La liberté d’expression, les médias et la démocratie
Dans la Charte des droits fondamentaux (CDDF) à laquelle se réfère le nouveau traité de l’UE, l’article II-71 relatif à la liberté d’expression et d’information, stipule : « La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. » Ceci veut-il dire que lorsque cette Charte entrera en vigueur, le CSA n’aurait plus aucun droit de regard sur le contenu des programmes, même pendant les campagnes électorales comme c’est actuellement le cas aux USA, au nom du premier amendement de la Constitution étendu aux médias dans les années 70.
Un mélange des genres
Il y a juste un an, Mme Mireille Delmas-Marty, pénaliste, professeure à l’université de Paris I, puis professeure au Collège de France, était l’invitée d’Ali Baddou aux Matins de France Culture. Voici ce qu’elle disait : "La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est le premier instrument international de protection de droits de l’homme qui renonce à la distinction binaire entre d’une part les droits civils et politiques et d’autre part les droits économiques, sociaux et culturels."
Il faut dire que, contrairement à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la CDDF ne mentionne pas explicitement dans son intitulé à qui appartiennent ces droits fondamentaux. Bel exemple de langue de bois dans un texte qui se veut fondateur.
En réalité, cette "renonciation à la distinction binaire" que prône si bien Mme Delamas-Marty revient à mêler dans un même texte des droits spécifiques aux citoyens et les droits liées à la personne morale. L’exemple le plus décrié lors de la campagne du référendum pour le TCE en a été le droit de grève indifférencié entre patrons et salariés (art. 88). Plus exactement, à part les articles 99, 100, 105, 106 relatifs à la citoyenneté, les articles 102, 103, 104 font référence à la "personne physique ou morale". Quant à l’article 101, il fait référence à la personne, sans autre précision. Mais, concernant cet article, trop vague pour les personnes morales, les droits qui les concernent sont largement définis dans la partie 3 du traité. La majeure partie de ce que contient la partie 3 pourrait d’ailleurs être regroupée sous un titre appelé Charte des droits fondamentaux des personnes morales cependant qu’il n’y a pas de charte spécifique des droits fondamentaux des personnes physiques.
Ce qu’il se passe aux USA
Dans la vidéo en ligne Orwell se retourne dans sa tombe, une vidéo en VO sous-titrée en français accablante sur l’état de la démocratie aux USA, qui dure 1h45, on entend, vers la 57e mn :
"La liberté d’expression est un droit qui appartient aux citoyens. Dans les années 70 est apparue cette nouvelle idée de ’liberté d’expression commerciale’, curieuse expression qui donne aux corporations le statut de citoyens. (Par la suite) les juges ont estimé que contraindre les médias allait à l’encontre de la liberté d’expression. Cette décision autorise les propriétaires des médias à faire ce qu’ils veulent avec les médias dont ils sont propriétaires... Ce détournement du premier amendement de la constitution des USA a fait de celui-ci une barrière à notre compréhension de la démocratie."
"... La liberté d’expression pour les médias est fondamentalement disproportionnée : un média s’exprime devant des millions de personnes. Leur accorder la liberté d’expression a été un choix pervers que même les conservateurs purs et durs avaient exclu dans les années 40."
"Mes chers compatriotes, ne séparez jamais l’égalité de la liberté" (F. Mitterrand).
Avec la CDDF, outre leurs prérogatives propres et à l’instar de ce qui se fait aux USA, les entreprises commerciales disposeraient donc des mêmes droits que les citoyens, de sorte que les citoyens lambda qui voudraient faire valoir leurs droits se trouveraient inévitablement dans la situation du pot de terre contre les pots de fer que sont ces "citoyens" ayant plus de droits (et de pouvoir) que les autres. Une nouvelle race, en somme ! C’est ainsi qu’au nom de la liberté, on tue l’égalité, et par voie de conséquence, on tue la liberté des individus.
Mais il y a plus grave : au nom de la liberté d’expression, les médias ne pourront plus être contraints à l’objectivité, même pendant les campagnes électorales. Ainsi les chaînes de télévision pourront à loisir faire campagne pour le seul candidat de leur choix, au mépris des recommandations d’équité prodiguées par le CSA.
Il est certain que les grands gagnants de cet état de fait seront les médias et les milliardaires, les premiers qui peuvent ainsi vendre du temps d’antenne pendant les campagnes électorales, les seconds qui peuvent acheter ces temps d’antenne, ce monde est, on le voit, fort bien fait ! Et le grand perdant sera la démocratie, autrement dit nous les citoyens.
Une démocratie dont l’information des citoyens est aux mains des médias n’est qu’une médiacratie. C’est pourquoi cette médiacratie, déjà à l’œuvre, ne nous dit mot sur la ratification en cours : http://www.acrimed.org/article2798.html
Nb. Ce qui est dit ici du TCE vaut pour le nouveau traité, puisqu’il en est la transposition obscurifiée, du moins selon l’avis de tous les experts indépendants en la matière.
Lien : C’est cet amalgame entre les citoyens et les entreprises institué par la CDDF du TCE, ce choix délibérément pervers et désastreux pour la démocratie que je me suis efforcé de dénoncer dans mon article intitulé : Le Nouveau Traité, la Charte et le mode de ratification : http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=31254
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