La Russie est une puissance moyenne, le nouveau dogme de la police de la pensée
C'est un constat affligeant dans les médias français, sur les plateaux de télévision le propagandiste "russophobe" qu'il soit invité ou animateur fait fonction de grand inquisiteur. Face à eux, l'expert, le journaliste stricto-sensu, c'est à dire celui qui fait objectivement son travail, ne peut que courber l'échine et saluer comme paroles d'évangiles tous propos nauséabonds sur la Russie.
L'émission "C'est dans l'air" du 24 mai 2018, avait comme sujet : "Macron - Poutine : ennemis pour la vie ? ". Comme toujours lorsque cette émission évoque la Russie, l'ensemble des invités est choisi pour faire entendre un seul son de cloche(s) : Moscou et plus particulièrement V.V. Poutine incarnent le mal. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder les invités des émissions consacrées à la Russie ces derniers mois. Pascal Boniface fondateur de l'IRIS, en étant présent aux six dernières émissions fait fonction de pilier. Avec François Clemenceau rédacteur en Chef du JDD, ils jouent le rôle des invités "impartiaux". Par exemple, lors de l'émission qui nous intéresse, ils donnaient la réplique aux "peu russophiles" Tatiana Kastouéva-Jean de l'IFRI et au philosophe Michel Eltchaninoff, auteur du livre "Dans la tête de Vladimir Poutine". Sachant que l'IRIS est financé pour 1/3 par le ministère des Affaires Étrangères et que l'américanophilie de François Clemenceau éditorialiste de politique étrangère à Europe1 n'est plus à démontrer, on peut dire sans trop prendre partie que l'émission fut quasiment à charge. Néanmoins, il faut reconnaître que Pascal Boniface a été le plus objectif, en rappelant par exemple le rôle très néfaste qu'ont les sanctions contre la Russie pour les agriculteurs français et le rôle du soft-power américain dans les élections françaises.
Pour mémoire, nous rappellerons que les deux derniers présidents français sont issus du programme "Young Leaders" de la French-American Fondation...
Dans la liste des autres invités récurrents des douze derniers mois, on retrouve Laure Mandeville membre du Think thank atlantiste, Atlantic Council, mais aussi Galia Ackerman, Cécile Vaissié c'est à dire la fine fleur de "l’amitié entre les peuples" à la mode ukrainienne... Cette obsession pour "l'impartialité", fut encore plus marquée durant la crise ukrainienne en 2014, où le plateau de "C'est dans l'air" vit défiler Marie Mendras ancien membre think thank atlantiste Chatham house et de la Transatlantic Academy, la crypto-bandériste Nathalie Pasternak et les déjà précitées Cécile Vaissié et Galia Ackerman. Autant dire que "C'est dans l'air" a fonctionné durant cette période comme une parfaite officine de promotion de la guerre civile ukrainienne.
Maintenant que le degré d'objectivité de l'émission a été précisé, nous pouvons regarder plus en détail ce qui fut dit le 24 mai 2018. Cette dernière avait comme prétexte la visite d'État d'Emmanuel Macron à Saint-Pétersbourg. Le plus virulent détracteur de la Russie fut sans surprise le philosophe Michel Eltchaninoff qui réalisa presque le sans faute du "russophobic concept dropping". Le philosophe réussit à placer : "ingérence russe dans les campagnes électorales, guerre hybride, Oleg Senstsov, novitchok, etc..." Il ne lui manquait plus que les termes "Navalny" et " Mh17 " pour réussir un " bullshit bingo " (voir explication ci-dessous).
Exemple de grille de "bullshit bingo" à utiliser lors des émissions de télévision consacrées à la Russie. Dès que vous avez complété une ligne ou une diagonale, vous pouvez vous écrier " foutaise ! " et gagner la partie.
Concernant les ingérences dans les processus électoraux d'un pays, comment pourrait-on qualifier les financements d'Alexei Navalny par la NED en 2007, dans le but d'établir une révolution de couleur ? On peut aussi s’interroger sur les financements provenant de 300 personnes de 46 nationalités qu'il reçut en 2013 lors des élections pour la mairie de Moscou. Il est bon de noter que ce genre de financement participatif qui se retrouve aussi pour "Bellingcat", est la meilleure façon pour anonymiser un financement occulte.
Un autre des concepts du champ lexical de la propagande "russophobe" est celui de la "guerre hybride". Ce concept fourre-tout développé aux USA au début des années 2000 et vulgarisé par Frank Hoffman a été totalement absent de la presse quotidienne francophone jusqu'en 2014. L'expression est tout d'abord appliquée à l'Ukraine par l'OTAN, puis démocratisée dans ce même pays. On la retrouve ensuite pour la première fois dans la presse française, dans une interview de Tatiana Kastouéva-Jean en mai 2014 et chez Antoine Arjakovski en juillet de la même année. Son usage se généralise dans la presse hexagonale, ou plutôt devrions nous dire dans l'usine à moutons, via des interviews de personnalités ukrainiennes (Valerei Gueletei, ministre de la Défense de l'Ukraine de l'époque ; Vladimir Gourbine, conseiller du président ukrainien ; Monseigneur Boris Gudziak, recteur de l'Université Catholique de Lviv) où des lobbyistes pro-Ukraine, par exemple Olivier Dupuis ancien député européen des verts. Durant l'année 2015, l’occurrence de cette expression est multipliée par 10, en grande partie par la généralisation de son usage, par exemple à Daech. En cela, on peut dire que c'est un échec de communication de la propagande ukrainienne. Le comble du ridicule fut atteint quand Petro Porochenko qualifia la famine soviétique de 1931-1933 (instrumentalisée sous le nom d'Holodomor en Ukraine) d'élément de la guerre hybride séculaire de la Russie contre l'Ukraine.
