La guerre sous-jacente des fréquences
Les grands corps de l’Etat se penchent beaucoup en ce moment sur ce qu’ils appellent "le dividende numérique", un terme qui pourrait faire penser à la bourse, mais qui en fait cache le trésor de potentialités technique et économique que constituera la libération des fréquences actuellement utilisées pour diffuser la télévision hertzienne analogique secam. La loi audiovisuelle révisée en mars 2007 impose déjà l’arrêt de la télévision hertzienne analogique. Le plan, qui doit encore être validé par le Premier ministre, prévoit un arrêt progressif des émetteurs analogiques, région par région, et s’étale de 2009 à fin 2011, date butoir à laquelle tous les foyers français devraient avoir effectué leur basculement vers la réception télévisuelle numérique, que ce soit via la TNT, la TV par ADSL, le câble ou le satellite.
L’enjeu relatif aux nouvelles affectations des fréquences libérées au fur et mesure de l’arrêt de l’hertzien analogique est de taille, plusieurs domaines d’activités et de services ont déjà pris leur ticket de réservation :
Le secteur audiovisuel qui occupe pour le moment ces fréquences tient d’abord à les conserver. Le CSA qui gère ces fréquences dit en avoir besoin pour poursuivre la couverture des émetteurs de la TNT qui doit atteindre 95 % de la population fin 2011, il dit en avoir également besoin pour développer la télévision en Haute Définition sur la TNT, et enfin pour développer la télévision mobile personnelle.
En face, le secteur des télécommunications dont les fréquences sont gérées par l’Arcep réclame également sa part des mêmes fréquences libérées pour développer ce qu’on appelle les services mobiles à haut débit de quatrième génération, des services qui comme pour les liaisons fixes de l’ADSL, permettront de téléphoner, mais surtout d’accéder dans de bonnes conditions à internet, et à des services de télévision. Ces fréquences permettront également de combler les zones blanches du haut débit, puisque l’offre triple play ADSL est surtout accessible dans les villes.
Déterminer quelle part de fréquences libérées par l’arrêt de la télévision hertzienne analogique sera attribuée à l’un et/ou à l’autre des secteurs va devenir un véritable casse-tête pour le Premier ministre car les besoins actuellement exprimés par chacun des camps dépassent l’offre de fréquence qui sera disponible.
Dans cette affaire, le CSA a un avantage puisque c’est lui qui détient pour l’instant les fréquences, mais surtout parce que son action est justifiée et encadrée par une loi.
L’Arcep de son côté a l’avantage d’être soutenue par le plan tout numérique annoncé par Nicolas Sarkozy à horizon 2012, par la Commission européenne, et elle a également pour elle le fait que les services mobiles correspondent à des services beaucoup plus intéressants sur le plan économique. Ces services rapportent de l’argent à l’Etat par la vente de licences (dans l’audiovisuel, les fréquences ne sont pas vendues aux enchères), ils correspondent aussi à des services marchands qui rapportent de l’argent aux entreprises de télécommunications. A contrario, la télévision Haute Définition, et même la télévision mobile qui n’a toujours pas trouvé son modèle économique, ne rapportent rien ou peu de revenus supplémentaires aux chaînes de télévision et en particulier aux grandes chaînes nationales hertziennes qui vivent soit de la publicité, soit de la redevance quand elles sont publiques.
Ces éléments permettent peut-être de mieux comprendre pourquoi le CSA semble prendre tout son temps pour déployer sa stratégie de développement des nouveaux services télévisuels, même si cela est compliqué et qu’il y a beaucoup de choses à gérer en même temps (il est vrai que c’est aussi la mode maintenant de lancer plein de petits bouts de projets en même temps). On constatera le retard de plusieurs mois dans le déploiement de nouveaux émetteurs TNT pour couvrir au-delà des 85 % actuels de la population, le retard du démarrage de la télévision Haute Définition (de printemps 2008 on passe à octobre 2008), retard du démarrage de la télévision mobile personnelle (été 2008, puis fin 2008 et maintenant début 2009). On rappellera surtout le retard dans le calendrier d’arrêt de la télévision hertzienne analogique qui devait démarrer en mars 2008 et non pas en 2009.
On comprend aussi l’impatience de l’Arcep qui a besoin d’une décision rapide sur le dividende numérique si elle veut être prête en 2012 pour la télévision mobile 4G. Beaucoup d’autres pays européens ont déjà tranché.
On a envie de dire que tout cela ressemble beaucoup à une guerre de corps audiovisuel-télécommunications qui aurait sans doute pu être évitée si le droit avait déjà organisé la fusion ou le rapprochement (pour être politiquement correct) du CSA et de l’Arcep. La convergence entre les services numériques de l’audiovisuel et des télécommunications est désormais tellement évidente qu’on se demande pourquoi un tel rapprochement n’est toujours pas évoqué.
Enfin, quand on écoute les échanges d’arguments des uns et des autres, on se demande où est la voix des consommateurs et du marché dans tout cela.
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