La censure, cette bête immonde aux têtes multiples, qui frappe toujours là où cela peut faire mal, devrait-elle être réservée au petit peuple et épargner les « grands » de ce monde ? Une belle illustration de cette vision « deux poids deux mesures » nous est livrée par les récentes mésaventures de Laurent Joffrin au Maroc.
Début février, en effet, nous apprenions que Le Nouvel Observateur était censuré au Maroc. Ce qui a fait réagir Laurent Joffrin.
Il a en effet jugé « inadmissible et inquiétant d’être interdit au Maroc pour la deuxième fois en un mois. Cette interdiction est inquiétante pour l’avenir du Maroc alors que le Nouvel Obs a pour ce pays des sentiments amicaux ou critiques quand c’est nécessaire ».
Mustapha Khelfi le ministre de la
Communication marocain explique vendredi à l’
Agence France Presse (AFP) :
« Ce numéro du Nouvel Observateur a été interdit parce qu’il y a une représentation de Dieu, ce que la loi marocaine ne permet pas. Cette décision n’a rien à voir avec la liberté d’expression »
L’objet ici n’est pas de trancher sur le bien-fondé de la censure marocaine mais de méditer sur la double approche de la censure que révèle Monsieur Joffrin :
« A moi la liberté de dire, aux autres celle de se taire »
Le Nouvel Observateur : Anti-Censure ou Pro-Censure ?
Dans
Liberté-du-web-menacée : C’est-pire que vous n’imaginez, était abordée la menace réelle qui pèse sur la liberté d’expression sur le web, bien au-delà des lois SOPA/PIPA et ACTA. Une menace sous forme de rétrécissement de l’espace d’expression des citoyens et d’installation d’une censure discrète, mais insidieuse et redoutable aux prétextes imparables : Eviter les « dérives », « modérer » les propos de citoyens
ignorants et inconscients de la portée de leurs mots : diffamation, injure etc.….
Et le nouvel observateur est en effet l'un des supports qui a le plus "serré la vis" aux blogueurs et aux lecteurs qui postent des commentaires sur sa plateforme durant ces derniers mois.
1) Il a fait supprimer le lien permettant d’accéder aux blogs des internautes sur la page d’accueil du nouvelobs.fr
2) Il a fait supprimer l’indexation des pages des blogueurs sur Google, réduisant ainsi le lectorat des blogueurs à une dimension quasi confidentielle.
3) Il a sous-traité la modération des contenus de sa plateforme de blogs à la société
Netino, qui dispose de plateformes de modérateurs dans divers pays. Ainsi, apprend-on sur ce lien (
http://www.jeremiemani.com/) que le nouvelobs est l'une des références de Netino. La communication est clairement orientée intérêt-du-client-qui-paie avec ce slogan "
Oui à l’esprit participatif du Web 2.0 ! Mais pas au détriment des exigences professionnelles qui sont les vôtres". Ou encore,
ce titre dans l'expansion "
Netino traque les dérapages des internautes". Mieux : Netino a même lancé son propre sondage pour démontrer que la modération ne déplaît pas aux internautes..Pardon, si, à certains : "
L'assimilation de la modération à la censure est plutôt véhiculée chez les hommes issus des classes les moins aisées", lu dans
cet article passionnant le lejournaldunet.
On sait comme cela de quelle "classe" sont issus les râleurs dont je suis.
Dans ses interviews, Jérémie Manie, le jeune président de la non moins jeune société Netino, ne s’attarde généralement pas sur la modération des contenus du web, s’abritant derrière la charte de ses clients. Il met surtout en avant la traque des « faux avis sur les produits commerciaux » et d’autres sujets moins sujets à controverse. Habile.
Etre le e-bras armé de la censure est en tous cas rentable, car Netino a franchi en moins de deux ans d'existence le million d’euros de chiffre d’affaires.
Une modération douteuse et …risquée
La modération des contenus instaurée par Laurent Joffrin sur sa plateforme de blogs démontre a minima quelques bugs dans le système avec un usage intempestif et souvent injustifié de motifs allant de la très en vogue « diffamation » au rejet sibyllin d’un commentaire pour « autre motif ». Qu’elle soit « automatisée » grâce à un logiciel - Moderatus- qui traque les « mots douteux », ou humaine, une telle ..modération-censure met en péril de façon certaine la liberté d’expression et d’opinion.