"Guerre hybride" peut donc être défini comme un des "Buzzword" de la propagande atlantiste.
Une fois passé ces lieux communs de la communication anti-russe, un nouveau "mème" est introduit par Michel Eltchaninoff : "il (E. Macron) va essayer de faire comprendre à Vladimir Poutine qu'au lieu de surjouer la grande puissance que la Russie n'est pas, il faudrait revenir à une discussion multilatérale intelligente entre puissances moyennes.... sachant que la Russie ce n'est même pas le PIB de l’Italie, ce n'est pas une grande puissance comme la Chine et les États-Unis".
Aucun des invités sur le plateau ne relèvent ces propos et ce malgré leurs absurdités. S'il est vrai que l'Italie a un PIB nominal en 2017 supérieur à celui de la Russie (1921 milliards contre 1469), ce critère n'est pas suffisant pour faire de la Russie une puissance moyenne. Le PIB ne mesure qu'un flux d'argent, il peut être comparé au Chiffre d'Affaire (CA) d'une entreprise. Or ce dernier, n'indique en rien qu'une entreprise est rentable et viable, d'autres critères sont à prendre en compte. Par exemple le ratio "capitaux propres/endettement global", qui pourrait être mis en parallèle avec l'endettement d'un pays. Pour ce critère, la Russie fait figure de très bon élève (13ème pays le moins endetté) avec une dette inférieure en pourcentage du PIB à celle du Koweït, alors que l'Italie avec une dette équivalente à 133 % de son PIB est le quatrième pays le plus endetté au monde. Il ne faut pas perdre aussi de vue que les BRICS ont un PIB supérieur à l'UE avec 18.270 milliards contre 17.112.
Il existe d'autres versions du PIB, par exemple le PIB à PPA (parité du pouvoir d'achat) qui reflète mieux la richesse réelle des habitants d'un pays. Dans le classement PIB-PPA, la Russie est 6ème pays au classement mondial et le deuxième état européen derrière l’Allemagne. Selon le cabinet d'audit PwC, la Russie devrait devenir le premier pays européen en 2030...
Donc l'argument de Michel Eltchaninoff sur le PIB n'est, ni faux ni vrai, en fonction du type de PIB pris en compte. Mais le PIB suffit-il à définir la puissance d'un pays ?
La réponse est bien évidemment non, on peut par exemple tenir compte de la puissance militaire estimée par les budgets consacrés par chaque pays. Dans ce classement, la Russie est cinquième et l'Italie neuvième, de plus cette dernière n'est pas une puissance nucléaire. Pour finir, nous allons prendre en considération le poids diplomatique du pays et là encore, la comparaison avec l'Italie est en faveur de la Russie puisqu'elle est membre permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU.
Il apparaît donc que la Russie peut être difficilement classée comme une puissance moyenne inférieure à l'Italie comme l'affirme Michel Eltchaninoff.
En réalité la Russie est une grande puissance diplomatique. Tout d'abord de par son rôle central dans les BRICS qui par eux seuls représentent 40 % de la population mondiale (3.139.000.000) soit plus de trois fois la population de l'UE et des pays membres de l'OTAN (964.746.034). De plus, elle est l'unique grande puissance à avoir des contacts diplomatiques concrets avec tous les intervenants des différentes zones de tensions actuelles, Corée du Nord, Israël, Iran, Syrie. Relations dont sont incapables les membres occidentaux permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU. Par exemple la France, la Grande-Bretagne et les USA, n'ont plus d'ambassade en Syrie depuis 2012, ce qui évidemment n'aide pas aux contacts diplomatiques. Les USA et l'UE classent le Hezbollah et le Hamas comme des organisations terroristes, ce qui peut être problématique pour la résolution des crises au Levant.
Si la Russie n'est pas la puissance moyenne que décrit Michel Eltchaninoff, alors pourquoi, Pascal Boniface n'a-t-il pas réagi promptement et n'a évoqué le rôle diplomatique de la Russie que 20 minutes plus tard ? On peut se demander d'ailleurs pourquoi lorsqu'il s'exprime, il cherche du regard l'adhésion de Michel Eltchaninoff. C'est à dire pourquoi, un expert en relations internationales de renommé mondiale s'inféode à un philosophe dont la seule contribution géopolitique se limite à un pamphlet anti-poutine ? Le point de vue de M. Eltchaninoff peut se résumer en une ligne : Poutine est un perdant, de surcroît un mauvais perdant et la Russie un petit pays, un pays pauvre.
En faisant cette observation, on met en évidence la difficulté des intervenants lors des émissions télévisuelles françaises à développer un avis objectif sur la Russie. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder les différentes interviews d'Anne Nivat. L'adhésion de cette dernière à la doxa et le "poids médiatique" de son mari (Jean-Jacques Bourdin) sont suffisants pour lui ouvrir les portes des médias, mais pas pour lui permettre de librement développer son point de vue. Par exemple sur les plateaux du "Quotidien" de Yann Barthès et à "C'est à vous" sur France 5, Anne Nivat a tenté de dire que la Russie n'était pas une dictature. Ce qui lui a valu les foudres immédiates des animateurs.
Que devons-nous en déduire ? Malheureusement que les médias français ne sont plus qu'une dictature intellectuelle, où la propagande triomphe sur la vérité, où l'expert s'inféode au zélateur.
Alors n'en déplaise à tous ces "Tomas de Torquemada", la Russie est bien une grande puissance et de plus en plus un pôle d'attraction.
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