produits de la gamme hygiène et soin du corps ne se concevait pas sans femmes nues. Le nu était alors l’accroche suprême et la nudité était légitimée par la vente d’un produit qui s’utilise sous la douche.
Depuis, la nudité et le sexe ont émergé en tant qu’arguments de vente en dehors de ce carcan traditionnel. Le sexe sert d’accroche et de promesse de vente pour des produits n’ayant absolument rien à voir avec le sexe, l’érotisme ou même une quelconque situation légitimée de nudité. Ce glissement est très controversé et suscite de nombreux et récurrents débats moraux sur lesquels nous ne nous pencherons pas ici.
L’objectif de cet article est d’ébaucher l’analyse d’une nouvelle génération de produits publicitaires, qui se sert du sexe comme argument de vente pour des produits qui n’ont rien à voir avec le marché de l’érotisme ou du charme.
Pourquoi ce glissement ?
C’est la question récurrente. Pourquoi ce glissement vers l’argument sexuel, dans des contextes non sexuels ? Nous parlerons ici de glissement plutôt que de “dérive” et tâcherons de laisser de côté tout argument moral pour nous centrer sur une analyse uniquement marketing.
Le but de la publicité est, entre autres choses mais principalement, de stimuler l’achat. Il s’agit donc de créer du “stimulus”. Hors, pour que ce stimulus opère, le consommateur se doit d’être alerté. Dans le contexte actuel, les publicitaires doivent faire face à un phénomène de saturation du public. D’année en année, le public est de plus en plus connaisseur en matière de publicité, y est de plus en plus exposé, et donc, déploie des mécanismes de défense. L’individu se crée des barrières contre la publicité, en fonction d’une expérience acquise.
Dans ce contexte de bruit, la publicité se heurte à deux attitudes chez le consommateur :
L’adaptation – Habitué au message publicitaire, le consommateur l’esquive. C’est le cas sur Internet : on a remarqué que le regard de l’internaute changeait en fonction des emplacements habituels de la publicité. Ainsi, les fameux bandeaux publicitaires de haut de page si fréquents fin des années 1990, ont été progressivement supprimés et remplacés par des espaces publicitaires en cœur de page. On s’est aperçu que l’internaute, habitué à cet espace publicitaire, a “abaissé” naturellement son regard et a pris pour habitude de rechercher le contenu plus bas.
La perception défensive – Habitué au discours publicitaire, le consommateur rejette les discours gênants. Ce rejet peut être réalisé par “dégoût” mais aussi par sens critique, le consommateur étant habitué aux messages publicitaires conventionnels et capables de les décomposer.
Comment recréer le stimulus ?
Il s’agira donc pour la publicité de sortir de ce contexte de bruit auquel le consommateur s’est adapté. Il faut étonner à nouveau, créer des concepts de rupture qui captent l’œil et l’oreille par leur originalité. Ainsi surpris, le consommateur se place dans une dynamique de “perception vigilante”, c’est à dire qu’il est réceptif au message publicitaire.
C’est dans cette optique qu’est utilisé le sexe en publicité, dans le cadre de la promotion de produits non sexuels. De plus, pour vanter le produit, il est nécessaire de susciter le désir chez le consommateur et le désir est fondamentalement sexualisé. Le but de l’utilisation du sexe est donc double : multiplier les chances de capter l’attention et multiplier les probabilités de stimuler le désir. La captation est la première étape, capitale, d’attraction des consommateurs potentiels. Une fois le public capté, c’est la traditionnelle logique de l’AIDA qui se déploie : Attention (pour la publicité), Intérêt (pour le produit), Désir (prise de conscience d’un manque, envie d’achat) et finalement… Achat.
Dans un article daté de 1994 et titré “Pourquoi le sexe envahit la pub ?”, Revel Renaud s’interrogeait : “S’agit-il d’un simple effet de mode ou d’une tendance plus durable ?”. Preuve que le phénomène n’est pas nouveau. Et l’auteur de l’article expliquait déjà, en 1994, que le phénomène tenait des ramifications bien ultérieures, en citant notamment de fameuses campagnes de publicité des années 70 et 80, avec Polnareff (où l’on voit le chanteur montrer ses fesses) et les publicités-strip-tease de Jean-François Jonvelle (voir ci-dessous)
La nudité comme accroche n’a en effet absolument rien de nouveau. Ce qui est peut-être nouveau, en revanche, c’est, au delà de la nudité, la relation sexuelle comme argument de vente.
