« Laissez-les crever ! »
Accorder 600 millions d’euros supplémentaires à la presse française, alors qu’elle coûte déjà 1 milliard d’euros par an aux contribuables, est à la fois inefficace et injuste. Il récompense un système économique déficitaire et renforce le lien incestueux entre journalistes et politiques.
« Laissez-les crever ! » aurait été la réponse d’un président libéral face aux difficultés de la presse quotidienne française. L’état et l’ensemble des Français n’ont pas à financer à perte des groupes déficitaires. Pourtant, les poches du contribuable français sont vidées chaque année, et cette année encore plus que d’habitude ! L’ensemble des aides à la presse représente en France un abonnement de 2 mois à un quotidien pour chaque foyer. Et dire que la droite dirige le pays depuis 2002 ! Il faut croire (quelle révélation !) que la droite française n’est pas libérale. Le problème est plus profond : politique et presse écrite font (trop) bon ménage en France. Les frasques sexuelles récurrentes des hommes politiques avec des journalistes ne sont que la face cachée d’un système d’interdépendances dangereuses (mais oh combien réjouissant pour les lecteurs du Canard Enchaîné !).
Les lois françaises régulent fortement l’activité journalistique en France. Il est légitime de s’attendre à ce que le gouvernement vienne en aide à un secteur en difficulté économique depuis plusieurs années. Pourtant, le don supplémentaire de 600 Millions d’Euros aux groupes de presse ne résout pas leurs problèmes économiques.
Les groupes de presse quotidienne sont déficitaires. L’achat de quotidiens a baissé en France de 20% depuis 5 ans. L’achat d’hebdomadaires a augmenté de 10% sur la même période. La lecture de journaux gratuits a fortement augmenté. Il y a donc eu déplacement de l’offre des quotidiens vers les hebdomadaires, les gratuits, et Internet.
Ce déplacement de l’offre se comprend facilement – mais une enquête marketing chiffrée serait plus souhaitable que mes approximations. Plutôt que de prendre 5 minutes supplémentaires sur mon trajet du matin pour trouver et payer mon journal, je prends un journal gratuit qui est là, à ma disposition. Dans des transports en commun bondés et bruyants, je n’ai ni le temps ni la concentration nécessaire à la lecture du Monde, 20 minutes y est plus approprié. Les 1 euros 20 que j’économise en allant sur le site Internet du Monde représentent aussi une économie en hommes et en énergie. Avant Internet, il fallait du papier, de l’encre, une presse, des camions, des livreurs, et quelqu’un de présent au kiosque pour me vendre le journal. Maintenant, cela est remplacé par une transmission rapide et simple de données électroniques entre deux ordinateurs. Nos habitudes de transport et les avancées de la technologie expliquent en partie la désaffection des consommateurs pour la presse écrite.
Les groupes de média ont mis longtemps à réagir à ces changements. Les sites Internet des quotidiens français ont longtemps été mauvais. Jusqu’à l’année dernière, ils étaient peu interactifs. Ils se sont améliorés, mais sans avoir la facilité de navigation et la simplicité d’un site comme celui du New York Times. Les entreprises qui détiennent ces titres font face à la même problématique que les groupes de distribution de musique. Ces derniers ont vu leur chiffre d’affaires fondre car ils fournissaient un service payant devenu inutile. Ils distribuent de façon payante ce qui peut être transmis gratuitement et rapidement entre deux ordinateurs. Plutôt que payer pour un CD coûteux en temps, argent et énergie (produits et gravés en Asie, acheminés par bateau, transportés par train et camion à tous les points de vente, disposés dans les boutiques où il faut se déplacer), la plupart des consommateurs ont préféré le système plus simple et gratuit du P2P. L’information et la musique gratuites sur Internet sont une avancée pour les consommateurs et les citoyens.
Les groupes de presse peuvent redevenir profitables en développant leur branding, comme le fait déjà le groupe Les Echos, qui vend des formations économiques aux cadres. Il leur faut aussi regagner en crédibilité auprès de leur public. Les enquêtes annuelles de La Croix montrent que celle-ci est à des niveaux historiquement faibles.
Les 600 millions euros d’aide à la presse quotidienne peuvent aussi êtres interprétés comme une forme de concurrence déloyale envers la presse hebdomadaire. Pourquoi revient-il au gouvernement d’aider un type de presse plutôt qu’un autre ?
De plus, ces aides augmentent les liens incestueux qu’entretient le gouvernement, et toute la classe politique, avec la presse. Les hommes et femmes politiques français passent beaucoup plus souvent à la télé que leurs homologues européens et américains. Ceci freine leur travail et les soumet continuellement aux vents de l’opinion publique. Rappelons que la France est un pays où, lorsqu’un homme politique fait une tentative de viol sur une journaliste, celle-ci ne dépose pas de plainte par autocensure, comme le montre cette vidéo. C’est aussi un pays où l’ancien amant de Carla Bruni, Denis Olivennes, pressenti au ministère des nouvelles technologies, a pu se reclasser en tant que patron de presse grâce à l’appui du président.
Espérons que les Français ne resteront pas longtemps dupes que leur argent est jeté par les fenêtres, et que les liens entre journalistes et politiques sont nuisibles à notre démocratie.
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