Illustrations :
1- Articles publiés sur Agoravox mais censurés sur le nouvelobs
2- Exemples de commentaires de lecteurs censurés :
- Le poème « Mes petites amoureuses » d’ Arthur Rimbaud. Censuré pour « agression ».
- Autre exemple de commentaire censuré au motif « insulte »
« Et la voix de Charles Trenet, oui.
Ah vous le connaissez, c'est bien.
Je crois qu'on annonce la sortie enfin de ses deux longs métrages, La maman et la putain, et Mes petites amoureuses, pour le printemps.
Revoir enfin ces films. Ils ont tant compté. »
Et enfin un bel exemple de censure au motif de « diffamation » :
« C'était un peu une moquerie, et un petit hommage au "Brave soldat Chvéïk", un livre que j'aime beaucoup, répondre à l'idiotie par l'idiotie absolue. Mais en effet cela ne marche pas avec les Nazis. »
Evidemment, il existe d’autres exemples, mais ce choix démontre les excès de cette modération et, pour reprendre les termes de Laurent Joffrin suite à la censure de son nouvelobs au Maroc, son côté « inadmissible et inquiétant »
Une censure qui se fait appeler modération pour couvrir… quels risques ou servir quels intérêts ?
Il ne s’agit évidemment pas d’encourager diffamation et injures.
Cependant, les objections des censeurs obéissent à une rhétorique constante : « mais il faut bien des règles sur le web ». Oui, Madame la Censure, mais soyez logique : D'une part, il existe "La loi" qui définit clairement ce qu'est la diffamation et l'injure. Et d'autre part, existent des instances pour la faire respecter : Nul ne peut s’autoproclamer gendarme ou magistrat du web. Seul un juge peut décider si diffamation ou injure il y a et dans ce cas, condamner le contrevenant.
Imaginons la pire des situations : Qu’un citoyen « ignorant et impulsif » commette le délit de diffamation dans un commentaire de 3 lignes ou même un article de 20 lignes.
1) En général, il est rare que ce « délit » soit commis à l’égard du voisin de palier ou la belle-mère retraitée ou le chômeur du coin..
2) CQFD : Dans 100 % des cas, la victime du « délit » est un « grand » de ce monde, riche et/ou puissant.
Et comme ces "grands » ont en général les moyens de prendre avocat pour saisir la justice et « laver leur honneur », quelle est donc la véritable préoccupation des censeurs ? Eviter au pauvre citoyen d’être traîné en justice et avoir à payer un euro symbolique de dommages-intérêts ? Ou simplement contrôler l’image de ces grands amis des censeurs ?
Car si les grands sont assez grands pour se défendre, le citoyen est assez grand pour qu’on le laisse assumer ses propos (sachant que les dérapages ne sont pas la règle).
Comment feriez-vous, Monsieur Joffrin, pour modérer la rue ? Un modérateur Netino derrière chaque piéton ou conducteur pour éviter qu’ils ne s’invectivent ? Sommes-nous donc dans une immense cour de récréation où le citoyen est un petit enfant dont on surveille chaque propos et auquel on dit, à chaque fois qu’il ouvre la bouche « tais-toi », « ce n’est pas bien » ?
La liberté d’expression sur le web (et ailleurs) : Un privilège pour des privilégiés ?
On a vu que les risques judiciaires des éventuels dérapages sont en fait limités. Quel homme politique ira attaquer en justice des centaines voire des milliers de blogueurs et posteurs ?
Combien de rédacteurs d’Agoravox ont-ils été poursuivis pour injure ou diffamation ?
Avouez qu'il s'agit surtout de Marketing d'image. Il s'agit surtout de soigner la e-réputation, ou de promouvoir des figures en empêchant de lever le voile sur les mensonges.
Que fait Laurent Joffrin ? Pour qui travaille-t-il ? Quels intérêts, quels amis sert-il en agissant ainsi ?
Est-il (devenu) un aristo de la liberté d’expression ?
Est-ce l’approche des élections qui le rend nerveux ?
Pense-t-il que la liberté d’expression doive être réservée à quelques bourgeois bien installés dans le monde politico-médiatique ? Que le peuple n’a qu’à se taire ?
Nous attendons sa réponse puisqu’il a le privilège, lui, de pouvoir faire usage de son droit de réponse quand il veut et où il veut.