Pour un produit amincissant
En mars 2009, la marque de produits amincissants XLS a lancé cette publicité.Une jeune femme est surprise par un homme en train de danser à demi-nue, en string. La publicité expose la gène de la situation, puis finalement la maitrise de la jeune femme qui transforme cet effet de surprise en parade sexuelle. Le sujet de cette publicité est la relation sexuelle provoquée par une surprise érotique. La publicité se distingue par un plan de plusieurs secondes, insistant, sur les fesses de l’actrice incarnant la promesse de la publicité : un corps sexuellement désirable. Jusqu’alors, les publicités faisant la promotion de produits de régime ou amincissants se concentraient sur le corps féminin. Par exemple, les publicités Slim Fast étaient réalisées sur le modèle du témoignage. Le but était de susciter l’empathie de la consommatrice potentielle envers un modèle de réussite ; une femme ayant réussi un régime spectaculaire. Ici, le “essayez slim fast et vous perdrez du poids” se transforme en “Mon secret de séduction ? XLS duo+”. La promesse n’est plus un corps fin, mais un corps désiré.
Pour du papier hygiénique
Renova est une petite entreprise sur le marché très concentré du papier hygiénique qui a dû trouver les moyens se faire une place parmi les géants. Renova a adopté une stratégie de différentiation produit en créant le concept nouveau du papier toilette “plaisir”. Les papiers “Renova Pleasure” sont parfumés aux huiles essentielles purifiantes et relaxantes. Toujours dans l’optique de la différentiation produit, Renova a aussi lancé des gammes de couleurs pour ses rouleaux. La communication s’est adaptée à ce nouvel angle de vue et les publicités Renova nous montrent de beaux jeunes gens en pleine exploration des sens, dans le décor minimaliste d’une pièce bétonnée, ornée, de ci de là, d’un toilette et de rouleaux de papier hygiénique. L’entreprise a même créé un calendrier plutôt érotique pour célébrer son produit.
Pour un club de vacances
"Club 18-30″ est un club de voyage appartenant à Thomas Cook voyages. Ce “club” est spécialisé sur le segment des jeunes gens, la moyenne d’âge des clients s’élevant à 21 ans. Les publicités pour la compagnie se construisent sur le modèle de l’ambiguïté. A première vue, les publicités nous présentent de banales scènes de vacances. Et à y regarder de plus près, le photomontage suggère de multiples scènes ou positions sexuelles. Ce double sens épouse la double promesse du club : un lieu de vacances, mais aussi un potentiel lieu de rencontre sexuel pour des personnes d’un même âge.
Pour du parfum
Plus provocatrice, cette publicité pour le parfum du couturier Tom Ford, utilise le produit comme un cache-sexe. Le procédé est connu mais avait été utilisé jusqu’alors seulement dans un but humoristique (le produit remplaçant la mythique feuille de vigne ou le drapé de chasteté, si répandus dans l’histoire de l’art). Ici, on utilise la symbolique pornographique, avec un sexe féminin bien évidemment rasé et des traces de sueur sur les mains du modèle et à proximité du produit.
Sur la base des exemples que nous venons d’observer, nous pouvons formuler quelques hypothèses à propos des publicités utilisant l’argument de la relation sexuelle. Tout d’abord, dans ces publicités, le produit a tendance à s’effacer, à ne pas apparaître visuellement au cœur de la réalisation. L’acteur principal n’est plus le produit mais la promesse de relation sexuelle. Cette promesse sexuelle est utilisée, comme nous l’avions anticipé en introduction, soit dans le but d’attirer l’attention voire de choquer (Club 18-30, Tom Ford) soit de susciter le désir (XLS, Renova). On peut émettre l’hypothèse que cette méthode, utilisée dans le simple but de capter l’attention, aura tendance à s’essouffler et deviendra de moins en moins efficace au fil des années. La relation sexuelle se banalisant dans le langage publicitaire, on peut s’attendre à ce que ce type de publicité rejoigne le “bruit” des autres productions. Une fausse publicité Puma annonce peut-être ce futur déclin. La publicité représente une femme à croupie en train de pratiquer une fellation, habillée de produits de marque Puma. Bien qu’excessivement sulfureuse, cette publicité avait semblé suffisamment crédible un bon nombre de clients puisqu’elle a circulé longtemps sans être clairement démentie.
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